Campagne genevoise
Ce candidat UDC au Conseil d’État bétonne illégalement son terrain agricole

Candidat UDC au Conseil d’État genevois, Lionel Dugerdil est en bataille juridique avec le Département du territoire depuis sept ans. En cause, des travaux illégaux sur son domaine, qui visaient de toute évidence à rendre exploitable commercialement une salle de fêtes.
Publié: 11.02.2023 à 06:04 heures
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Dernière mise à jour: 11.02.2023 à 07:49 heures
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Il décape, il remblaie. Il bétonne illégalement des terres viticoles, sur son domaine du Clos du Château à Satigny (GE) — au mépris des interpellations des autorités. Et ce depuis plus de sept ans. C’est du moins l’image que renvoie le candidat UDC au Conseil d’État genevois Lionel Dugerdil, à en lire un arrêt du Tribunal fédéral, et un rapport du Département du territoire parvenus à Blick.

Les deux documents témoignent d’une véritable saga, dont le synopsis serait celui d’un viticulteur qui a voulu s’essayer à l’événementiel. Quitte à aménager une salle de fêtes — destinée surtout aux mariages — en pleine zone agricole protégée (et tant pis pour les lois et l’écologie). Or, cela va à l’encontre du droit genevois. Selon lequel «la zone agricole est destinée à l’exploitation agricole ou horticole», point barre. Nous y reviendrons.

Tout commence en 2016. Le Département du territoire (DT) genevois constate alors pour la première fois un chantier non réglementaire sur le domaine du Clos du Château.

Le candidat UDC au Conseil d’État Lionel Dugerdil construit illégalement sur son terrain agricole, d'où son bras de fer avec le Département du territoire (DT), qui dure depuis sept ans. (Image d'archives)
Photo: keystone-sda.ch

Rapidement, des photographies prises sur place et les rapports des différents secteurs du Département indiqueront qu’il ne s’agit pas de travaux pour l’exploitation de la vigne. Alors que la viticulture est, a priori, la principale activité lucrative que Lionel Dugerdil exerce sur ses terres. Pourquoi décaper et aménager ainsi le sol, alors?

Un litige de sept ans d’âge

Le principal intéressé prônera la même version des faits, du début à la fin (soit de 2016 à 2022), et ce devant toutes les instances juridiques: ce «remblayage de terrain» était nécessaire afin «d’optimiser la surface cultivable de la vigne». Toute «construction sur le terrain est destinée durablement à la viticulture». Idem pour les autres travaux.

Le Département n’en croit pas un mot, soupçonnant Lionel Dugerdil de plutôt vouloir aménager et rendre plus accessible une salle de fêtes, qu’il louerait ensuite pour des événements tels que les mariages. C’est le début d’une longue bataille juridique. Le 19 décembre 2016, le Département du territoire demande l’arrêt complet des travaux sur ce terrain.

Le viticulteur n’obtempère pas. À plusieurs reprises, on lui demande alors de «requérir, dans un délai de 30 jours, une autorisation de construire afin de régulariser la situation». Lionel Dugerdil ne répondra pas à ces sollicitations. Plus encore, il fera systématiquement opposition, avant de déposer un recours auprès du Tribunal administratif de première instance (TAPI). Ce recours sera déclaré irrecevable le 15 juin 2017.

Violations à répétition

Alors que le précédent chapitre de l’histoire n’est même pas encore clos, le 4 février 2019, une inspectrice du Département du territoire fait un nouveau constat, photos à l’appui. On observe cette fois que les alentours d’un hangar du domaine du Clos du Château sont bordés par une vaste surface goudronnée, près d’une étendue de prairie et de terre.

À la suite de ces observations, il sera demandé, une fois de plus, à Lionel Dugerdil de déposer une demande d’autorisation de construire complémentaire dans un délai de 30 jours. Faute de réponse de sa part, les amendes administratives commencent à pleuvoir: 500 francs, puis 1000 francs, puis 1500 francs… Rien n’y fait, le paysan ne réagit pas.

