«C’est un cauchemar»
Une centaine de réfugiés ukrainiens dénoncent leurs conditions d'accueil

Logements miteux, manque d'informations, rendez-vous médicaux en attente... Dans une lettre désespérée, une centaine de réfugiés ukrainiens interpellent le canton de Berne. Ils adressent des reproches sévères à l'entreprise ORS, responsable de leur accueil en Suisse.
Publié: 27.06.2022 à 13:37 heures
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Dernière mise à jour: 27.06.2022 à 17:19 heures
Lea Hartmann

La frustration et l’impuissance se lisent sur le visage de réfugiés ukrainiens hébergés à Berthoud, dans le canton de Berne. Il y a peu de temps, ils avaient encore de bons emplois, une maison, une famille et des amis. Aujourd’hui, ces Ukrainiens vivant en Suisse mènent une vie en suspens. Et sont livrés à une bureaucratie qu’ils ne comprennent pas, ce qui les met en colère.

La source principale de leur mécontentement? L’entreprise ORS, responsable de l’hébergement et de l’encadrement des réfugiés en Haute-Argovie, dans l’Emmental et dans de nombreuses autres régions et communes. Avec des dizaines de centres d’hébergements pour les requérants, c’est le plus grand acteur privé dans le domaine de l’asile. Or, ORS est dans le feu des critiques depuis des années. Aujourd’hui plus que jamais.

«Nous avons besoin d’aide!»

«C’est un cauchemar», s’exclame Irina Rad, désespérée. Elle est actuellement logée dans un bâtiment qui va être démoli à la périphérie de la ville bernoise, avec environ 300 autres réfugiés ukrainiens. L’immeuble a été transformé en logement collectif. Il va bientôt disparaître pour faire place à une nouvelle construction.

Oksana Bolhova et des dizaines d'autres réfugiés ukrainiens ont adressé une lettre aux autorités bernoises.
Photo: Philippe Rossier
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Pendant deux semaines, cette femme de 59 ans s’est rendue au bureau de la société d’asile. Chaque jour, Irina Rad a tenté vainement d’obtenir des réponses aux nombreuses questions essentielles qu’elle se pose, ainsi que ses compatriotes. Mais celles-ci restent pour l’instant sans réponse.

Oksana Bolhova et son mari vivent eux aussi dans un appartement délabré depuis quelques mois. Ils habitent au rez supérieur d’un immeuble miteux, dans un petit trois-pièces. Avec quatre autres Ukrainiens. «Nous avons besoin d’aide!», implore l’avocate originaire de Kharkiv, dans l’est de l’Ukraine.

Dans une lettre que Blick s’est procurée, ces réfugiés logés à Berthoud et dans les environs en appellent aux autorités en désespoir de cause. Plus de 100 requérants d’asile ont signé cette missive adressée au conseiller d’État bernois responsable de l’asile, Pierre Alain Schnegg, au maire de Berthoud, Stefan Berger, et à la direction d'ORS.

«En presque trois mois, l’assistant social ne nous a reçus qu’une seule fois», se désolent par exemple ces Ukrainiens. Un père demande depuis la fin mai une aide financière pour son fils affecté aux reins afin de lui acheter de la nourriture, sans succès. Une mère de six enfants, dont une fille de 10 ans qui a besoin d’aller chez le dentiste, est aussi en attente depuis un mois et demi. «Ils nous disent simplement qu’elle doit prendre des antidouleurs», tonne Nataliia Sobchuk.

Un salaire qui se fait attendre

Oksana Bolhova et son mari Robirto sont également démunis. Lui a trouvé un travail temporaire, en tant qu’employé polyvalent chez un fournisseur de boissons. Sur les 2740 francs qu’il a gagnés en mai, il ne reçoit que 414,35 francs. C’est ce que prévoit la loi bernoise pour les bénéficiaires de l’aide sociale en matière d’asile. C’est terriblement peu, même si c’est toujours plus que les 382 francs d’aide sociale par mois, au maximum, avec lesquels les réfugiés doivent vivre à Berthoud. Mais juillet s’approche et Robirto n’a pas encore reçu le moindre franc de son salaire.

Et ce ne sont que quelques récits parmi tant d’autres que les réfugiés ukrainiens racontent à Blick. «À toutes nos questions, ORS n’a qu’une seule réponse: 'Nous ne savons pas, attendez.' Nous attendons, pendant des semaines et des mois», écrivent-ils dans leur courrier.

Confrontée par Blick à ces critiques, l’entreprise spécialisée se défend: «Les réfugiés qui sont pris en charge par ORS peuvent s’adresser à tout moment au personnel et reçoivent alors les informations nécessaires.» De plus, des courriers d’information ont été envoyés «à plusieurs reprises et de manière régulière». Pourtant Oksana Bolhova affirme que ces lettres sont d’une part rares et d’autre part ne répondent pas à un grand nombre de ses questions.

«Il pourrait y avoir des retards»

ORS fait savoir qu’elle s’efforce de fournir des «informations et des explications en temps voulu». Mais compte tenu du «grand nombre de réfugiés en provenance d’Ukraine», il pourrait y avoir des «retards».

Dans le cas du mari d’Oksana Bolhova, les besoins de base ont été couverts «dans les délais», estime l’entreprise. Pourtant, la somme versée ne correspond qu’à deux tiers à peine de ce à quoi le couple a droit. Selon ORS, le versement de la part de salaire à laquelle il a droit a lieu «en général avec un peu de retard», car il faut attendre le décompte de salaire et recalculer le montant auquel les bénéficiaires ont droit. Un spécialiste interrogé Blick qualifie toutefois de «bizarre» un délai aussi étendu.

En ce qui concerne les rendez-vous médicaux, ORS se dédouane de toute responsabilité. Les dossiers sont transmis aux services compétents, qui décident ensuite du degré d’urgence cas par cas.

Le canton se penche sur l’affaire

La direction de la Santé et des Affaires sociales du canton de Berne prend désormais les choses en main. Gundekar Giebe, porte-parole du conseiller d’État Pierre Alain Schnegg, rapporte que les autorités vont se pencher sur ce dossier, mais qu’il est encore trop tôt pour avancer une conclusion.

Il souligne le caractère exceptionnel de la situation. Depuis mars, Berne a vu arriver autant de réfugiés qu’en trois ou quatre ans. De plus, les Ukrainiennes et les Ukrainiens ont des attentes plus élevées vis-à-vis de l’État que les autres réfugiés, rapporte-t-il.

Les réfugiés sont conscients que leurs critiques pourraient être mal prises et qu’on pourrait leur reprocher d’être ingrats. Lors de leur entretien avec Blick, ils soulignent qu’ils sont très reconnaissants envers la Suisse et sa population pour l’accueil dans cette situation difficile.

(Adaptation par Lauriane Pipoz et Jessica Chautems)

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