Face à face Pékin-Washington
Les Américains ne doivent pas décider seuls pour les Européens

La brusque montée de tension dans le détroit de Taïwan, à la suite de la visite de la présidente de la Chambre des représentants des Etats-Unis, Nancy Pelosi, prouve à nouveau l'absence d'autonomie stratégique des Européens.
Publié: 04.08.2022 à 11:52 heures
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Dernière mise à jour: 06.08.2022 à 09:27 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Une fois encore, la preuve est faite: dans les convulsions du monde de 2022, les Européens sont spectateurs ou, au mieux, acteurs incapables de faire entendre leur différence. Tel a été le cas en Ukraine, où le format diplomatique «Normandie», qui associait la Russie, l’Ukraine, la France et l’Allemagne, a volé en éclats avec l’agression russe du 24 février, après avoir été, entre 2014 et 2022, bien peu soutenu par les Etats-Unis. Et telle est l’évidence à Taïwan, où le nouvel affrontement direct entre Washington et Pékin engendré par la visite sur l’île de Nancy Pelosi ne laisse aucune place à l’Union européenne (UE), pourtant première source de capitaux étrangers à Taïwan et premier partenaire commercial de la Chine, avec 828 milliards de biens et services échangés en 2021.

L’alliance militaire occidentale, réalité incontournable

Faut-il s’en étonner? La réponse est non. L’absence d’une armée européenne et le parapluie sécuritaire de l’OTAN, l’alliance militaire occidentale dominée par les Etats-Unis, sont des réalités incontournables que les livraisons d’armes des pays de l’UE à l’Ukraine, ou les nuances dans les discours, ne pourront jamais contrebalancer. Lorsque la guerre survient, et que les positions doivent être clarifiées dans l’urgence, le verdict de ce premier semestre 2022 est implacable: dans le camp des démocraties, Washington et le Pentagone demeurent maîtres du jeu.

Qu’importent les règles de droit et les normes élaborées entre autres par les juristes européens dans le souci d’organiser la mondialisation et d’éviter qu’elle ne détruise notre environnement et notre planète: quand les armes parlent, ou menacent de parler, l’Oncle Sam se retrouve seul aux commandes face aux puissances autoritaires, convaincues que l’hégémonie de l’Occident appartient au passé.

La presse officielle chinoise, entièrement contrôlée par le pouvoir communiste, dénonce depuis mercredi avec violence la visite de Nancy Pelosi sur l'île de Taïwan, que Pékin considère comme partie intégrante de la Chine.
Photo: keystone-sda.ch

Un poison pour les Européens

Le problème est que ce raisonnement, aussi réaliste soit-il, est un poison terrible pour les gouvernements européens. Poison militaire, car sous-traiter durablement sa sécurité à l’armée la plus puissante du monde continue de présenter bien des avantages. Poison diplomatique, car cette logique de puissance secondaire, à la traîne des Etats-Unis, interdit de facto aux Européens de s’éloigner trop des positions américaines. Poison politique et idéologique, car le débat, sur le Vieux Continent, en sort dangereusement abîmé, donc propice aux discours des populistes toujours tentés de voir dans l’autoritarisme à la Russe ou à la Chinoise les solutions à nos problèmes.

Les Etats-Unis défendent-ils, là où ils interviennent, les intérêts européens? Non. Portent-ils, dans ces convulsions mondiales de plus en plus violentes, une part de responsabilité, y compris par leurs agissements sécuritaires? Oui. Peut-on aveuglément leur faire confiance lorsqu’il s’agit de l’intérêt commun des démocraties? Pas sûr. La traditionnelle arrogance capitaliste américaine portée par l’interférence des GAFAM (les géants de l’Internet «Made in USA» ) dans nos vies quotidiennes est-elle une machine à nourrir inquiétudes, colères et frustrations dans le monde? Oui.

Les lois de la solidarité

Mais voilà: l’épreuve a ses lois et la solidarité aussi. La grande majorité des Ukrainiens ne veulent plus vivre sous la férule coloniale de la Russie. Les Taïwanais sont, en trente ans, passés d’une dictature adoubée par Washington à une démocratie exemplaire en Asie, malgré la menace de la Chine communiste. L’ignorer, ou vouloir sacrifier les uns et les autres pour une présumée paix avec ceux qui veulent leur mort, sanctionnerait l’abandon des valeurs qu’à Bruxelles, l’Union européenne continue de défendre à longueur de communiqués.

La seule option viable – sauf si les Européens venaient à opter pour une neutralité active défendue en Suisse par Micheline Calmy-Rey, ce qui est peu probable – est de se retourner vers Washington et d’obtenir, en retour de cette alliance contrainte, une forme de co-décision, là où les intérêts vitaux de l’Europe sont en jeu. La grande erreur de la France et de l’Allemagne, rétrospectivement, a été d’accepter le flou sur une possible entrée de l’Ukraine dans l’OTAN, lors du sommet de Bucarest en 2008. La même chose prévaut pour Taïwan, où personne aujourd’hui ne sait tracer la ligne rouge. Un embargo maritime chinois déclencherait-il une guerre? Les Européens se retrouveraient-ils, ou non, obligés à leur tour d’intervenir militairement? La collusion de plus en probable entre la Russie et la Chine impose de reconfigurer les rôles avec plus de clarté des deux côtés de l’Atlantique.

L’Amérique est de facto le commandant en chef du camp occidental. Mais elle ne peut pas continuer de décider seule pour ses alliés européens.

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