Irène Kälin
Pas une affaire de pommes de terre

Chaque semaine, la vice-présidente du Conseil national rédige une chronique sur la Suisse et ses spécificités. Quoi de mieux que de s'attaquer à l'un des mythes nationaux, le fameux «Röstigraben»?
Publié: 09.09.2021 à 13:22 heures
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Dernière mise à jour: 10.09.2021 à 09:49 heures
Irène Kälin

Röstigraben

Vous le savez désormais: ma chronique hebdomadaire s’appelle «Röstigraben». Cela fait bien quelques semaines que je la rédige — il est donc grand temps de se pencher sur ce terme qui peut paraître cryptique ou dérangeant. Car je n’aime pas les «fossés», et je suis d’avis qu’il faut toujours tout faire pour les combler; construire des ponts qui permettent d’enjamber ces fossés. Pour éviter qu’il y ait «un côté» et «l’autre côté».

Le «Röstigraben», c’est quoi? Un simple fossé géographique qui permet de mettre en évidence les régions linguistiques? Ou une séparation également culturelle? Politique? Culinaire? Ou alors ne serait-ce qu’un mythe que nous mobilisons volontiers — comme tous les mythes — quand bon nous semble et que cela peut servir notre propos?

Représentante des Verts, l'Argovienne Irène Kälin est vice-présidente du conseil National.
Photo: Keystone

Pas une affaire de pommes de terre

Wikipedia a beau ne pas être la source la plus fiable — et là-dessus les deux côtés de la Sarine sont probablement unis —, l’encyclopédie en ligne offre quelques lumières. Elle évoque le Röstigraben en ces termes:

«Röstigraben» /'ʁø:ʃtigʁɑ:bən/ (littéralement «fossé des Rösti» ; traduit par barrière des Rösti ou rideau des Rösti) est une expression d'origine suisse alémanique qui désigne les différences de mentalité, de langue et d'éventuels clivages politiques entre la Suisse romande francophone et la Suisse alémanique germanophone. Les rösti sont une galette de pommes de terre, typique de la Suisse alémanique.

Voilà qui ne m’aide pas vraiment. Cela ne peut pas vraiment être une barrière culinaire, parce que nous mangeons des röstis tant à Lausanne qu’à Zurich. Même si, et je le dis en tant qu’Alémanique, je n'ai aucune gêne ni ressentiment à avouer que l’on mange mieux de votre côté du Röstigraben.

Peu importe la localisation géographique ou la langue, je pense que l’on est, d'ailleurs, tous d’accord pour dire que les röstis ne volent pas bien haut culinairement. Mais bref, je m’égare. Le terme Röstigraben a beau avoir «rösti» en lui, ce ne sont pas des galettes de pommes de terre qui divisent les esprits de notre pays.

L'apéro, sport national des Romands

Permettez-moi toutefois une autre aparté dans le domaine «culturello-culinaire». Il suffit d’avoir une seule fois fait partie d’une association ou organisation à l’échelle nationale pour découvrir qui sont les premiers à l’apéro. Là où les réunions et séances sont aussi moins formelles et plus conviviales. Vous voyez bien sûr de quoi je parle: nous, Alémaniques, avons encore du pain sur la planche en matière de savoir-vivre. À commencer par servir autre chose que d’insipides chips et cacahuètes à l’approche de l’heure de l’apéro. Il va sans dire que les discussions aboutissent plus vite à un compromis lorsque l’on a un verre de vin à la main. Mais, avec tout mon respect pour l’un des «sport nationaux» des Romands, je viens d’un petit village en Argovie — je vous en ai déjà parlé — où l’on partage aussi cet amour pour les bonnes choses de la vie. Et pour l’apéro. L’heure du premier verre de vin ne suffit donc pas pour expliquer le Röstigraben.

L’existence de thèmes où les Romands sont plus progressistes, plus libéraux, plus ouverts, plus sociaux ou plus verts et qu’ils votent dans ce sens n’est pas un secret. Mais le fait que je m’identifie davantage dans les urnes à la Suisse romande ne fait pas pour autant de moi une Romande égarée — sinon, je serais du faux côté de la Sarine et la conservatrice Céline Amaudruz aussi (dans l’autre sens). Et même si j’aimerais me téléporter à Genève certains dimanches de votations et Céline sans doute à Oberflachs, je reste Argovienne au même titre que Céline reste Genevoise. Tout cela pour dire que le fossé ville-campagne est bien plus prégnant politiquement que le fameux «Röstigraben». Cela se traduit aussi dans le comportement électoral.

«Il faut promouvoir les échanges linguistiques!»

Reste la question de la langue. Je ne sais pas si vous avez déjà eu la chance de l’expérimenter, mais parler, penser et rêver dans une langue étrangère fait toute la différence. Car les langues que l’on ne connaît pas créé une distance, un fossé. Et les fossé divisent. Or, il y en a assez des divisions. Pour combler ce fameux Röstigraben, il faut construire des ponts. Et la langue en est un. C’est ce que font les villes bilingues qui enjambent cette barrière de rösti — en général avec un certain succès. Car lorsque l’on se comprend, on peut décider si l’on a envie de se comprendre ou non. On prend ses distances en connaissance de cause et pour de bonnes raisons, pas simplement parce que l’on ne se comprend pas en matière de langue.

Tout cela m’amène à une proposition: nous devons absolument promouvoir les échanges linguistiques. Surtout dans les écoles, parce que — c’est bien connu — c’est durant l’enfance que l’on apprend une langue le plus facilement. Et nous n’avons aucune excuse, parce que dans notre pays, «l’étranger» est incroyablement proche. Il suffit de traverser le Röstigraben. Je ne vois aucune raison pour que les enfants n’aient pas l’occasion de le faire et d’être confronté à l’autre langue dans le contexte scolaire. Chaque école devrait promouvoir et créer cette expérience linguistique. En s’affranchissant des barrières de langues, cela créé aussi des ponts en matière de culture. Cela permet de comprendre les finesses et subtilités de l’autre culture. Nous avons un pays extrêmement riche culturellement et nous devons en profiter.

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