36 °C à Sion
«Je me suis fait tatouer un caquelon à fondue sur le bras!»

Une vague de chaleur vient tout juste de débarquer dans toute la Suisse romande. C'est à Sion qu'il fera le plus chaud. Direction le Valais pour voir comment les gens supportent la fournaise. Reportage.
Publié: 17.06.2022 à 17:21 heures
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Dernière mise à jour: 23.06.2022 à 12:29 heures
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Valentina San MartinJournaliste Blick

Oyez, oyez populace, préparez-vous à transpirer, il fera jusqu’à 36 °C ce week-end! Lausanne et Genève ont même déclenché une alerte canicule et ont invité à se protéger du soleil et à s’hydrater suffisamment.

Au moment d’apprendre la nouvelle, une petite voix résonne dans ma tête: «Chez nous, il fait toujours 4 °C de plus et vous êtes tous jaloux! Valais gravé dans mon cœur!» C’était l'un de mes anciens copains d'uni qui m’avait balancé ça en pleine face alors que je m’amusais à le taquiner. Ni une ni deux, je décide donc d’embarquer ma crème solaire indice 50 (peau laiteuse oblige) et mon brumisateur de poche. Me voilà en route pour Sion.

Avant mes aventures, je décide tout de même de lancer à un coup de fil à celui qu’on appelle «Robin Météo», un passionné de… météo pardi! Il se trouve que le jeune homme de 20 ans est Valaisan. Coïncidence? Je ne crois pas non! «Dans toute la Suisse romande, c’est dans le Valais central qu’il fera le plus chaud. La température grimpera jusqu’à 36 °C. Parce qu’il y a une zone bâtie dense et que c’est très bétonné, il fera aussi vraiment chaud à Genève, jusqu’à 35 °C.»

Patrick Schuppli est tenancier du restaurant Le Vieux-Valais et une personnalité connue dans la région.
Photo: Valentina San Martin

The place to be: la Place de la Planta

Apparement, l’endroit où il faut aller pour trouver du monde à qui parler à Sion, c’est la Place de la Planta. D’après Google Maps, le trajet à pied ne me prendra que huit minutes depuis la gare. En plus, c’est à plat. Parfait. Il fait déjà 26 degrés et si j’ai quitté Lausanne pour un reportage en Valais, c’est pas pour me défoncer les cuissots en pente!

Sur place, je jette mon dévolu sur la station SionRoule. Là, Edgar, 62 ans, et Christian «qui a 20 ans depuis 30 ans» m’attentent sous deux parasols. «On a allumé le chauffage aujourd’hui», lance Edgar avant d’ajouter: «On a appelé le mec avec la turbine pis on lui a dit de monter à 38 °C!»

Un stand de vélo tenu par Edgar et Christian sur la Place de la Planta.
Photo: Valentina San Martin

Les deux acolytes qui louent des vélos tout l’été me proposent de quoi m’hydrater. «Tiens une bouteille d’eau. Par contre on n’a pas de verre donc si ça ne te dérange pas, tu peux boire à la bouteille. On boira après toi. Nous, on s’en fout», lance Christian avec un sourire amical. «Oh Edgar! Faudra penser à acheter des gobelets en plastoc!»

Christian, qui a «20 ans depuis 30 ans» (à gauche) et Edgar, 62 ans (à droite).
Photo: Valentina San Martin

Pour le moment, la chaleur est vivable, il n’est que 10h30. «C’est cette après-midi que ça va être compliqué. On a prévu un jet pour mouiller les pavés. C’est ça qui fait qu’on a chaud. Pis l’après-midi, on se réfugiera à l’intérieur», m’explique Edgar. Avant de partir, il me conseille de me rendre «chez Schuppli» au restaurant Le Vieux-Valais. «C’est le personnage emblématique de la Vieille-Ville. Il a plein de tatouages dont un caquelon, je crois. Attends, je l’appelle pour voir s’il est là». Visiblement, «Schuppli» n’est pas au resto, il arrive à 11h30.

Avant de m'en aller, Edgar propose de passer un coup de fil à un restaurateur connu de la région qui serait d'accord de me parler.
Photo: Valentina San Martin

Il n’est que 11h00, je décide donc de faire un tour au marché avant d’aller au restaurant Le Vieux-Valais.

Une balade dans la Vieille-Ville

Sur ma route, je tombe sur un tout petit stand de fruits. Les deux jeunes qui gèrent l’étalage me paraissent occupés. Eh oui, au vu du beau temps, tout le monde s’est donné rendez-vous au marché. Et comme hier c’était la Fête-Dieu en Valais, et donc un jour de congé, plein de gens ont fait le pont.

