Jamais mieux servi que par soi-même #29
Repas de fête [n.m.]: ça va gueuler, mais bon, il faut y aller pour mémé

Le journaliste Malick Reinhard pointe docilement du doigt la maladresse des «valides» face au handicap. Cette semaine, il commente ses repas de Noël, où la transmission de sa maladie devient souvent le sujet principal des convives.
Publié: 25.12.2021 à 15:45 heures
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Dernière mise à jour: 25.12.2021 à 15:56 heures
Malick Reinhard

Bon appétit, si vous êtes à table. Joyeuses fêtes. Et à l’année prochaine! Mais non, bien sûr que non… Votre chronique du samedi reste fidèle au poste durant cette période magique des orgies alimentaires. Car, même durant celle-ci, eh bien, finalement, on n’est quand même jamais mieux servi que par soi-même.

J’ai toujours été fasciné par les repas de Noël. Leur propension quasi absolue à déraper, sempiternellement, sur les mêmes sujets. De la dernière votation populaire au wokisme (en exclusivité cette année), en passant par l’avis de tonton sur le prochain F-35 de l’armée suisse ou celui de cousine sur la xénophobie latente de grand-papa, comme chaque année, on y aura droit. «Mais tu penses vraiment que c’est pas Christine Vuillemin qui a tué le petit Grégory?» Et là, c’est le drame. Champagne.

Le Cluedo de la génétique

Aussi fascinant, pour ma part, la facilité avec laquelle, lors de chaque repas de Noël, mon handicap, d’origine génétique, déchaîne les foules. Celui qui, 364 autres jours par an, n’est qu’une «petite malchance», se transforme, aux douze coups de minuit, en une maladie héréditaire dont l’adjectif qualificatif devient, de façon éphémère, le pire des affronts.

Ainsi, entre la dinde aux marrons et la bûche… aux marrons, concours de châtaignes pour finalement basculer dans une joute verbale, option «verre dans le nez» comprise (Cabernet, s’il vous plaît). Et, ça y est, Noël peut enfin commencer: le réveillon prend de joyeux airs de Cluedo. Qui est donc coupable de la transmission de ce gène misérable? Le moyen de transmission, lui, est déjà tout trouvé. Restent le lieu et les protagonistes. À qui la faute? Pas à mon père, pas à ma mère, a dit Le Forestier. Bon, eh bien, on cherchera plus loin, merci. Mais, alors, qui, mais qui, a donc transmis l’anomalie à ma génitrice et mon géniteur?

Comment une personne originaire d’Afrique de l’Ouest a pu en rencontrer une, quelque 6271 kilomètres plus au nord (j’ai calculé), qui partage exactement la même anomalie génétique? On appelle déjà ça l’âme sœur? Pas encore? «Mais, alors, pourquoi son frère, lui, n’a rien eu? C’est quand même pas du hasard.» Ah bah si, peut-être. Une chance sur cent-mille, même. Comme celle de partager une anomalie commune. La voilà, la genèse du conflit de Noël. Tout est de la faute de ce foutu hasard. Et Einstein qui disait que c’est Dieu qui se balade incognito. On dira que c’est tout à fait relatif.

«De toute façon, j’aurais mieux fait d’avorter»

C’est l’heure du dessert. La surcharge pondérale, propre et figurée, attaque chacune et chacun des convives. Et moi, au milieu, objet principal de la joute, je regarde le combat se mener. Sans la moindre arme ni attaque. Ni parole, d’ailleurs. La sauce monte. La moutarde aussi. On accuse. On juge. Emprunts de rancune et de pourquoi. Le fond du vin dans les verres prend soudain un goût amer. Le smartphone, jeté sur la table. «De toute façon, j’aurais mieux fait d’avorter», finit par hurler en pleurs ma génitrice. Les dés sont jetés. Poussée à bout, elle gagne la partie. Nous met toutes et tous au tapis. Quand le gène crée la gêne. Silence.

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Et puis, tel un soufflet, tout retombera. À cet instant où grand-maman nous offrira à chacune et chacun l’orange de Noël. «Son» orange. Alors, sur les notes de celles du marchand, tribunal musical, on se dira «allez, sans rancune», juste avant les accolades, les bises franches, mais distancées, et les «mets une veste, ‘fait quand même pas chaud dehors». Les coupables? Restés introuvables. Tant pis. On réessayera l’année prochaine. Allez, joyeux Noël!

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