Bertrand Piccard et Vera Weber débattent de la loi sur l'électricité
«Vera, je vous adore, mais c'est de la démagogie»

La protectrice de la nature Vera Weber veut empêcher la loi sur l'électricité. Le pionnier de l'énergie solaire Bertrand Piccard se bat pour elle. Pour Blick, les deux activistes se rencontrent pour débattre – et entrent rapidement dans des discussions enflammées.
Publié: 21.05.2024 à 11:17 heures
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Dernière mise à jour: 21.05.2024 à 16:17 heures
Tobias Bruggmann, Philippe Rossier et Ruedi Studer

Leurs parents ont lutté côte à côte pour protéger l'environnement. Aujourd'hui, leurs enfants se disputent: la protectrice de la nature Vera Weber a lancé un référendum contre la nouvelle loi sur l'électricité, défendue par l'aventurier Bertrand Piccard. Le peuple aura le dernier mot en juin. Avant cela, les deux personnalités se rencontrent pour débattre. Interview croisée. 

Bertrand Piccard, vous avez vécu de nombreuses aventures dans le monde entier. Pourquoi vous engagez-vous pour une votation dans notre si petite Suisse?
Bertrand Piccard (BP): Ma famille s'engage pour la protection de l'environnement depuis trois générations. La loi sur l'électricité offre la plus grande chance depuis longtemps de protéger la nature tout en luttant contre le changement climatique. Nous ne devons pas laisser passer cette chance.
Vera Weber (VW): C'est exactement le contraire qui va se produire! Avec cette loi, la nature est sacrifiée sur l'autel de la production d'énergie et de la soi-disant protection du climat. Elle affaiblit la protection de la nature: les forêts sont défrichées, nos Alpes sont défigurées par des panneaux solaires. Cette loi va à l'encontre de tout ce que ma famille fait depuis 50 ans pour la protection du paysage.
BP: Aujourd'hui, les deux tiers de l'énergie en Suisse proviennent d'énergies fossiles, comme le pétrole et le gaz. Les glaciers fondent, les arbres se dessèchent et des millions de personnes dans le monde meurent à cause de la pollution de l'air et des changements climatiques. Si nous continuons à agir comme nous l'avons fait jusqu'à présent, la nature sera bien plus endommagée qu'avec cette loi. Nous devons remplacer le pétrole et le gaz importés par de l'électricité locale et propre.

Madame Weber, pourquoi bloquer ainsi une initiative pour la protection du climat?
VW: Nous sommes bien sûr favorables aux énergies renouvelables. Mais il n'est absolument pas nécessaire de détruire ne serait-ce qu'un mètre carré de nature pour cela. Nous avons un énorme potentiel sur les toits et les façades. Y installer des panneaux solaires ne nuit pas à la nature. En revanche, lorsque des forêts sont défrichées, nous sacrifions une énorme partie de l'habitat naturel des animaux et des plantes. Raser une forêt pour construire des éoliennes est un non-sens absolument honteux.
BP: Il est vrai qu'il y a encore de la place sur les toits pour de nouveaux panneaux solaires. Mais cela n'est pas suffisant en hiver, quand il y a du brouillard. Nous avons alors aussi besoin d'installations solaires dans les Alpes.

Oui ou non à la loi sur l'électricité? Vera Weber et Bertrand Piccard ne sont pas d'accord.
Photo: Philippe Rossier
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«Il est complètement fou de croire que des éoliennes et des panneaux solaires dans les Alpes suisses protègent le climat mondial.»
Vera Weber
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Comment allez-vous faire pour avoir suffisamment d'électricité en hiver, Madame Weber?
VW: On ne peut pas dire de manière générale qu'il n'y a pas de soleil en hiver. De plus, 60% de notre électricité provient de l'énergie hydraulique. Et il existe encore toute une série d'autres technologies. La Suisse n'est pas un pays éolien – au lieu d'installer nous-mêmes des éoliennes et de nuire aux forêts, nous pourrions acheter à l'Allemagne son surplus de courant éolien.
BP: Si l'énergie solaire ne suffit pas en hiver, nous devons faire fonctionner des centrales à gaz et des centrales nucléaires nuisibles au climat. En revanche, les éoliennes fournissent de l'électricité propre. Aujourd'hui, beaucoup plus de forêts meurent à cause des changements climatiques que si l'on installait quelques éoliennes.