- Bonjour, je suis journaliste et je fais un reportage sur la canicule à Sion. Vous avez deux minutes pour moi?
- Mais bien sûr! On a tout le temps du monde! On répond à toutes tes questions et on est d’accord d’être pris en photo!
- Ah oui, ça ne vous dérange pas?
- Boh rien ne nous dérange ici! On accepte tout. Pour dire, quand il nous reste des cerises, on les troque avec des trucs qui viennent d’autres stands.
- Ah oui?
- Oui! On prend parfois du pain à la cave à levain et ils font même des gâteaux avec nos fruits!

Juliette, 28 ans (à gauche) et Benoît, 26 ans (à droite), vendent de fruits et légumes mais surtout beaucoup de cerises.
Photo: Valentina San Martin

Juliette et Benoît tiennent ce stand depuis peu. Juliette m’explique que son arrière-grand-mère vendait aussi des fruits et qu'elle a décidé de reprendre le flambeau en voyant que personne n’exploitait les cerisiers de son jardin. Je lui demande si elle supporte cette chaleur, parce que moi, je commence déjà avoir des auréoles de 20 centimètres de circonférence sous les aisselles… «Là, ça va, on a réussi à négocier une place à l’ombre. Mais c’est pendant la cueillette que c’est compliqué. J’ai des chutes de pression et je vois des points blancs, quoi», rigole-t-elle.

Le boss et son caquelon tatoué

Il est déjà 11h50 et je suis en retard pour rencontrer «Monsieur Schuppli». Je me dépêche donc d’aller dans l’un de ses trois restaurants. J’ai cru comprendre qu’il a été informé de ma venue.

Le restaurant sudénois, Le Vieux-Valais.
Photo: Valentina San Martin

Au moment d’arriver, une serveuse m’informe qu’elle va appeler le fameux «Schuppli». En attendant, elle me propose un verre de Petite Arvine. C’est à peine midi et je n’ai qu’une madeleine, un café et un verre d’eau dans le bide. Ça promet.

Et une Petite Arvine, une!
Photo: Valentina San Martin

Une poignée de minutes plus tard, «Schuppli» arrive. Je décide d’y aller franco: «Bonjour M’sieur Schuppli, c’est vrai que vous avez un caquelon à fondue tatoué quelque part? J’voudrais le voir! Enfin, sauf s’il est sûr les fesses!» Le restaurateur de 50 ans visiblement amusé me lance «t’es prête pour le strip tease?» avant de déboutonner sa chemise. «Je l’ai fait quand j’ai ouvert ce resto, c’était il y a neuf ans.»

Parmi ses nombreux tatouages, Patrick Schuppli a un caquelon sur le bras droit.
Photo: Valentina San Martin

Après avoir tapé la causette à l’intérieur de l’établissement histoire de profiter du frais, j’ose la question provoc'. «Schuppli», ou plutôt Patrick Schuppli de son vrai nom, a l’air d’être aussi grande gueule que moi, alors autant tenter le tout pour le tout: «Par cette chaleur, tu préfères une Petite Arvine chaude ou un vin vaudois frais?» Sans hésiter le grand gaillard tatoué me répond qu’il est un homme authentique. Ce sera donc la Petite Arvine. Il me glisse quand même qu’il y a bien quelques cépages vaudois qui sont pas mal…

«Bon, c’est pas tout, mais je dois filer, j’ai encore plein de choses à faire.» Je lui tire le portrait une dernière fois avant de le laisser partir.

Patrick Schuppli est propriétaire de trois restaurant à Sion dont le Vieux-Valais qu'il gère depuis maintenant neuf ans.
Photo: Valentina San Martin

Comme je commence clairement à avoir la dalle, je me rends à nouveau au marché, à la rencontre des boulangers de la cave à levain, des amis de Juliette et Benoît. Comme il est midi et des poussières et que le stand est pris d’assaut, je décide de repasser dans une heure: «Yes, reviens d’ici 13h00 et on pourra discuter», me dit Emeric, 36 ans. Avant de m’en aller, je prends quand même une petite pizza qui me fait de l’œil. Et comme je suis une bobo lausannoise, je décide de prendre la version végé. Avec des courgettes, s’il vous plaît.

- Mais attention mec, si elle n’est pas bonne, je ne reviens pas!
- On fait comme ça… à tout à l’heure alors!»

