Philippe Amez-Droz
Elon Musk rachète Twitter: un pari gagnant à double titre?

Ancien journaliste, Philippe Amez-Droz est chargé de cours au Medialab de l'Université de Genève. Pour Blick, il analyse comment le rachat de Twitter par Elon Musk pourrait rebattre les cartes dans le monde des réseaux sociaux, de l'influence et de la politique.
Publié: 27.04.2022 à 08:33 heures
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Dernière mise à jour: 27.04.2022 à 09:56 heures
Philippe Amez-Droz

Avez-vous vu «Le Roi et l'Oiseau», film français d'animation de Paul Grimault avec un scénario de Jacques Prévert, inspiré d'Andersen, et sorti au cinéma en 1980? Vous rappelez-vous du personnage inquiétant au cœur de l'histoire? Il s'agit du roi Charles-V-et-trois-font-huit-et-huit-font-seize qui règne en despote sur le royaume de Takicardie. Quel rapport avec Elon Musk me direz-vous?

L'entrepreneur vient de racheter le réseau social Twitter (celui qui a un oiseau pour logo) pour la modique somme de 44 milliards de dollars, dont 21 milliards d'apport en fonds propres. Cela ne constitue que le dixième de la fortune de l'homme considéré comme le plus riche du monde. Il est aussi largement admis qu'il agit en mégalomane tyrannique. Le récit du management de ses entreprises le décrit comme un bourreau de travail, incontestablement visionnaire, qui exige le meilleur de ses troupes jusqu'à l'épuisement et le licenciement.

Un rachat qui défend la liberté d'expression?

Ses convictions libertariennes, et sa proximité avec le Parti républicain, provoquent des sueurs froides dans le camp démocrate qui craint le retour sur la plateforme de l'ancien président Donald Trump, éjecté de Twitter après la tentative de putsch lié à l'assaut du Capitole le 6 janvier 2021.

L'économiste de médias Philippe Amez-Droz analyse le rachat de Twitter par Elon Musk.
Photo: Blick_Suisse romande

Pour d'aucuns, l'affirmation qu'il rachète le réseau social pour défendre la liberté d'expression sonne en creux. Celui qui twitte selon son bon plaisir et fait volontiers trembler l'establishment financier n'a-t-il pas supprimé le service de presse de Tesla estimant qu'il était le seul et unique porte-parole de la marque? En définitive, Elon Musk fait un pari qui pourrait se révéler gagnant à double titre.

Économiquement, en premier lieu: le réseau social Twitter ne compte que 217 millions d'actifs réguliers (quotidiens) dans le monde, contre 1,92 milliard pour Facebook, un milliard pour TikTok, 500 millions pour Instagram et 332 pour Snapchat1.

Devenu unique propriétaire, Elon Musk dispose des pleins pouvoirs pour annoncer la révolution du modèle d'affaires qui repose aujourd'hui à 90% sur la publicité et l'exploitation des données personnelles. En 2021, la plateforme à l'oiseau avait réalisé un chiffre d'affaires de cinq milliards de dollars - issu pour 4,5 milliards de la seule publicité – et une perte opérationnelle de 221 millions.

Assainir le modèle économique de Twitter

En annonçant qu'il dévoilerait l'algorithme de Twitter et proposerait une formule d'abonnement payant, Elon Musk titille l'intérêt des marques qui n'ont d'yeux aujourd'hui que pour TikTok, le concurrent chinois, et ses jeunes utilisateurs.

Le modèle d'affaires annoncé, qui serait plus transparent quant à la réalité des audiences, lutterait contre les robots et autres formes de manipulation du trafic qui caractérisent le marketing d'influence, se rapproche en fait de celui de LinkedIn, propriété de Microsoft.

Avec ses 260 millions d'utilisateurs par mois, la plateforme professionnelle propose un modèle d'affaires d'accès gratuit avec publicité, combiné à un modèle dit Premium comprenant quatre niveaux de prix, de 30 à 120 dollars aux États-Unis2. Ce versioning, comme on le dénomme en économie des médias, est à la base de la monétisation des contenus numériques. Il est fort à parier que, riche de ses expériences, l'entrepreneur Musk sorte rapidement Twitter des chiffres rouges pour la transformer en machine à cash.

Une rampe d'accès à la Maison-Blanche?

Politiquement enfin. Avec ses 84 millions de followers, Elon Musk talonne les 89 millions dont disposait le président Trump au moment de sa gloire. L'influence tirée des tweets est sans nul doute une motivation pour l'homme Musk, qui expliquait en mai 2021 à la télévision souffrir du syndrome Asperger et, en conséquence, connaître de grandes difficultés dans les relations sociales. La distanciation que permet la plateforme à l'oiseau lui apporte un moyen de communication pratique et protecteur. Être le propriétaire de l'oiseau lui offre une perspective plus redoutable encore.

Dans une chronique, le correspondant du quotidien français «Le Monde» Arnaud Leparmentier, écrivait «Elon Musk est devenu le premier opposant à Biden». Les attaques du quinquagénaire Musk sur l'âge du président Biden, 79 ans, ont fait l'objet de tweets féroces qui expliquent, aujourd'hui, les leviers de bouclier dans le camp démocrate.

Hostile aux syndicats, à l'instar de Jeff Bezos, autre multimilliardaire qui s'est offert avec les revenus d'Amazon une marque média de renom, le Washington Post, Elon Musk veut régner en maître sur ses entreprises et cultive l'esprit des pionniers. N'est-il pas lui-même un pionnier de l'espace qui rêve de Mars? À moins que, en définitive, il ne s'envole tel l'oiseau vers la Maison-Blanche.

1. Source: statista.com, janvier 2022
2. Source: kynsta.com

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