Jamais mieux servi que par soi-même #22
Conscience [n.f.]: sentiment qui fonctionne aussi avec une espace bien placée

Le journaliste Malick Reinhard déconstruit, avec humour et philosophie, les clichés qui lui collent à la peau et pointe docilement du doigt la maladresse des «valides» face au handicap. Cette semaine, il se confie sur la mort actuelle de son système musculaire.
Publié: 06.11.2021 à 16:32 heures
Malick Reinhard

Je suis un tantinet superstitieux sur le sujet. Alors, on ne va pas l’écrire trop fort, d’accord? J’aurais peur de provoquer la colère du karma, des Dieux, de votre divinité préférée. Même si c’est un sujet que je ne peux pas ne pas aborder, dans cette déconstruction du handicap que nous menons chaque semaine. Donc, parlons-en. Mais, chut!

Retournons au 10 juillet 2021, si vous le voulez bien. Sixième chronique, je m’intéresse au traitement le plus cher du monde, celui qui pourrait améliorer mon diagnostic. Celui qui pourrait, dans le meilleur des cas, stopper la mort de mes motoneurones. Je claironnais fièrement que, non, merci, je ne suis pas malade, alors pourquoi prendre un médicament? Aujourd’hui, j’ai ma réponse.

Foutus (les) motoneurones!

Souvenez-vous, les motoneurones, ce sont des transmetteurs qui ont pour tâches de véhiculer l’information du mouvement, de votre cerveau (l’émetteur) à votre musculature (le récepteur). Chez moi, avec ma maladie (appelons un chat un chat), les fameux transmetteurs sont amenés à mourir de façon prématurée. Relation de cause à effet: le récepteur, ma musculature, qui cessera de recevoir des informations, finira par s’atrophier – ou bien «fondre», si vous préférez.

Photo: Thomas Meier

Nous voilà seize semaines plus tard. Et depuis quelques jours, je prends conscience que mes motoneurones s’épuisent un peu plus que d’habitude. Évidemment, tout comme un vieillissement, leur fatigue évolue un peu chaque jour. Mais, celle-ci est tellement lente qu’elle devient imperceptible. Pour exemple, lorsque je n’étais encore qu’un bambin, certes déjà sans pouvoir me mouvoir, dans un fauteuil roulant pensé pour les petites et petits êtres comme moi, j’éprouvais un plaisir fou à dessiner. Des BD, des dessins de presse (oui, déjà), des cartes de vœux: l’expression artistique était mon essentiel (Emmanuel Moire, le Roi Soleil, le braillait d’ailleurs à la radio).

Pourtant, aujourd’hui, je ne suis même plus capable de déplacer mon bras de trois millimètres. Quand ai-je perdu cette faculté? Impossible de vous la situer dans le temps. Encore une fois, comme un vieillissement, l’atrophie s’installe sans que l’on s’en rende compte. Et, aujourd’hui toujours, je ne regrette absolument pas cette période. Pas une once de nostalgie.

Copains comme la mort

Mais, revenons à mes copains les motoneurones. Car, comme je vous le disais, depuis quelques jours, ils ont décidé de s’engager dans un suicide collectif. Un quelque chose proche de l’ordre du Temple solaire. Des douleurs à n’en plus finir, un moral qui en prend un coup, des doutes, de la peur (surtout) et, pour la première fois, une fatigue accrue, constamment perceptible, à chaque mouvement effectué par ma mâchoire. Les salauds sont en train de tuer ma cavité buccale.

À ce propos, les fameux transmetteurs et la mort partagent pas mal de points communs. Comme cette dernière, on sent. Comme actuellement leur débandade flagrante, on la sent arriver, cette cessation de la transmission. Et puis, comme la mort, avec pour exemple mon histoire de dessins, lorsqu’elle est là (la cessation), on ne s’en rend pas compte. On fait avec. On adapte les palliatifs et on essaie d’inventer de nouvelles combines pour retrouver une vie «normale» faite de nouveaux paramètres.

Le bal des interrogations

Sauf que, quand un journaliste, animateur radio, devine la diminution prochaine de son tonus musculaire dans l’un de ses outils de travail, eh bien oui, il flippe. Sa race, même. Vais-je pouvoir continuer à faire mon travail, comme je l’aime? Vais-je pouvoir continuer à parler, sans que cela devienne usant? Je n’ai pas de réponse.

Ah oui, parce que c’est vrai, j’avais oublié; pour compliquer la chose, il arrive que les suicidaires de mon système nerveux décident de me faire peur durant quelques mois, avant de, soudain, remettre du charbon dans le moteur. Juste pour le fun. De quoi me plonger profondément dans le doute, l’hypervigilance, la somatisation et le déni.

Alors, est-ce que je vais définitivement perdre un peu plus de force dans mon système masticateur? Est-ce que ça va revenir? En attendant, est-ce que je dois commencer à faire un deuil? Mais bon, on est en novembre, la période des passages à vide, donc ça va refonctionner bientôt, non? Au moment où je vous partage ce(s) sentiment(s), je n’ai de réponses à aucune de ces interrogations qui me tarabustent. Cependant, désormais, une chose est sûre: oui, j’accepterai le traitement que me propose la médecine. Mais, n’oubliez pas, chut!

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