Irène Kälin
L'Argovie est partout, et ce n'est pas un bon signal

Chaque semaine, la vice-présidente du National rédige une chronique sur la politique suisse. Aujourd'hui, la Verte constate que son canton est surreprésenté dans les directions de partis. Cela pourrait la réjouir, mais elle préfère s'en inquiéter. Voici pourquoi.
Publié: 13.10.2021 à 19:17 heures
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Dernière mise à jour: 13.10.2021 à 19:34 heures
Irène Kälin

L'Argovie est apparemment un canton présidentiel. Je ne dis pas ça parce que je suis vice-présidente du National, mais parce qu'avec Thierry Burkart, un Argovien de plus accède à la tête d'un parti national.

Le nouveau président du PLR est-il connu de votre côté du Röstigraben? Très franchement, je n'en ai aucune idée. Christian Levrat est le dernier à avoir réussi à obtenir une notoriété nationale, mais c'est un Fribourgeois — il a grandi à cheval sur la Sarine et a su devenir quelqu'un qui compte dans les équilibres politiques au-delà des barrières linguistiques. Je note toutefois qu'il a été le dernier président francophone d'une grosse formation.

D'un côté, en tant qu'Argovienne, je suis évidemment fière qu'après Cédric Wermuth (coprésident du PS avec Mattea Meyer) et Lilian Studer (PEV), un troisième représentant de mon canton accède à la présidence d'un parti. Mais de l'autre, cette hégémonie me fait réfléchir.

Représentante des Verts, l'Argovienne Irène Kälin est vice-présidente du Conseil national.
Photo: Keystone

Certes, les leaders s'entourent toujours d'un(e) Romand(e). Ils ont aussi, souvent, de bonnes capacités dans les langues nationales. Et il y a également une part de hasard sur le canton d'origine des présidents. Pour ce qui est du PLR, il n'y avait d'ailleurs qu'un candidat.

Une Suisse miniature

Malgré toutes ces réserves, le constat est clair: les gros partis sont souvent dirigés par quelqu'un d'Argovie ou du canton de Zurich (Balthasar Glättli chez les Verts, Mattea Meyer pour le PS). Saupoudrez-ça d'un peu de Zoug (Gerhard Pfister/Le Centre) et de Berne (Jürg Grossen/Vert'Libéraux) et vous obtiendrez une quasi omniprésence de la Suisse alémanique, seulement brisée par Marco Chiesa (Tessin/UDC).

Où sont les Romands? N'avez-vous donc aucune personnalité susceptible de prendre les rênes d'un grand parti? C'est une question rhétorique, je connais la réponse: bien sûr que si. Plusieurs noms me viennent en tête sans effort, et ce pour chaque formation ou presque. Il n'y a que pour le PEV que je ne vois pas. Mais est-il présent en Suisse romande? Bref, je divague.

Des fines fleurs du journalisme ont tenté d'analyser pourquoi l'Argovie avait tant de succès. Ce canton est une forme de Suisse miniature: les gens y votent en moyenne comme l'ensemble du pays. La configuration socio-démographique (petites villes, beaucoup de villages campagnards, petites et grandes agglomérations) est également représentative de la Suisse. Cela pourrait peut-être jouer un rôle.

Évidemment qu'à titre personnel, la perspective de vivre non seulement dans un vivier de présidents de partis mais aussi dans une forme de «superindicateur» du pays me plaît. Une pars pro toto — mon vignoble d'Oberflachs en tant que petit Lavaux. Mais ce n'est malheureusement pas aussi simple...

Connaissent-ils encore «Infrarouge»?

L'Argovie est en moyenne moins écologique, moins libérale, moins sociale et moins ouverte au monde que les cantons de Suisse romande. Et si l'on part du principe que les présidents de parti auront une grosse influence sur la politique de ceux-ci, on peut se demander si le fait que l'Argovie soit un réservoir à présidents est une si bonne nouvelle.

À la limite, cela permet au moins de surmonter le fossé ville-campagne si à la mode ces derniers temps. Mais plus largement, ce n'est pas un très bon signe pour la cohésion nationale. D'abord parce que — malgré tout mon amour pour ma région d'origine — je ne veux pas que la Suisse devienne l'Argovie. Si un jour les vignobles de Lavaux doivent prendre Oberflachs comme référence, cela ne sera pas bon signe. Tout comme il n'est pas souhaitable que la «ronde des éléphants» (le débat entre tous les présidents de partis, ndlr.) puisse se tenir en dialecte. Savent-ils encore ce qu'est «Infrarouge»?

Et en plus: il n'y a pas que les Romands qui sont sous-représentés, il y a aussi les femmes. Il suffit que Mattea Meyer ne soit pas là pour que la «ronde des éléphants pour qu'il n'y ait que des hommes pour porter la parole des grands partis nationaux. C'est un paradoxe: à chaque élection du Conseil fédéral, l'encre coule au sujet de la représentation tant des femmes que des minorités linguistiques. Et voilà que les grands partis sont tous dominés par des hommes alémaniques (à l'exception notoire de Marco Chiesa). En fin de compte, mon patriotisme argovien ne peut me consoler de cette situation. Car notre gouvernement cantonal est composé de... cinq hommes sur cinq. Et là, on ne peut invoquer ni le hasard, ni le manque de choix. Cela ne peut et surtout ne doit pas être un exemple pour la Suisse.


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