Jamais mieux servi que par soi-même #31
Temporalité [n.f.]: caractère de ce qui possède une existence dans le temps

Le journaliste Malick Reinhard pointe docilement du doigt la maladresse des «valides» face au handicap. Cette semaine, il observe le rapport singulier que peuvent avoir au temps les personnes en situation de handicap.
Publié: 08.01.2022 à 18:18 heures
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Dernière mise à jour: 18.01.2022 à 08:18 heures

Vous avez cinq minutes? C’est pour une chronique. Vraiment, je ne vous prends pas beaucoup de votre temps, précieux. Promis. C’est juste que, chaque année, au moment des vœux de l’an nouveau, on semble toujours remettre en question la vitesse subjective de l’écoulement des jours. «Y’a p’us de saison, ma bonne dame!», «Purée, ça fait d’jà trois ans, c’te histoire!?», «Ça file… mais ça file!»

Mais il faut aussi reconnaître que, paradoxalement, depuis mars 2020, le temps semble s’être arrêté. Suspendu. Dans le temps. Tic… Tac… Parler du Covid, cela serait pratiquement devenu un TOC. Comme par magie, celui-ci a, pour ainsi dire, remplacé nos échanges phatiques sur la météo. Le temps. Qu’il fait. Eh oui, encore lui. À tout instant.

«Combien de temps pour…»

Le temps, cette fameuse dimension, selon laquelle s’opère tout changement, m’a toujours fasciné. Subjectif. Et, à la fois, tellement figé. 24 heures. 1440 minutes. 86 400 secondes. Une marge durant laquelle il va falloir placer «toutes ces choses qu’il faut faire». Alors, quand on est en situation de handicap, on a forcément un rapport biaisé à la temporalité. Comment «tout faire» en deux tours de cadran, quand une simple douche prend déjà une heure?

Faisons un peu de ressources humaines (personne n’a dit que cette chronique deviendrait fun en 2022). Mon taux de travail est actuellement d’environ 60%. Soit 27 heures hebdomadaires consacrées au journalisme. Pourtant, ce n’est pas faute de vouloir faire plus, non. Mais, soyons réalistes. Si je souhaite pouvoir conserver ce pourcentage, je dois impérativement consacrer 20% supplémentaires à la gestion des huit auxiliaires de vie qui rendent cela possible. Nous atteignions les 80%. Pour pouvoir en faire soixante.

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Quid du reste? Le reste, vous savez: l’hygiène, l’alimentation, la logistique, les choses de la vie. Dans le système helvétique des assurances sociales, l’assurance invalidité (AI) finance, par le biais d’une rente, la perte de gain causée par cette logistique chronophage. Pour ce faire, elle se base sur un minutage. Un mot tout à fait mignon, n’est-ce pas? «Combien de temps pour…», telle est la question. Alors, essayons quelque chose. Comparons notre gestion, probablement très inégale, de la notion du temps. Ci-dessous, quatre questions. Tâchez d’y répondre avec un maximum de franchise:

  • Combien de temps prenez-vous quotidiennement pour votre hygiène? Une douche, par exemple.
  • De combien de temps avez-vous besoin quotidiennement pour manger? Matin, midi et soir additionnés, on s’entend.
  • Intéressons-nous à votre habillage. Quel temps vous faut-il pour vous saper?
  • Et puis le soir, combien de temps prenez-vous pour vous coucher?

Le temps, c’est de l’argent

Un brin naïf comme questionnaire, n’est-ce pas (vous trouverez mes réponses en note de bas de page)? Pourtant, je me suis levé cette semaine à 6h30, pour être prêt à travailler aux alentours de 9 heures. Jusqu’ici, rien de transcendant. Mais j’ai oublié de vous dire que je suis actuellement en télétravail. Pas de temps de déplacement, donc. Je n’ai pas eu le temps de déjeuner, non plus. Juste celui de boire un café, en vitesse, avant mon premier rendez-vous. Alors, résumons: pas de déplacement, pas de petit-déjeuner, une tenue décontractée, tout au plus, une douche «rapide» et un brossage de dents. 2h30, pour la moindre de l’hygiène. Pour le minimum syndical du confort et du respect de soi et des autres.

Pour un repas, ce sera la même. Manger sur le pouce: impensable. Il me faudra au minimum cinquante minutes. Et puis, se préparer pour dormir, voilà qui n’est pas trop difficile. Mais c’est sans compter sur le reste (comme le temps, il revient toujours): me passer du fauteuil roulant aux toilettes (+5 minutes), puis des toilettes au lit (+5 minutes), puis me déshabiller (+10 minutes), avant de me positionner confortablement pour dormir (+5 minutes). Total: 25 minutes. Et vous?

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Et j’oublie volontairement dans ce calcul mes deux heures de physiothérapie hebdomadaires, mes temps de déplacements en transports publics, un tantinet de temps libre et des heures de sommeil. L’AI m’octroyant 242 heures d’assistance (nuits comprises) par mois, il va falloir être prudent sur le nombre de cafés. Pour indice, une semaine entière dispose de 168 heures. C’est moins de la moitié de ce qui m’est donné pour garantir mon autonomie, mensuellement. Le temps, c’est donc bien de l’argent?


Note de bas de page

Malick a également répondu aux questions posées. Voici ses estimations:

  • Temps nécessaire moyen pour une douche: environ une heure (du déshabillage à l’habillage)
  • Temps nécessaire moyen pour trois repas journaliers: environ 1h50 (petit-déjeuner: 20 minutes; dîner: 40 minutes; souper: 40 minutes)
  • Temps nécessaire moyen pour l’habillage: env. 20 minutes (+10 minutes d’installation dans le fauteuil roulant)
  • Temps nécessaire moyen pour se coucher: env. 25 minutes
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