En février 2020, il dépose enfin la demande d’autorisation de construire. Trois offices spécialisés se penchent alors sur le cas: l’OCAN (Office cantonal de l’agriculture), l’OU (Office cantonal de l’urbanisme) et le GESDEC (Service de géologies, sols et déchets). Leur constat est sans appel: «Aucun remodelage ne se justifiait et n’était admissible au regard du risque de porter durablement atteinte à la fertilité du sol.» Et rien ne prouve que ces travaux étaient destinés à faciliter l’exploitation agricole ou viticole du domaine.

Face à cette analyse de la situation, le Département du territoire rend une décision le 27 janvier 2021. Avec trois conséquences. Un ordre de remise en état du terrain naturel dans un délai de 90 jours, une amende de 5000 francs et des frais de procédure de 345 francs à la charge du politicien.

Débouté au Tribunal fédéral

Après que ses recours auprès du TAPI (Tribunal administratif de première instance) et de la Cour de justice ont échoué, Lionel Dugerdil ne lâche rien. Il remonte au front en automne 2022, saisissant le Tribunal fédéral (TF) pour faire sauter les décisions du Département du territoire (DT).

Or, tous les arguments soumis par Lionel Dugerdil et son avocat Me Cyril Aellen, également député genevois et candidat libéral-radical au Grand Conseil, ont été considérés comme irrecevables par le TF. À savoir, notamment: «constatation manifestement inexacte des faits», ou encore «appréciation arbitraire des preuves». Tout a été rejeté en bloc.

Le 28 octobre 2022, le Tribunal fédéral rend sa décision: Le recours de Lionel Dugerdil est rejeté. Et «les frais judiciaires, arrêtés à 4’000 francs, sont mis à la charge du recourant.»

Les questions tranchées par le Tribunal fédéral sont donc réglées. À moins qu’il ne saisisse la Cour européenne des droits de l’Homme, ultime instance à sa portée…

Deux salles, deux ambiances

Tout ça pour quoi, au final? Pour pouvoir exploiter commercialement un hangar transformé en salle de fêtes? Contactés et confronté aux éléments ci-dessus, le principal intéressé et son avocat n’ont pas souhaité faire de commentaires.

Dans le rapport interne du Département du territoire que nous avons pu consulter, en revanche, il est indiqué que quatre faits, au total, sont reprochés à Lionel Dugerdil. Premièrement, «la construction du hangar, dont le sous-sol bâti a été agrandi» sans autorisation. Ensuite l’utilisation d’une partie de ce hangar, destiné à l’activité viticole, par son propriétaire comme… logement. D’après les dénonciations des villageois voisins du domaine du Clos du Château, du moins.

Mais surtout, le rapport dénonce de fait l’utilisation illicite de «la salle du premier étage» comme salle de réception pour des mariages, en «annexe à son autre salle du Clos du Château», à savoir la «Salle des Pressoirs» qui, elle, est en règle. Finalement, le document attire l’attention sur le remblayage illégal, qui a fait l’objet de l’arrêt du Tribunal fédéral traité ci-dessus.

Grâce à ce rapport et aux éléments fournis par l’arrêt du Tribunal fédéral, on constate que l’élément central de la situation concerne l’aménagement de cette seconde salle, la «Salle du Mirador», créée en 2015 (soit un an avant le début du bras de fer légal avec le Département du territoire). Sur le site internet du domaine du Clos du Château, cette dernière n’est plus visible.

Il y a quelques jours encore, l’on pouvait cependant réserver ce lieu en ligne via le site mariages.net (voir la capture d’écran ci-dessus). La «Salle du Mirador» a disparu de ce site également le vendredi 10 février.

Contacté pour confirmer toutes les informations ci-dessus, le Département du territoire (DT) rétorque: «Il y a effectivement eu quatre procédures lancées par le Département du territoire contre Monsieur Dugerdil, dont deux sont actuellement encore ouvertes. Notamment celle qui a fait l’objet d’un recours au Tribunal fédéral, le délai de remise en état n’étant pas encore écoulé.»


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