Mais n'est-il pas paradoxal de défricher les forêts pour protéger le climat?
BP: Le paradoxe, c'est que la nature sera bien plus endommagée par le changement climatique si nous n'adoptons pas cette nouvelle loi! Et de toute façon, si des arbres sont abattus quelque part pour une éolienne, il sera obligatoire d'en replanter ailleurs. Il n'y aura donc pas moins d'arbres en Suisse qu'auparavant. Et pour grandir, les jeunes arbres absorbent beaucoup plus de CO2 que les vieux.
VW: La valeur d'une vieille forêt pour la biodiversité ne sera pas atteinte par une jeune forêt avant des centaines d'années. Il est complètement fou de croire que des éoliennes et des panneaux solaires dans les Alpes suisses et dans les forêts protègent le climat mondial. Pour cela, il faudrait des solutions globales…
BP: S'il y a une Vera Weber dans chaque pays, nous n'irons nulle part en matière de protection du climat!
VW: Mais où voulez-vous faire pousser de nouveaux arbres? Vous aurez besoin de terres arables pour cela. Cela met en danger notre sécurité alimentaire, car nous devons planter des arbres là où notre nourriture devrait être cultivée.

Monsieur Piccard, lorsqu'on vous voit dans une publicité, on y voit aussi souvent une nature intacte. Une éolienne dans les Alpes ne vous dérangerait-elle pas aussi après tout?
BP:
Le fait que quelque chose soit beau ou non est très subjectif. Les étrangers visitent la Grande-Dixence pour voir l'un des plus beaux barrages d'Europe. Avec le changement climatique, les glaciers se retirent. Ils laissent derrière eux des vallées où il n'y a plus que des pierres. Sans biodiversité, il n'y a pas de forêt, il n'y a rien. Que des pierres. Ce n'est pas beau non plus.

Alors que Bertrand Piccard répond à nos questions, une pie se pose sur le balcon de la villa Weber à Montreux. Le regard de la protectrice de la nature bifurque et s'arrête sur l'oiseau. Elle le regarde longtemps, jusqu'à ce qu'il s'envole en direction du Léman.

BP: Moi non plus, je n'aime pas que des éoliennes soient installées à certains endroits. Et c'est pourquoi il y aura un droit de recours que nous pourrons utiliser.
VW: Des recours qui n'auront aucune chance!
BP: La loi prévoit seulement que les recours ne puissent pas retarder inutilement les projets. Mais ils ne sont pas impossibles.
VW: Mais selon la loi, la production d'énergie renouvelable prime sur la protection de la nature. Les tribunaux n'auront plus de marge de manœuvre. Nous aurons donc la possibilité de faire appel, mais cela n'aidera pas.
BP: Vera, je vous adore, mais c'est de la démagogie de dire qu'on va raser des forêts pour installer des éoliennes! Parce que la population ne l'acceptera pas! Les initiatives populaires et les référendums resteront possibles. Seules les oppositions seront traitées plus rapidement.

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«La seule façon de protéger l'environnement aujourd'hui est de remplacer les combustibles fossiles.»
Bertrand Piccard
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Madame Weber, êtes-vous une démagogue, c'est-à-dire quelqu'un qui aime agiter le peuple?
VW: Non. Nous avons analysé cette loi avec nos avocats, et tous ont dit qu'elle était extrêmement dangereuse.
BP: Des avocats que vous avez payés. Ils vous disent ce que vous voulez entendre.
VW: Je vous en prie! Parmi eux, il y a aussi des juristes indépendants, par exemple Alain Griffel de l'Université de Zurich. Cette loi est extrêmement dangereuse, les organisations de protection de la nature et de l'environnement n'ont pratiquement plus aucune chance face à elle, car les tribunaux doivent faire passer la production d'énergie renouvelable avant la protection de la nature.
BP: Les grandes organisations de protection de l'environnement comme Greenpeace, WWF ou Pro Natura sont normalement les premières à s'opposer aux projets éoliens. Pourtant, elles approuvent cette loi...
VW: ...elles ont accepté la loi, mais ont dû avaler de nombreuses couleuvres. La production d'énergie a la priorité sur la protection de la nature. Nous allons nous perdre nous-mêmes. Nous allons perdre nos terres et nos paysages. Nous sacrifions la nature sur l'autel de la production d'énergie.
BP: Le slogan est publicitaire, mais il n'est pas vrai! La seule façon de protéger l'environnement aujourd'hui est de remplacer les combustibles fossiles. Je le vois moi-même: là où j'habite, il n'y a jamais eu autant d'arbres morts. Les arbres meurent parce que nous avons d'immenses périodes de sécheresse. Nous ne pouvons pas y aller avec des arrosoirs et arroser les arbres les uns après les autres.
VW: La législation suisse contient tout de même des éléments positifs pour l'environnement, par exemple la loi sur les économies d'énergie. Il suffit de corriger certains articles de cette loi pour que la nature retrouve l'importance qu'elle mérite et pour que le climat et l'énergie ne puissent pas prendre le pas sur la protection de la nature.
BP: Si nous recommençons maintenant et que nous détricotons ce compromis, tous les autres acteurs vont, eux aussi, exiger des corrections. C'est dangereux, nous ouvrons la boîte de Pandore et nous allons perdre des années.
VW: Il s'agit dans cette loi de gros sous et de grosses subventions, mais pas de l'environnement. Nous préférons perdre quelques années plutôt que toute la nature.

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