Jamais mieux servi que par soi-même #8
Autisme [n.m.]: trouble neurodéveloppemental dont les symptômes rappellent les gestes barrières

Le journaliste Malick Reinhard déconstruit les clichés qui lui collent à la peau et souligne la maladresse des «valides» face au handicap. Il s’intéresse cette semaine, au travers de la série Netflix «Atypical», à la «star» des déficiences: l’autisme.
Publié: 24.07.2021 à 10:35 heures
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Dernière mise à jour: 31.07.2021 à 14:13 heures
Malick Reinhard

Films, séries, pièces de théâtre, conférences, reportages… Ces dernières années, l’autisme est devenu la bête curieuse du handicap, le péché mignon de la pop culture, la star des déficiences – les mugs et t-shirts casques antibruits sont attendus pour l’an prochain (c’est une boutade). En bref, les troubles du spectre de l’autisme (TSA) attisent désormais la curiosité de celles et ceux qui ne sont pas concernés, les «neurotypiques».

Comme exemple récent, on trouve dans le catalogue du géant Netflix la série «Atypical», qui s’est achevée, après quatre saisons, le 9 juillet dernier. Depuis 2017, le programme original conte, en un récit initiatique, «l’histoire de quelqu’un à la recherche de l’indépendance et de l’amour, mais pas de ce point de vue spécifique», précise sa productrice, Robia Rashid, dans une interview pour le magazine «Vulture».

Car, oui, si vous ne l’avez pas déjà vue, «Atypical» narre l’émancipation de Sam Gardner, un jeune homme de 18 ans, qui vit avec un TSA et espère trouver une petite amie. Sa mère, son père, sa sœur cadette et son meilleur ami, toutes et tous très protecteurs à son égard, doivent alors revoir leur définition de la «normalité» et laisser l’adolescent faire ses propres expériences, sans que leur bienveillance ne devienne un handicap supplémentaire pour lui.

Photo: Thomas Meier
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Une vraie série d’autiste?

Mais, alors, «Atypical», une vraie série d’autiste ou pas? Pour comprendre si le format américain reflète congrûment la réalité, j’ai décidé de poser la question à une personne directement concernée par le trouble. Cette personne, c’est Romane Garcia, elle a 25 ans. Celle qui vit avec un autisme à haut niveau de fonctionnement (anciennement appelé autisme Asperger, ndlr.) étudie la pédagogie curative clinique et l’éducation spécialisée à l’Université de Fribourg. Pour Blick, elle a accepté de confronter son histoire avec celle de Sam.

Le TSA avec lequel est née Romane, contrairement à celui présenté par le protagoniste du programme, lui a été diagnostiqué à l’âge adulte, il y a trois ans. «Sam est reconnu autiste depuis tout petit. Mais nous avons un trouble identique. Même si j’ai pu remarquer que ça ne se présente pas pareil chez chacun», raconte la Lausannoise. Pour Delphine Hirschy Farris, psychologue et éducatrice spécialisée au Service d’évaluation et d’intervention genevois en autisme (SEIGA): «L’autisme, et particulièrement la forme portée par Sam, se caractérise tout à fait différemment entre les hommes et les femmes. Chez lui, par exemple, on observe une grande difficulté à entrer dans le contact social, quitte à devenir involontairement méchant avec les autres».

Chez l’étudiante, cette méchanceté involontaire n’existe pas. Toutefois, «pour moi, c’est un réel effort de me mettre constamment au même niveau que les autres. Je ne suis ni plus haut ni plus bas. Mais à côté. Il m’est difficile de comprendre le langage implicite et je ne sais pas détecter le deuxième degré», explique-t-elle. Par contre, pour Romane, à force d’observation, il est désormais possible d’imiter les convenances sociales neurotypiques, mais sans vraiment comprendre leurs sens. Avant d’ajouter que cette «compensation» est extrêmement éreintante pour elle.

Une série fidèle à la réalité

Cependant, entre l’histoire de Romane Garcia et la fiction signée Netflix, il n’y a pas que des dissemblances. Pour la Lausannoise active dans le conseil des jeunes de sa ville, tout comme pour Gardner, l’hypersensibilité sensorielle (les bruits parasites, le toucher, etc.) et la crainte de l’inconnu sont de réels handicaps.

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Dans la troisième saison d’«Atypical», Sam Gardner entre à l’université et redoute le lot de nouveautés et d’inconnues que va générer cette nouvelle étape de sa vie. «Tout comme lui, je suis allée visiter ma nouvelle université, avant le premier jour officiel. Mais j’aurais aimé que mon intégration se passe aussi facilement que dans la série», tempère Romane.

Pour remédier à cela, la jeune femme a récemment développé, de concert avec son lieu d’études, la plateforme Autism&Uni, qui a pour intérêt de soutenir les étudiantes et étudiants concernés par le TSA. «Dans l’histoire, Sam se rend dans un simple bureau et, tout de suite, on lui propose un groupe de parole constitué d’autres neuroatypiques. Dans la réalité, en Suisse en tout cas, ce n’est pas simple. Pour beaucoup de personnes, cette étape représente une épreuve, qu’il n’est pas toujours possible de surmonter», prévient Delphine Hirschy Farris. Pour exemple, Romane a fait le choix de passer son Bachelor en six ans, au lieu des trois attendus.

Oui, mais…

Évidemment, le format présente des défauts, aux yeux de la passionnée d’origami. Quels sont-ils? «De nouveau, la série nous montre un homme, blanc, cisgenre, hétéro et à la structure familiale normative, commente Romane. Moi, par exemple, depuis quelques années, je me définis comme asexuelle. Et, ces différences de genres ou d’orientations sexuelles, ce n’est pas rare dans la communauté autiste». Delphine Hirschy Farris confirme: «Selon plusieurs études, il est rapporté que, parmi les personnes atteintes de TSA, il y a une plus grande diversité, car moins de pressions sociales ressenties et donc plus de place laissée à la découverte, sans peur du jugement». Alors, Romane regrette que cette diversité ne soit pas davantage soulignée.

L’universitaire regrette aussi que l’acteur qui incarne Sam Gardner dans «Atypical», Keir Gilchrist, ne soit pas lui-même concerné par l’autisme. Elle relativise cependant: «À partir de la troisième saison, la production a fait l’effort d’intégrer au casting des actrices et acteurs véritablement autistes, et ça, c’est une bonne chose».

Romane, qui sortira de convalescence, à la suite d’une intervention chirurgicale, lundi, reprendra prochainement le chemin de l’université pour encore un an et demi. Blick lui souhaite une excellente fin de rétablissement. «Atypical», quant à elle, s’est terminée le 9 juillet passé sur des notes que je me retiendrai de spoiler ici. Courez donc voir cette série, qui, peu importe ce que vous en penserez, vous touchera… pardon, vous poussera à l’introspection.

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