Jamais mieux servi que par soi-même #40
Humour [n.m.]: ne plus dire «camion», pour ne plus être «pouet-pouet»

Le journaliste Malick Reinhard pointe du doigt la maladresse des «valides» face au handicap. Cette semaine, 1er avril oblige, il se demande si, oui ou non, l'on peut rire de celui-ci.
Publié: 02.04.2022 à 20:56 heures
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Dernière mise à jour: 05.04.2022 à 15:03 heures
Malick Reinhard

Nous sommes le 2 novembre 2011. Dans les salles obscures, la francophonie découvre l'histoire de Philippe Pozzo di Borgo et son nouvel auxiliaire de vie, Bakari «Driss» Bassari. Intouchables vient séduire le cœur des gens en racontant, avec profondeur, le récit d'un homme devenu tétraplégique complet à la suite d'un accident de parapente et sa relation avec son accompagnant, un jeune homme des banlieues, initialement désintéressé par le handicap. Larmes larmes larmes larmes larmes...

C'est peut-être un détail pour vous – vous l’aurez dans la tête pour le week-end, ne me remerciez pas –, mais, de mon côté, c'est ce jour-là que mes proches et moins proches ont estimé que me hurler à tout bout de champ «Pas de bras… pas de chocolat», sans contexte ni raison, serait un trait d'esprit qui fait mouche *placer mon faciès méprisant ici*. À l'échelle de 2022, voyez ça un peu comme le dernier trend TikTok – que même Roselyne Bachelot, docteure en pharmacie et actuelle ministre française de la Culture, se sentirait légitime à suivre et poster sur «l’internet».

Hier, nous avons traversé, sans trop de difficultés, le 1er avril de cette nouvelle année. Peut-être aussi en raison de la polarisation des idées et la tension qui plane. Il y a quelques mois, mon collègue, Amit Juillard, s'étranglait devant l'imitation d'une personne asiatique, possiblement maladroite, de l'humoriste Claude-Inga Barbey. Dans le même registre, je me suis demandé si, oui ou non, on osait rire du handicap. Pourquoi? Comment? Où? Parce que? Vous connaissez maintenant mon intérêt pour les questions qui rendent mal à l'aise; la crédibilité du travail de philosophie d'Alexandre Jollien en tête. Dommage que celui-ci ait décliné ma demande d'entretien. Une autre fois, espérons-le.

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Mais, bon, si on en revient au sujet, je ne vous le cache pas: des humoristes, en situation de handicap, en Suisse romande, autant dire qu'il n’y en a pas des masses. Un jour, il y a 6 ou 7 ans, j'ai voulu me lancer dans le stand-up, notamment pour cette raison. Une moitié de spectacle écrite, une première scène bookée... Et j'ai quand même renoncé, rattrapé par mon «vrai» métier et une «opportunité professionnelle qui ne se refuse pas» – comme disent les personnalités publiques qui veulent entretenir un suspens dont tout le monde s'en tape.

«C’est comme les crevettes roses, tout est bon, sauf la tête»

En potassant «l'internet» de Roselyne Bachelot, je me suis rappelé un sketch écrit et interprété par Patrick Timsit, au début des années 1990. «Les mongoliens, c'est des prototypes. On s'en sert pour prendre des pièces détachées. C'est comme les crevettes roses, tout est bon, sauf la tête», lance le Français avant de se lécher les doigts. Jugé pour cette punchline en 1999, aucune image du sketch n’existe sur le web.

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«Aujourd'hui, j'ai l'impression que le handicap, c'est devenu un peu le fonds de commerce des humoristes qui veulent choquer, me raconte l’humoriste Thomas Wiesel, qui nous a bien fait rire avec sa prise de position sur la baffe de Will Smith à Chris Rock aux Oscars. La façon dont on traite du handicap, Dieu merci, cela a changé. Il y a 20 ans, effectivement, Timsit ou Elie Semoun imitaient des personnes en situation de handicap, assez gratuitement. J'ai revu un de ces sketchs, il y a deux ou trois ans à Paris, et, dans la salle, ça riait nettement moins. On sentait un malaise.»

Thomas Wiesel, il est plutôt bien placé pour parler du sujet. Il y a bientôt 40 ans, sa mère, infirmière de formation aux multiples métiers, fondait lʹassociation Handicamp, dont le but est de réunir des enfants avec et sans handicap durant les vacances.

Entre humour «spécialisé» et vie privée

Quatre décennies plus tard, le Lausannois participe toujours activement à cette aventure. Dans son spectacle, dont la dernière en date a eu lieu il y a quelques jours, il parle brièvement de handicap, «mais pas plus que ça». Lui, «valide», qui fait des blagues sur le handicap, sans préciser son lien avec celui-ci, il ne trouve pas cela franchement pertinent. Par contre, durant les camps de vacances: «On déconne vraiment, sans distinction de conditions physiques ou mentales. Des fois, c'est trash et c’est parfois choquant pour des personnes qui ne connaissent pas notre complicité. Mais, durant ces semaines, c'est ma vie privée, je suis avec des potes, on est entre nous et je ne vais pas avoir le même comportement sur scène, dans mon travail.»

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Désormais, dans le stand up, on semble aborder le handicap de façon plus «responsable» et «spécialisée», pense Thomas Wiesel. Au même titre que le féminisme, la religion ou les comportements extrémistes. Mais, alors, pourquoi parle-t-on davantage de féminisme que de handicap, sur les scènes? «Tout simplement parce que, pour le moment, les personnes en situation de handicap sont nettement moins médiatisées, observe le chroniqueur de la Présidentielle pour L’Illustré. Donc, pour la majorité des humoristes, qui sont souvent blancs, hétéro', privilégiés et diplômés d’HEC, c'est galère d'avoir des éléments pour en parler justement.»

En Suisse, il ne reste plus qu'à espérer que des humoristes, directement concernés par la thématique du handicap, se fassent une place dans le petit monde de l’humour professionnel. Au-delà de nos frontières, en France, il est rassurant d’observer une percée de nouveaux talents qui viennent dédramatiser leur situation, à l'image de Guillaume Bats – dont les représentations sont souvent complètes – ou le jeune Quentin Ratieuville. Sans oublier Patrick Timsit et Elie Semoun.

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