Jamais mieux séduit que par soi-même #1
Malick Reinhard nous parle sexualité, handicap et amour

Le journaliste Malick Reinhard, dans cette mini-série, questionne le lien quasi intouchable entre vie sexuelle et handicap. Cette semaine, il s’intéresse à l’amour et ses différents enjeux.
Publié: 12.02.2022 à 18:01 heures
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Dernière mise à jour: 12.02.2022 à 18:09 heures
Malick Reinhard

À l’écriture de ces lignes, sans trop savoir pourquoi, le timbre voisé et la prononciation négligée de Serge Gainsbourg résonnent dans mon cortex. Tentateur, il chante «L’anamour». Aucun Boeing sur son transit, une euphorie bien délicate. Une invitation au printemps, soutenue par les premiers rayons aguicheurs du soleil de février qui traversent la fenêtre. Comme une renaissance, certes éphémère, mais vivifiante. Un retour à la Vie. L’Amour.

Les jours défilent sur le calendrier. Certains semblent ennuyants, d’autres au contraire paraissent carrément grisants. Je découvre la septième semaine de l’année, moitié d’un 14 février, résultat d’une célébration amoureuse. Amusé, tant par le côté futile que commercial de cette fête, je questionne la personne assise, là, dans le salon, bras croisés, jambes en tailleur et yeux rieurs. Sans détour, mais non sans amour, je lui demande: «Ça implique quoi pour toi de sortir avec moi?»

(Dé)bandante différence

Le temps s’arrête soudainement, lorsque, la télécommande en main, la victime de mon interrogation freudienne stoppe le flux audiovisuel qui s’échappe du téléviseur. En arrêt sur image, la mine ingrate de Shimon Hayut, «L’arnaqueur de Tinder», qui avait d’ailleurs visé une journaliste de Blick. Le hasard est donc décidément une finalité calculée fascinante. Merci Netflix. Reste toutefois à y répondre, à cette question de circonstance.

Parce que, c’est vrai, le contact de la peau, l’échange, la considération de l’autre, tout ce qui fait de l’amour cette chose aussi magique que tragique, reste une science inexacte. Peut-être abstraite. Alors, lorsqu’on y ajoute le paramètre rarement sexy du handicap, comment aborder cette (dé)bandante différence, en conservant toute la séduction nécessaire à ce partage humain?

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Afin d’en savoir un peu plus, dans le salon tamisé de ce milieu de soirée, je prends contact avec la papesse du sujet en Suisse romande, Catherine Agthe Diserens. Sexo-pédagogue, formatrice pour adultes, la Nyonnaise balance dans les librairies «Sexualité et handicaps, entre tout et rien…», aux éditions Saint-Augustin, avant d’en remettre une couche avec «Assistance sexuelle et handicaps», chez Chronique sociale. Bref, dans l’obscurité de la pièce à vivre, je comprends une chose: le sexe, le handicap et Catherine Agthe, c’est un trouple qui fonctionne. «Quand on parle de séduction et de handicap, il est d’abord important de définir quelle séduction et quel handicap, précise d’emblée la sexo-pédagogue. Pour un jeune homme paraplégique, qui est la star des handicaps, fit’, qui peut bouger, aller en soirées, il sera beaucoup plus simple de draguer qu’une personne alitée, sous respirateur et trachéotomie. Et ça, c’est une réalité, c’est culturel, humain.»

Le sex-appeal qui tombe à plat

Lorsqu’il y a différence, visible, le sex-appeal de la personne en situation de handicap tombe à plat, au «profit» d’une image de faiblesse, un point de vue validiste (on en a déjà parlé si souvent) motivé par la vision que la société dans laquelle nous vivons a de la déficience. J’ai beau ne pas être (encore?) alité et trachéotomisé, je me reconnais davantage dans cette définition que dans celle du paraplégique, superstar, mobile et sculpté. Pour ma moitié, dans son entier: «Dans notre relation, ce qui me plaît, c’est la qualité de l’échange intellectuel. On peut parler de tous les sujets, on peut débattre et se disputer au besoin. Si tu veux, dans la discussion, tu es probablement bien moins handicapé que d'autres personnes. Donc, c'est super enrichissant et c'est le principal dans une relation. Pour moi, on est un couple normal, qui utilise la différence pour écrire son histoire».

Dans les fameux rayons du soleil de février, Catherine Agthe confirme que, lorsqu’il n’y a pas de possibilité d’échanger, handicap ou pas, la relation s’essouffle. «Il faut reconnaître que, dans le jeu de l’amour, que ce soit dans des relations mixtes [où seulement l’une des personnes est en situation de handicap, ndlr.] ou «homogène», les personnes atteintes de handicaps physiques sont avantagées par leur faculté à charmer, draguer, faire de l’humour et surtout répondre aux codes sociaux. D’ailleurs, même après toutes mes années dans le milieu, je n’ai encore jamais rencontré de couple mixte où l’un des deux partenaires présente une déficience cognitive».

Elle note qui plus est que, chez cette population, souvent davantage institutionnalisée, les représentations de l’amour et de l’émancipation personnelle sont régulièrement biaisées par des schémas hétéronormés donnés par les éducatrices et éducateurs. «Ce week-end, avec ma femme…», «Hier, avec mon copain…» Toujours selon Catherine Agthe: «Cela propage une réalité selon laquelle il est impossible de se réaliser seul. C'est complètement faux!»

«Je crois qu’il n’y a rien de pénible à vivre cette relation»

J’observe le sourire niais du protagoniste de notre reportage Netflix. Et, sans m’en rendre compte immédiatement, je l’imite. Touché par l’appréciation de cette personne que j’aime… mais qui, bon sang, s’obstine à faire passer la télécommande du salon d’une main à l’autre, compulsivement. Ça n’est pas possible, un couple qui n’a pas de sujets sensibles, ça n’existe pas. Il doit bien y avoir quelque chose de rébarbatif à partager la vie d’un type dont les motoneurones sont si flemmards qu’ils lui imposent de se faire, quand ça gratte, grailler le nez par un tiers. Non!?

En parfaite Helvète, ma moitié tranche dans la nuance: «Non, je t’assure, je crois qu’il n’y a rien de pénible à vivre cette relation. Je crois juste qu’il doit y avoir, de temps à autre, des frustrations. Mais c'est normal. Par exemple, tu le sais très bien, faire une activité avec toi, cela prend plus de temps. Et puis, évidemment, je dois considérer le fait que, quand on est ensemble, je dois m’occuper physiquement de deux personnes: toi et moi».

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Au terme de notre visioconférence, Catherine Agthe et moi ne pouvons nous empêcher de philosopher sur cette réalité; s’occuper de l’autre, le vouloir, le faire, est-ce que ce n’est pas, finalement, le propre de toutes relations amoureuses ou sentimentales? N’est-ce pas, particulièrement sous la couette, que handicap et «validité» cohabitent le mieux, dans cette intimité, faite de désirs, de tendresse, mais aussi de craintes et de complexes? Ne sommes-nous pas tous égaux finalement dans le lit de l’autre? «Mais tu sais quoi, me glisse cet être qui ne fait désormais plus qu’un avec la télécommande, peu importe comment — et c’est ça l’important —, je t’aime».

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