Bénéfices du Canton
Voici ce que la population vaudoise ferait avec un demi-milliard

Le Canton de Vaud vient de boucler ses comptes 2022 sur un excédent d'environ un demi-milliard de francs. Le Conseil d'État a décidé de se tricoter des bas de laine. Que ferait la population? Blick est parti à sa rencontre, à Lausanne et Cossonay. Reportage.
Publié: 26.04.2023 à 17:08 heures
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Dernière mise à jour: 26.04.2023 à 18:38 heures
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Amit JuillardJournaliste Blick

Et de 18! Pour la 18e année consécutive, le Canton de Vaud dégage un bénéfice. Pour 2022, l’excédent de revenus est de 494 millions, avant les écritures de bouclement. Et ce, malgré les dépenses liées à la pandémie (78 millions), à la guerre en Ukraine et aux mesures énergétiques (35 millions), note «24 heures».

Mais la ministre des Finances, Valérie Dittli (Le Centre), se prépare à un avenir difficile. En d’autres termes, le Conseil d’Etat, à majorité de droite, a décidé de faire des provisions pour les années de vaches maigres et d’amortir la dette, qui passe de 975 millions à 700 millions.

«Investissons dans l’art et le personnel soignant»

Face à ce bénéfice, les réactions sont diverses. Si l’on caricature, les milieux patronaux ont le sourire et y voient le signe qu’il est temps de baisser les impôts des personnes physiques de 12%, comme le prévoit leur initiative. Si leur texte devait être accepté par le peuple, il en coûterait quelque 450 millions par an en recettes fiscales.

Baisser les impôts, aider les sans-abri, encourager les projets artistiques des jeunes, construire un viaduc à Cossonay... Les Vaudoises et Vaudois ont beaucoup d'idées.
Photo: AMIT JUILLARD/KEYSTONE/JEAN-CHRISTOPHE BOTT

La gauche et les syndicats sont, eux, estomaqués: si l’Etat fait un demi-milliard, c’est bien la preuve qu’il aurait pu pleinement indexer le salaire de ses fonctionnaires. De leur côté, les communes, souvent en difficulté, voudraient bien que l’Etat leur donne un bout du tas d’or sur lequel il est assis.

«Il faudrait donner les moyens aux jeunes de réaliser des films, d'écrire des pièces de théâtre, parce qu'ils galèrent et que ça permet de s'exprimer, de s'évader, de se sentir bien», avance Françoise Zürcher, infirmière.
Photo: Amit Juillard

Mais que ferait la population de ce demi-milliard? Sur la rue du Maupas, à Lausanne, Françoise Zürcher sort de chez elle. «J’investirais dans l’art et la santé, amorce cette infirmière des Hôpitaux universitaires genevois (HUG). Il faudrait donner les moyens aux jeunes de réaliser des films, d’écrire des pièces de théâtre, parce qu’ils galèrent et que ça permet de s’exprimer, de s’évader, de se sentir bien. Ils en ont besoin après la pandémie.»

«Aidons les femmes sans-abri»

Cette enfant de La Sarraz, dans la campagne entre la capitale olympique et Yverdon-les-Bains, verrait aussi d’un bon œil l’engagement de quelques collègues. «Il faudrait aussi investir dans la formation, développe la quinquagénaire. Le personnel soignant, médecins y compris, doit s’améliorer dans l’approche des patients.»

«De voir qu'il y a des gens dormir dehors alors qu'il y a tant d'argent dans ce canton, ça me dégoûte un peu», lâche Gabrielle Mazzu, prof de danse.
Photo: Amit Juillard

A la place Bel-Air, un jeune employé de DHL ne sait pas ce qu’il ferait de 500 millions, somme inimaginable. Plus loin, en remontant vers la rue de l’Ale, Gabrielle Mazzu, 20 ans, pense aux sans-abri. «De voir qu’il y a des gens dormir dehors alors qu’il y a tant d’argent dans ce canton, ça me dégoûte un peu, lâche la prof de danse, domiciliée à Chavannes-près-Renens. Il faudrait surtout aider les femmes qui sont à la rue, leur proposer des activités, faire en sorte qu’elles ne se sentent pas comme des déchets. J’ai l’habitude d’échanger avec elles.»

«Facilitons la transition écologique»

Taches de peinture sur le pantalon de travail, lunettes de soleil sur les cheveux, San Pellegrino et repas de midi dans les mains, Giuseppe Pagano ne mâche pas ses mots. «Un demi-milliard de bénéfices? Ça ne m’étonne pas, vu ce qu’on paie», grince le peintre en bâtiment d’origine italienne. A 50 ans — «ça ne se voit pas, hein?» —, il aimerait enfin voir sa facture d’impôts baisser.

