Abus sexuels dans l'Église
Pour ce prêtre valaisan, il n'y a pas de scandale à l'Abbaye de Saint-Maurice

À la suite de la conférence de presse du chanoine de Saint-Maurice Antoine Salina, le prêtre valaisan Michel Salamolard a partagé sur Facebook son long exposé de la situation. Il juge les médias responsables de la création d'un «effet loupe».
Publié: 28.11.2023 à 06:02 heures
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Dernière mise à jour: 29.11.2023 à 08:45 heures
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Lucie FehlbaumJournaliste Blick

Impossible d’être passé à côté, les mots ont frappé trop fort. D’ordinaire discrète et close, l’Abbaye de Saint-Maurice s’exprimait face à la presse jeudi 23 novembre, par la voix du chanoine Antoine Salina. Désigné par ses pairs pour porter leur voix dans la tourmente, l’homme de Dieu s’est excusé. Beaucoup.

Souvenez-vous. Dimanche 19 novembre, l’émission de la RTS «Mise au point» révélait que neuf prêtres de l’institution religieuse valaisanne étaient accusés d’abus sexuels. Un dixième s’est dénoncé à ses supérieurs. Archives remises au Ministère public, tribunal pénal ecclésiastique créé par Rome, et pardon demandé à large échelle: l’institution assure vouloir la transparence.

Le chanoine Salina a admis que son Église avait regardé ailleurs. «Pendant trop longtemps à l’église, nous nous sommes contentés de demi-mesures, a assumé face à la presse Antoine Salina, cité par «Le Temps». Nous avons fermé un œil, nous avons voulu éviter le scandale […]»

Michel Salamolard a publié sur Facebook son analyse et ses convictions concernant les chanoines de l'Abbaye de Saint-Maurice accusés d'abus sexuels.
Photo: KEYSTONE/DR

Affaire, entre guillemets

Un homme, pourtant, nage à contre-courant: le prêtre auxiliaire du diocèse de Sion et écrivain valaisan Michel Salamolard. Dans un prolixe exposé sur Facebook, il partage sa vision de «l’affaire» Saint-Maurice, qu’il ne peut pas écrire sans guillemets.

Son texte démarre par ses «convictions» à l’égard des victimes, qui doivent, rassure le prêtre, être écoutées, aidées à se reconstruire. «C’est la priorité», écrit-il.

«Cloaque de perversité»

Mais voilà. Pour lui, il n’y avait pas de «scandale de l’Abbaye» avant le passage des caméras de la RTS. «La vie des chanoines et celle du collège se déroulaient normalement, imparfaitement mais sereinement, sans dommage pour personne, sans abus actuels connus ni soupçonnés», écrit l’homme d’Église sur Facebook.

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Le scandale «proprement dit» aurait été créé par les médias. D’abord la télévision de service public, puis le quotidien valaisan «Le Nouvelliste». L’auteur parle d’un effet de loupe, de cas disparates amalgamés pour créer une image de l’Abbaye en «cloaque de perversité».

L’Église comptabilise les abus

Par ailleurs, le prêtre prend le contrepied en jugeant son Église franche et transparente. Il estime qu’on peut compter sur elle pour «comptabiliser» les cas d’abus. Or, la communauté est justement critiquée pour son opacité et ses secrets.

Pour mémoire, l’évêque de Sion et celui de Lausanne, Genève et Fribourg sont accusés de dissimulation d’abus sexuels. À la tête de l’Abbaye de Saint-Maurice se sont succédé le père-abbé Jean Scarcella et son remplaçant par interim, Roland Jaquenoud. Tous deux sont soupçonnés d’abus et ont quitté leur poste. Le second, également professeur de latin et de grec au lycée-collège de l’Abbaye, a été suspendu le 20 novembre dernier.

14 abus par an, «pas l’avalanche»

Autre point discutable, les chiffres cités par le prêtre Salamolard. Dans un calcul, il divise le nombre de cas par nombre d’années. Résultat? Quatorze abus par an. C’est «évidemment trop», concède le prêtre, mais «ce n’est pas l’avalanche décrite par d’aucuns».

Comparant ce résultat avec l’ensemble de la Suisse (1056 actes d’ordre sexuel avec des enfants en 2022, écrit l’auteur), il estime qu’en se concentrant sur les victimes de l’Église catholique, on oublie les autres. «Dommage pour elles», conclut-il.

«Vous foncez dans le mur»

Les positions de l’homme de foi ne lui attirent pas que de la sympathie. Si certains encouragent un «exercice nécessaire», beaucoup s’offusquent au nom des victimes.

Raphaël Pomey, rédacteur en chef du journal conservateur «Le Peuple» et fervent catholique, qui s’était confié à Blick sur les abus subis durant son enfance, interpelle Michel Salamolard. «Je pense que vous foncez dans le mur. Osez-vous seulement imaginer ce que vos lignes suscitent chez quelqu’un qui a vécu, y compris hors église, des choses pareilles?»

Enquête sur deux fronts

La conclusion spirituelle du prêtre sur les chanoines de Saint-Maurice, qui «accueillent et vivent à présent une grâce étonnante de conversion», est en décalage avec l’agenda judiciaire — laïque et catholique — qui attend l’institution. Pour rappel, une vaste enquête de l’Université de Zurich faisait état, en septembre, d’au moins 1002 victimes d’abus au sein de l’Église catholique en Suisse, de 1950 à nos jours. Elle se poursuit.

Après les révélations de la RTS concernant l’Abbaye de Saint-Maurice, deux volets d’enquête se sont ouverts. L’un, ecclésiastique, a démarré mi-novembre, lorsque deux membres de la Conférence des évêques suisses se sont rendus à Rome pour obtenir la création d’un tribunal pénal ecclésiastique. Accordée par le pape, cette cour entrera en fonction fin 2024.

L’autre, pénal, a donné lieu à une arrivée historique du Ministère public valaisan entre les murs de l’Abbaye, vendredi 24 novembre. Alerté par le chapitre, le procureur général Nicolas Dubuis a ouvert une enquête. Il a quitté l’institution avec des archives concernant des chanoines décédés et d’autres encore en place.

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