Brochure de désinformation
Gare aux «fake news» en prenant votre train

Les Suisses se prononceront sur la loi Covid-19 le 28 novembre prochain. Alors que le jour J approche, une étrange brochure de désinformation intitulée «28min.ch» circule en Romandie. La ville de Lausanne, prise de cours, n'y peut rien.
Publié: 22.11.2021 à 17:04 heures
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Dernière mise à jour: 24.11.2021 à 11:03 heures
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Fin de journée… heure de pointe à la gare de Lausanne. Nous sommes le mardi 16 novembre. Alors que les pendulaires fourmillent sur le passage piéton devant l’entrée principale, une journaliste de Blick se faufile parmi les passants. Au milieu de la route, elle s’arrête net pour capturer une scène que personne n’aurait imaginée il y a deux ans encore: entre deux feux de signalisation, un homme arbore un panneau clamant: «Je suis un être humain non-vacciné». Soit.

Mais arrivée dans le hall, en lieu et place des habituels vendeurs de bonne conscience ou des distributeurs d’échantillons divers, ma collègue Lauriane tombe sur un tout autre type de prosélytes. Des hommes et des femmes distribuant une brochure rouge, dont la couverture proclame: «45% des lits ont été supprimés aux soins intensifs depuis 18 mois […]. Le Conseil fédéral continue portant d’affirmer que la surcharge hospitalière nous guette. Ce n’est pas la seule fausse vérité.» La gare de Lausanne n’est pas la seule à être touchée par le phénomène. Des personnes distribuant la brochure en question ont également été repérées dans le train – un lundi après-midi sur la ligne Lausanne-Vevey, par exemple.

Ceci est de la désinformation. Cette accusation émerge en fait d’une question déjà largement éclaircie, dont les médias s’étaient emparés cet été. Comme l’indique 20 minutes, le nombre de lits en soins intensifs avait effectivement diminué d’avril à novembre 2020. Simplement parce qu’il avait été augmenté en urgence au tout début de la pandémie. Interrogé par 20 minutes, le Service sanitaire coordonné (SSC) de l’armée, qui est responsable de la coordination des places en soins intensifs, explique: «Lors de la première vague, de nombreuses capacités supplémentaires ont été improvisées, car l’incertitude quant au nombre de patients à accueillir était très élevée.»

Photo: Daniella Gorbunova

Des auteurs fantômes

Qui est à l’origine du pamphlet? Pas d’auteur(s) mentionné(s), seul un site web – 28min.ch – et un indice: «Protégeons ensemble la Constitution». Contacté par Blick, le coprésident des Amies et Amis de la Constitution, Werner Boxler, refuse de confirmer l’affiliation des auteurs au groupe d’opposants à la loi Covid. Mais il déclare: «Cette revue nous est parvenue, et nous avons constaté qu’elle correspondait parfaitement à notre message. Nous l’avons donc adoptée». Le coach de vie opposant aux mesures ne désire néanmoins pas divulguer l’identité des auteurs, qui ne semblent pas vouloir assumer publiquement leur œuvre et souhaitent préserver l’anonymat.

Mais si les rédacteurs du pamphlet restent fantomatiques, ils n’hésitent pas à citer des grands noms de la politique suisse pour légitimer leur démarche. Ainsi, au verso de la couverture, l’on peut lire l’exergue: «Une telle atteinte aux droits fondamentaux ne se justifie plus», signé Franziska Roth, conseillère nationale PS.

Contactée par Blick, la politicienne est surprise et… remontée. Réfutant toute affiliation ou sympathie envers le groupe, elle affirme que sa citation est utilisée à tort, sans son aval. Et qui plus est sortie de son contexte initial, qui était celui de l’idée – non-concrétisée – d’un certificat combiné avec des tests payants.

Des financements mystérieux

Combien de ces brochures sont-elles en libre circulation? Et surtout, qui a les moyens de financer une telle campagne de désinformation? Werner Boxler rétorque à Blick: «Nous avons imprimé quelques dizaines de milliers d’exemplaires.» Les Amis de la Constitution refusent de donner un chiffre précis quant au tirage. Même son de cloche pour le prix de l’opération, ainsi que pour son (ses) mécène(s).

Face à tant d’opacité, l’on peut cependant se référer à des informations divulguées par Le Temps cet été déjà. La trésorière du groupe opposé aux mesures y déclarait qu’un tous-ménages tiré à 1,6 million d’exemplaires avait coûté quelques 80’000 de francs en impression, sans compter les frais de Poste.

Néanmoins, comme le révèle le média, un seul mécène est explicitement cité: Zug Capital, un mystérieux «service de minage de cryptomonnaies», dont le nom est étrangement absent du Registre du commerce du canton.

La Municipalité prise de cours

Contactée par Blick, la Ville de Lausanne, qui s’est officiellement positionnée en faveur de la loi Covid, est embarrassée. En effet, comme le confirme Pierre-Antoine Hildbrand, municipal PLR chargé de la sécurité et de l’économie, «la distribution de matériel politique par des personnes sans stand fixe n’est pas soumise à autorisation». Pas de stand, pas de réglementation, donc.

L’élu, qui n’avait pas connaissance de la brochure avant d’être interrogé par Blick, ne cache pas sa gêne: «Nous n’avons pas parlé de ce sujet à la municipalité, et je n’ai pas lu le contenu. Mais c’est l’occasion de rappeler que la municipalité, à l’unanimité, a voté en faveur d’un oui aux urnes le 28 novembre».

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