«Un demi-milliard de bénéfices? Ça ne m'étonne pas vu ce qu'on paie», grince Giuseppe Pagano, peintre en bâtiment.
Photo: Amit Juillard
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C’est jour de marché. Les navets de la ferme du Bois Genoud à Crissier — production certifiée Demeter — sont à 1,50 franc la pièce. Derrière l’étal, Régis Pfeiffer rêve d’un Etat qui investirait davantage dans le bio et la recherche pour une agriculture plus respectueuse de l’environnement, pour construire un monde en accord avec les enjeux climatiques et sociétaux actuels, dans le respect du vivant. «Ça ne va pas assez vite», déplore le jeune père de famille, également serveur dans un restaurant et DJ.

«Un métro gratuit à Lausanne»

Layla Belk doit aller chercher son fils à 11h45. Cette «loutre professionnelle», ou employée de la célèbre société d’e-commerce Qoqa, aimerait que les prix des transports publics chutent. «On encourage les gens à laisser leur voiture à la maison, mais les subventions pour la mobilité douce sont insuffisantes, tacle l’Yverdonnoise de 34 ans. En famille, partir en excursion en train et en bus, ça coûte très cher. On pourrait imaginer faire un essai et rendre le métro de Lausanne gratuit, par exemple.»

«En famille, partir en excursion en train et en bus, ça coûte très cher», déplore Layla Belk, employée dans le secteur du e-commerce.
Photo: Amit Juillard

A Saint-François, un avocat pressé miserait sur l’encouragement à l’apprentissage pour renforcer le tissu économique local. Trois encravatés n’ont pas le temps non plus: ils passent à l’apéro. Normal, il est 11h47, ce mercredi.

«Baissons les impôts»

Qu’en pense la campagne? Direction Cossonay (un peu plus de 4000 habitants). En chemin pour la gare de Lausanne, un employé des Retraites Populaires souhaite rester anonyme, mais tient tout de même à afficher son soutien à une baisse d’impôts pour les personnes physiques. «Il faut travailler sur l’attractivité du canton. Avant de venir s’installer, un entrepreneur va aussi regarder à combien vont s’élever ses impôts et ceux des personnes qu’il engage.»

Mauro Oliveira est assis dans le train, côté lac. Il a cours à l’Ecole technique de la Vallée de Joux (ETVJ). «Si j’étais le gouvernement, face à l’inflation, je ferais baisser le prix des choses, suggère l’étudiant en horlogerie de 21 ans. Les abos de transports publics, les produits alimentaires, … Ça va devenir difficile.»

«Je verrais bien un viaduc à Cossonay»

Le Café de la Poste de Cossonay est «toujours ouvert», «contrairement aux 'rumeurs'», promet un petit panneau écrit à la main. Et la saucisse à rôtir, sauce aux oignons, y est très bonne et peu chère — 16,50 francs avec une salade en entrée.

«Le Canton pourrait nous aider à désengorger Cossonay et les alentours», propose Serge Muriset, horticulteur.
Photo: Amit Juillard
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Serge Muriset, 54 ans, mange une pizza avec ses beaux-parents et ses béquilles. «Malgré le Covid et la guerre en Ukraine, l’Etat fait encore des bénéfices monstres, ironise l’horticulteur, employé de la Ville de Lausanne. Le Canton pourrait nous aider à désengorger Cossonay et les alentours. Là, c’est l’horreur et c’est dangereux pour les piétons aux heures de pointe. On pourrait imaginer une route d’évitement, où un viaduc entre la sortie d’autoroute et ici.»

«Aidons vraiment les gens à payer leurs primes»

Ici, l’accent est plus prononcé qu’à Lausanne. On me fait d’ailleurs remarquer que je parle bien le français, mais pas le vaudois. Ici, Blick n’est encore que suisse alémanique.

«Il faudrait investir pour aider les plus faibles à payer leur assurance maladie», estime Philippe Hoch, retraité et ex-chauffeur poids lourd.
Photo: Amit Juillard

Ce sera d’abord un gamaret pour Philippe Hoch. Ce retraité de 68 ans n’a «jamais craché dans son verre». Il vient d’acheter un studio dans le village, après un tour d’Europe de trois ans en camping-car. «Il faudrait investir pour aider les plus faibles à payer leur assurance maladie, estime ce savonnier de formation, également ex-chauffeur poids lourd. Les mesures actuelles sont insuffisantes: un emplâtre sur une jambe de bois n’a jamais soigné une jambe malade! Et les communes méritent aussi leur part du gâteau.»

Au terme de ce micro-trottoir, un constat: Vaudoises et Vaudois ont beaucoup d'idées et d’envies. Avoir des bas de laine n’en fait pas partie.

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