Blick les a rencontrés
Ces activistes climatiques ont collé leur main sur la chancellerie fédérale

Ce 22 juin, cinq activistes climatiques d'Extinction Rebellion ont collé leur main à la «super glue» sur un mur de la chancellerie fédérale. Parmi eux, une logopédiste, un étudiant, une retraitée et un médecin. Blick les a rencontrés la veille de leur action.
Publié: 22.06.2021 à 12:34 heures
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Dernière mise à jour: 22.06.2021 à 15:51 heures
Julian Zubler, 23 ans, étudiant à l'Université de Bâle
Photo: Julie Lovens
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Amit JuillardJournaliste Blick

Berne, vers 9h00 ce 22 juin. Cinq activistes d’Extinction Rebellion (XR) apposent une main au pied des piliers de l'entrée de la chancellerie fédérale. Entre leur peau et la pierre, une colle puissante. En parallèle, leurs camarades de lutte «pour la protection du vivant» remettent à la Chancellerie «un dernier appel avant la rebellion», à destination du Conseil fédéral. Et un ultimatum: si le gouvernement n’y répond pas, XR compte bloquer la ville de Zurich à partir du 3 octobre 2021 et jusqu’à ce que leurs demandes soient satisfaites. Dans le même temps, d’autres distribuent des copies de la lettre et des fleurs aux passants.

Qui sont ces activistes de l’extrême, prêts à — très littéralement — risquer d’y laisser leur peau? D’où viennent-ils? Que font-ils dans la vie de tous les jours? Pourquoi n’ont-ils pas peur de se faire arrêter? Se moquent-ils des institutions et de la justice? Que demandent-ils? L’action de ce 22 juin avait été annoncée à l’avance. Blick est allé à la rencontre de ces «désobéisseurs civils» le jour d’avant.

Bienne, fin de journée, le 21 juin. Une quinzaine d’activistes pour le climat se réunissent dans un salon. D’abord, le «check-in»: chacun se présente, dit comment il se sent. Puis, l’un d’eux expose, point par point, le plan du lendemain. Enfin, les plans. Il y a un plan A. Un plan B. Un plan C, aussi. Et... ainsi de suite. Tous les codes de la communication non-violente sont aussi assis là. On applaudit en agitant ses mains au-dessus de sa tête. L’homme souligne que la police a été avertie, en respect du principe de transparence cher à XR. Plusieurs militants ont annoncé à l’avance être prêts à se coller la main sur un bâtiment. Cinq sont choisis. Objectif: bénéficier d’une visibilité maximale, qu’une arrestation participera à augmenter.

«Je n’ai plus rien à perdre»

Avant et après la séance initiale, quatre d’entre eux ont accepté de témoigner, à visage découvert. Julian Zubler réfléchit à mettre fin à ses études en sciences politiques et sociologie à l’Université de Bâle. «J’ai compris que quelque chose de bien plus grand était en train de se passer sur cette terre, clarifie le Schaffhousois. Nous sommes dans la merde (ndlr: slogan qui figure sur des pancartes ce 22 juin). En aucun cas mon futur se passera comme je l’aurais voulu, imaginé. Sans changement immédiat, tout va s’effondrer sous la pression des crises climatiques et écologiques. La loi CO₂ rejetée par la population ne prévenait pas de la destruction!»

A 23 ans, il n’a pas peur de se faire arrêter par la police, de se faire condamner par la justice. «Quand je pense aux enfants de mes cousins ou que ma sœur voudrait avoir… Je n’ai plus rien à perdre. Plus tard, j’aurais été terrifié de n’avoir rien fait. Il est temps de choisir un camp: celui des personnes qui laissent faire, ou celui de celles et ceux qui utilisent la désobéissance civile et la non-violence pour mettre les institutions sous pression.»

La souffrance qui risque d’être corollaire au détachement de sa main du mur par les forces de l’ordre ne l’inquiète pas non plus. «A cause du réchauffement climatique, des gens subissent des sécheresses, des famines, … En comparaison, une petite blessure sur la paume de la main est un bien moindre mal.»