Un délice bien gras. Miam!
Photo: Valentina San Martin

Un Français amoureux du Valais

Je m’accorde une petite pause dans l’herbe, juste sous un arbre. Je dois l’avouer, la pizza est bonne. Je la gobe en deux-deux et m’asperge à l’aide de mon brumisateur. Rien à faire de passer pour une précieuse, j’ai chaud, m****!

Je m’en vais retrouver le boulanger qui m’accueille avec un café et une clope roulée au bec.

- T’es Valaisan, toi?
- Non, je suis Français!
- Arf mais qu’est-ce que tu fous ici?
- Je suis tombé amoureux du Valais!

Emeric, 36 ans, est originaire de Vendée en France. Cela fait maintenant neuf ans qu'il vit à Sion.
Photo: Valentina San Martin

Le jeune trentenaire me raconte qu’avant d’arriver à Sion, il bossait en Martinique. La chaleur, il connaît. Et puis, un pote lui a conseillé de venir en Valais. «J’adore le sport et il y a tout ici. Ski, snowboard, vélo en montagne...» En ce qui concerne les habitants de ce joli canton, Emeric m’explique que c’était difficile de se faire des copains au début. «Toi, t’es une fille, c’est plus facile de te faire offrir un verre par un Valaisan. Moi, j’ai mis un moment avant de me faire payer un coup», plaisante le boulanger.

Quant à savoir s’il supporte les 36 °C d’aujourd’hui, il m’avoue que pour lui ce n’est pas un souci. «En revanche, il y avait moins de clients ce vendredi. Par cette chaleur, les gens préfèrent manger des fruits ou des légumes.»

Un dernier verre pour la route

Non loin de là, je sens comme une odeur de raclette. Je décide donc de suivre le fumet grâce à mes narines affûtées! Bingo! Un stand raclette. Le boss est posé en train de boire un verre et un racleur m’accueille les bras ouverts.

La raclette de chez Phiphi.
Photo: Valentina San Martin

«Quel bon vent t’amène?», me demande le racleur ou plutôt Jean-Daniel qui, je l’apprendrai plus tard, a fait l’armée avec le célèbre Schuppli. Je lui explique avoir été attirée par la raclette et lui demande si je peux m’asseoir deux minutes. «Mais oui, mets-toi à côté du patron!» Le patron, c’est Philipe mais tout le monde l’appelle «Phiphi».

- Bonjour Monsieur Philippe, je travaille pour Blick et je fais un reportage sur la canicule à Sion.
- Ah le Blick! C’est une poubelle! Moi j’le lisais juste pour la page 3.
- Ça tombe bien, je l’ai souvent faite la page 3!
- Ça m’étonne pas! Non, je rigole. Mais tu pourrais! Après, c’est plus très intéressant à force. C’est tout le temps pareil: le meilleur est toujours couvert!

Après avoir enchaîné les blagues, Phiphi propose de m’offrir un verre d’Amigne de Vétroz. «Ce sont mes raisins. J’ai des vignes pas loin», m’explique-t-il.

Un verre d'Amigne de Vétroz.
Photo: Valentina San Martin

En plus du soleil qui tape et du four à raclette qui turbine à 180 °C, j’avoue que la fraîcheur de ce petit blanc me fait franchement du bien. Mais au fait, les clients sont-ils nombreux à être venus déguster du fromage et des patates? «Non, il fait beaucoup trop chaud. J’ai eu peu de visites aujourd’hui, me confie le boss de 71 ans. Heureusement, mes esclaves travaillent bien. Tu sais, c’est difficile de trouver de bons racleurs. Généralement, c’est des glandeurs. Jean-Da, lui, il gère.»

Avant de partir, je lui demande si je peux faire une photo. «Bien sûr! Attends, on fait venir Camille aussi, elle travaille ici. On est trois. Sinon, avec Jean-Da, on peut se faire un bisou sur la bouche? C’est tendance maintenant tu sais!»

De gauche à droite: Jean-Daniel, 58 ans, Phiphi, 71 ans et Camille 21 ans.
Photo: Valentina San Martin

C’est un peu plus de 14h00 et tout le monde fait du rangement. Le marché est terminé. Phiphi me demande si je veux manger de la raclette et me poser un peu avec eux. Malheureusement, il me faut partir.

- Je dois rédiger mon article et si je reste, je vais finir bourrée.
- Oh tu sais, il y a un Dieu pour les alcooliques!

Je finis donc mon verre fissa et je claque même la bise à Phiphi en promettant de revenir bientôt. À la revoyure amis valaisans!

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