Berne maintient le renvoi
Le Val Verzasca se mobilise contre l'expulsion d'une petite Afghane

Anna B. et sa fille sont en exil depuis quatre ans, après avoir fui l'Afghanistan. Elles ont trouvé refuge dans la vallée tessinoise de la Verzasca, mais sont désormais menacées d'expulsion. La population proteste et a recueilli plus de 2700 signatures.
Publié: 07.01.2023 à 07:58 heures
Myrte Müller

Le 22 décembre est un jour important pour les enfants du Val Verzasca, au Tessin. Pendant des semaines, ils ont préparé la traditionnelle crèche de Noël, cousu les costumes, bricolé les décors. Sara B.* (8 ans) peut aussi participer. La petite Afghane est déguisée en ange. Ses yeux brillent comme les décorations scintillantes de l'église.

«C'est une enfant si éveillée, elle apprend vite l'italien et participe bien aux cours», explique son enseignante, Bianca Soldati, à Blick. «La mère de Sara participe également à notre quotidien, propose son aide, promène le chien d'une retraitée ou fait des travaux manuels. Elle est heureuse quand elle peut donner quelque chose en retour», constate Veronika Soldati, une habitante de la vallée. L'assistante sociale Valentina Matasci est impressionnée par Anna B.*, la mère de Sara: «Elle veut absolument apprendre notre langue. Elle aimerait s'intégrer rapidement et a déjà beaucoup d'amis.»

Quatre ans d'exil

Mais il y a une ombre au tableau. Un jour avant l'inauguration de la crèche de Noël, Anna B. a reçu une lettre recommandée. L'expéditeur? Le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM). La demande d'asile a été rejetée. Anna B. et sa fille doivent quitter la Suisse juste après Noël, ordonne la lettre de Berne. L'Afghane a cinq jours pour faire appel de la décision.

Dans le Val Verzasca, Anna B. et sa fille Sara ont trouvé une deuxième patrie. L'enfant va à l'école à Brione (TI), la mère apprend assidûment l'italien et a déjà de nombreux amis. Mais leur demande d'asile est rejetée peu avant Noël. Elle doivent quitter la Suisse.
Photo: © Ti-Press / Ti-Press
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Pour les deux requérantes d'asile, cette nouvelle est un choc. Depuis plus de quatre ans, Anna B. est en exil avec son enfant. En Afghanistan, elle était menacée par son mari violent. La jeune femme est arrivée en Grèce via la Turquie. Elle a ensuite emprunté la route des Balkans jusqu'en Slovénie. Là, ses empreintes digitales ont été relevées. Après avoir traversé les forêts pour arriver en Italie, c'est à Chiasso (TI), que l'Afghane et son enfant ont demandé l'asile. C'était en novembre 2021. En mars 2022, la mère et la fille sont arrivées pour la première fois dans le Val Verzasca.

Retour à la case départ

«Ce sont des gens très aimables», assure Barbara Mutti, qui tient le restaurant Froda. Elle héberge des demandeurs d'asile dans ses chambres d'hôtes. Anna B. et sa fille y ont également emménagé. La tenancière, que tout le monde appelle «Beba», se souvient: «Les yeux de la mère étaient remplis de tristesse, mais la petite respirait l'espoir.»

Dans la nuit du 19 mai 2022, vers 2h, cinq agents de police ont réveillé la mère et sa fille. Elles ont été emmenées en Slovénie. Selon l'accord de Dublin, elles doivent demander l'asile là-bas, puisque leur entrée sur sol européen a été enregistrée dans ce pays et non en Suisse. Mais la Slovénie était alors submergée par les réfugiés et la prise en charge des requérants y était dysfonctionnelle. Anna et Sara B. ont été placées dans un centre de requérants où elles étaient les seules femmes. «Sara est tombée malade. Elle ne mangeait plus rien. Nous ne pouvions pas rester», raconte Anna B. à Blick.

Les Afghanes ont à nouveau entrepris le voyage risqué à travers les forêts. Elles ont traversé le nord de l'Italie et demandé une nouvelle fois l'asile à la frontière tessinoise en octobre 2022, avant d'atterir dans le Val Verzasca. Les habitants les ont accueillies à bras ouverts. Dès lors, mère et fille ont fait partie de la communauté. La froide décision du SEM a provoqué une vague d'indignation et une résistance aussi forte qu'inattendue.

«Le problème vient uniquement de Berne»

Pendant les fêtes de fin d'année, une association de soutien aux deux Afghanes est parvenue à récolter environ 2700 signatures. C'est trois fois plus que la population de la vallée. Des listes ont d'abord été déposées dans le magasin du village à Brione (TI). «Nous sommes un point de rencontre dans la vallée», explique Franzisca Werthmüller, 53 ans, qui se souvient que «certains clients ont emporté des piles de copies pour récolter d'autres signatures.» Elle-même trouve la décision du SEM tout simplement absurde.

Saro di Martino et Giorgio Matasci, habitants de Brione, sont tous deux bouleversés. «De telles choses ne devraient plus se produire aujourd'hui», déclare le propriétaire du gîte du village. «Le problème vient uniquement de Berne», ajoute le retraité. Selon lui, il y a assez de place pour deux Afghanes dans le Val Verzasca. Le prêtre Don Marco est, lui aussi, indigné. Selon lui, il faut placer l'humain avant la loi: «Même Jésus a enfreint les règles et placé l'Homme au centre.»

Un répit de courte durée?

Pendant les derniers jours de récolte de signatures, la pétition a été rendue accessible sur internet. Elle comptabilise finalement plus de 2700 signatures. L'éminent avocat tessinois Paolo Bernasconi représente Anna B. et sa fille, et a déposé à temps un recours contre la décision d'expulsion. Peu avant la fin de l'année, même le Tribunal administratif fédéral a ordonné aux instances cantonales de renoncer provisoirement à l'exécution du renvoi.

Mais le SEM reste ferme. Interrogée par Blick, l'autorité fédérale a répondu: «Le SEM a examiné ce cas particulier avec la diligence nécessaire et en tenant compte de toutes les circonstances. Il et est parvenu à la conclusion qu'un renvoi doit être ordonné dans le cadre de la procédure Dublin.»

*Noms connus de la rédaction

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