Irène Kälin
Le «Coronagraben», ce fossé qui fait peur

Irène Kälin a peur. La conseillère nationale voit deux camps qui s'opposent dans la population et qui creusent le fossé le plus préoccupant que la Suisse ait connu. Et la politique ne semble pas en avoir conscience, selon notre chroniqueuse.
Publié: 28.07.2021 à 14:27 heures
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Dernière mise à jour: 29.07.2021 à 21:56 heures
Irène Kälin

Prenez d'abord ce chauffeur de taxi qui ne porte pas de masque. Il fait si chaud et lourd ce jour-là que je suis presque reconnaissante, sur la banquette arrière, au moment de lui demander si l'obligation de port du masque ne s'applique pas dans son véhicule. «Il n'y a jamais eu d'obligation de port du masque», me rétorque le jeune homme du tac au tac.

Soit. J'ouvre la fenêtre, j'enlève mon masque et j'accepte de me laisser entraîner durant les vingt minutes de la course dans un monde où le Covid est toujours présent mais où toutes les mesures, les tests, les vaccinations et les prescriptions des autorités n'ont pas d'impact. Un monde dont on sait toutes et tous qu'il existe mais face auquel nous avons capitulé. A l'évocation des obligations ou des privilèges, le fossé devient de plus en plus grand entre le siège du conducteur et la banquette arrière.

5x «Non», parce qu'il en a marre

Prenez ensuite cet activiste climatique, qui peut citer tous les chercheurs pertinents dans le domaine de l'environnement mais qui réfute catégoriquement tout apport de la science en ce qui concerne le Covid-19. Un homme qui était si proche de moi intellectuellement et dans ses actions il y a peu encore, et qui ne pourrait pas vivre aujourd'hui dans un univers plus éloigné que le mien.

Représentante des Verts, l'Argovienne Irène Kälin est vice-présidente du National.
Photo: Keystone/Blick

Il y a encore ce jeune apprenti, qui est allé déposer un bulletin comprenant un quintuple «NON» aux dernières votations fédérales. Parce qu'il en a marre de tout. Et ce alors qu'il se plie de manière exemplaire aux mesures sanitaires de la Confédération et qu'il est allé sans attendre se faire vacciner.

Et puis, en parallèle, il y a la politique, qui arrive sans cesse avec de nouvelles exigences. Celles-ci non seulement ignorent les trois réalités que je viens de mentionner, mais les rendent encore pire. Ce n'est pas la proposition de la conseillère nationale Magdalena Martullo-Blocher qui va faire avancer le Schmilblick. L'UDC grisonne réclame une nouvelle centrale nucléaire et veut prolonger la durée de vie de celles existantes, y compris le dinosaure Beznau I.

Aucun remède contre la pénurie

Il faut plusieurs pages pour recenser tous les défauts de la centrale, la plus vieille au monde en activité. Aucune trace de la moindre solution pour gérer les déchets. Et les coûts du démantèlement ne sont pas compris dans le prix de l'électricité. Avec l'acceptation du concept Énergie 2050, le peuple a décidé de sortir du nucléaire. Une nouvelle construction prendrait facilement 30 ans et n'offrirait aucune perspective pour la pénurie de courant qui guette dans les prochaines années.

C'est encore pire du côté du «vieux fossile» du PLR Kurt Fluri. Il ne fait preuve d'aucune gêne au moment d'exiger que les personnes qui ne se sont pas vaccinées contre le Covid-19 devraient payer eux-mêmes les coûts en cas de maladie. Ou le président des Verts'Libéraux Jürg Grossen, qui souhaite un patch distinctif pour les soignants qui sont passés par la case piqûre.

Toutes ces prises de position contribuent à alimenter le fossé dans notre société. D'un côté, il y a celles et ceux qui exigent sans jamais se fatiguer que nous devons tous nous vacciner par solidarité et qu'il faudrait envisager des mesures coercitives (l'inverse même de la solidarité). De l'autre, il y a celles et ceux qui feraient absolument tout pour éviter le vaccin.

L'opposition est immense

L'opposition entre ces deux fronts est immense, bien plus que tout ce que nous connaissions jusqu'à aujourd'hui. Bien plus profond que le «Röstigraben». Bien plus profond que le clivage ville-campagne. Ce n'est pas une question de langue, de domicile, d'âge ou de religion — c'est quelque chose de transversal qui divise la population.

Voilà longtemps que le dialogue est rompu: nous ne nous comprenons plus. À travers le prisme des uns, tous les autres sont des complotistes. Nous avons un «Coronagraben», et il fait très peur. Si peur que notre priorité à toutes et tous devrait être de le combler ou, a minima, de construire des ponts. À ce titre, les discussions autour des centrales nucléaires n'aident en rien, mais sont moins dangereuses que les idées qui divisent encore davantage la population.

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