«Je serais prête à donner ma vie si…»

Jusqu’où sont-ils prêts à aller? Rencontrée en début de soirée lundi, Cécile Bessire, logopédiste, s’est déjà fait arrêter par le passé. C'était à Delémont, alors qu’elle bloquait, seule, une route. Elle répond ainsi: «Si je savais que ma mort pouvait sauver une grande partie de l’humanité, je serais prête à donner ma vie. Mais on ne peut pas le savoir, donc je suis plus utile vivante».

Cette Biennoise de 26 ans – «nous sommes toutes et tous des personnes normales, pas marginalisées, pas non plus des hippies perchés» – a démissionné de son poste dans un cabinet privé et va réduire ses activités dans une école spécialisée pour se consacrer à son activisme. L’émotion semble la gagner. «Mon métier a perdu du sens. J’ai l’impression d’aider des enfants à communiquer avec un monde qui est en train de dégénérer. Je leur mens au quotidien, j’ai l’impression d’être une traîtresse. La meilleure façon de les aider est d’agir.»

Dans la population, certaines et certains voient en leurs actes une manière de se moquer de la justice et des institutions. Les activistes climatiques sont souvent arrêtés. Condamnés, aussi. Comme à Neuchâtel, pour avoir bloqué une route en mars 2020 pendant 1h15, ou à Fribourg dernièrement, pour avoir empêché l’accès à un centre commercial. Par ailleurs, le Tribunal fédéral a rejeté le 11 juin le recours des douze qui avaient occupé les locaux lausannois de la banque Crédit Suisse. Ils avaient plaidé l’état de nécessité licite: l’affaire se poursuivra à la Cour européenne des droits de l’Homme.

«Je n’ai pas l’impression de me moquer de la justice»

«Je n’ai pas l’impression de me moquer de la justice», nuance calmement Vincent Amstutz, médecin généraliste au Landeron (NE), également actif dans le milieu universitaire à Lausanne. J’ai plutôt l’impression de la stimuler à prendre ses responsabilités, de la pousser à réfléchir. Dans d’autres pays, sur les questions climatiques, la justice s’est retournée contre le gouvernement. J’ai envie qu’elle défende la population et se pose les bonnes questions.»

Ce père de famille, marié, est inquiet pour l’avenir de ses trois enfants aujourd’hui adolescents. «C’est notre rôle d’aîné de s’exposer: les problèmes juridiques auront moins d’impact sur nos vies que sur celles des jeunes, confie celui qui a été actif dans l’humanitaire au Laos, quatre ans durant. Et, en tant que médecin, je me sentirais coupable de ne pas alerter la population par rapport aux conséquences qu’ont et qu’auront les crises climatiques et environnementales sur notre santé.»

A côté de lui, une retraitée lausannoise. Brigitte Nicod Krieger, 67 ans, a eu un déclic lorsque sa fille de 30 ans lui a fait lire Comment tout peut s’effondrer – Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, du conférencier français Pablo Servigne. «Coller ma main à un bâtiment ne me stresse pas trop, assure cette ancienne de la Croix-Rouge. Ce qui m’inquiète, c’est que ces cinquante dernières années, tout s’est dramatiquement accéléré. Je me sens en partie responsable et coupable de cela. Et ça m’aurait fait mal au cœur de laisser les jeunes se dépatouiller avec la situation actuelle.»

Retraitée désabusée

Comme ses collègues, elle est désabusée. «Le Canton de Vaud a déclaré l’urgence climatique en 2019 et aucune initiative significative ou contraignante n’a été prise. Le jeu politique empêche les élues et les élus d’agir. C’est pourquoi nous demandons la création d’assemblées citoyennes tirées au sort pour régler ces questions».

Ce 22 juin au matin, c’est chose faite. «Un petit groupe de personnes participant à la rébellion contre l’extinction est allé remettre une lettre à la Chancellerie fédérale», annonce un communiqué de XR. Les sept sages sont sommés de «déclarer l’urgence climatique et écologique», «mettre fin immédiatement à la destruction des écosystèmes», réduire les émissions de gaz à effet de serre à zéro d’ici 2025 et mandater des assemblées citoyennes. Des revendications similaires ont été déposées dans quelque 70 autres pays, avait indiqué XR dans un communiqué la veille.

A 11h15 ce 22 juin, la porte-parole d’Extinction Rebellion nous informe que les cinq activistes ont été décollés par la police, sans violence. Et emmenés au poste.

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