Capital, bonus, régulation
La Confédération et l'UBS sont à couteaux tirés

Après l'opération de sauvetage de Credit Suisse, la Confédération et l'UBS se sont éloignées. Et le litige sur les fonds propres qui déchire les deux parties n'est que la partie émergée de l'iceberg.
Publié: 23.05.2024 à 06:07 heures
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Dernière mise à jour: 23.05.2024 à 07:40 heures
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Holger Alich et Markus Diem Meier

Celui qui veut gâcher l'humeur de Sergio Ermotti n'a qu'une phrase à prononcer: «Exigences accrues en matière de fonds propres.» Et c'est précisément ce qu'il s'est passé lors d'une conférence organisée par l'agence de presse Reuters la semaine dernière, au cours de laquelle le patron de l'UBS a été interrogé sur les plans de la Confédération: «Ce dont nous avons besoin, c'est que les gens comprennent vraiment ce qu'il s'est passé avec Credit Suisse avant de tirer des conclusions», a déclaré Sergio Ermotti.

Lors d'un discours à l'université de Zurich, il a renchéri: «Il est assez surprenant de voir à quelle vitesse le point de vue sur l'UBS a changé, passant de celui d'un sauveur à celui d'un problème potentiel pour le pays.» L'UBS n'est pas un risque, mais une bénédiction pour le pays: c'est aussi grâce à elle que la Suisse est encore présente à la table des instances internationales comme le G20.

Après avoir géré la crise ensemble, la Confédération et l'UBS se livrent donc désormais à un duel fratricide. Et les signes de l'éloignement croissant entre la plus grande banque de Suisse et la Confédération se multiplient: la discorde est aujourd'hui profonde, rapportent des initiés.

La ministre des Finances Karin Keller-Sutter...
Photo: keystone-sda.ch
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Le rachat de Credit Suisse n'a pas été simple, estime l'UBS

Chez l'UBS, la frustration est d'autant plus grande que la banque a été encouragée par la Confédération à sauver Credit Suisse, la veille du week-end historique du 19 mars 2023. Tout cela sans être enthousiaste à l'idée d'effectuer ce rachat. Avec un modèle d'affaires défaillant, un bilan potentiellement toxique et des sorties massives de liquidités, Credit Suisse était en effet considéré comme une source de risque majeur.

Aux yeux de l'UBS, le rachat de Credit Suisse n'a donc pas été qu'une aubaine. Car au prix d'achat de 3 milliards de francs se sont par la suite ajoutées une multitude d'exigences en matière de capital. Il y a également 9 milliards de francs que l'UBS doit consacrer à des fonds propres, ainsi que 10 autres milliards de capitaux supplémentaires. Soit un total de 19 milliards, comme l'a calculé Sergio Ermotti lors de la présentation des chiffres trimestriels.

Ces majorations expliquent en partie pourquoi l'UBS réagit avec autant d'indignation aux demandes en matière de fonds propres. La Confédération veut que la maison mère, l'UBS SA, couvre à l'avenir la valeur de ses filiales à 100% – et non plus à 60% comme jusqu'à présent – avec des fonds propres. Ce qui, selon les estimations actuelles, devrait coûter à l'UBS entre 15 et 25 milliards de francs supplémentaires.

Les exigences en matière de fonds propres disponibles risquent de faire grimper le coût du crédit des clients, ce qui pourrait désavantager l'UBS face à la concurrence internationale. De plus, les rachats d'actions et le versement de dividendes seraient plus difficiles. Avec environ 200 milliards, l'UBS aurait aujourd'hui plus de fonds propres que nécessaire.

Du point de vue de l'UBS, les autorités n'assument leur erreur

Du point de vue de l'UBS, les autorités bafouent désormais les accords conclus le 19 mars 2023, lorsque la reprise de Credit Suisse a été décidée. C'est ce qu'a laissé entendre Sergio Ermotti lors de la conférence sur les résultats trimestriels. Interrogé sur le fait qu'il n'avait pas conclu d'accord avec la Confédération dans le cadre de l'accord sur Credit Suisse, Sergio Ermotti a répondu: «Nous tenons nos promesses. Mais je ferais mieux d'arrêter de parler maintenant.»

Chez l'UBS, on considère les exigences et les prises de position de la Confédération, de la Finma et de la Banque nationale (BNS) comme une tentative de diversion par rapport à leur propre échec concernant Credit Suisse. Les autorités tenteraient désormais de dissimuler le fait qu'elles n'ont pas pu empêcher l'effondrement de la banque aux deux voiles, en se retournant contre l'UBS.

La direction de l'UBS est par ailleurs convaincue que les instruments too big to fail existants sont suffisants et qu'ils n'ont pas été exploités chez Credit Suisse. Au lieu d'intervenir de manière appropriée, la Finma aurait même accordé à Credit Suisse des exceptions, comme celles concernant la dotation en capital, auxquelles l'UBS doit désormais se conformer. Le PLR zurichois aurait par ailleurs eu un rôle important dans cette affaire; ses représentants auraient ainsi voulu protéger Credit Suisse à cause de leur lien historique.

La Confédération souhaite protéger le contribuable

La Confédération et les autorités de surveillance ont une tout autre vision de la situation. Ainsi, il n'aurait jamais été question d'accords pour un éventuel renforcement de la réglementation après à la crise traversée par Credit suisse. A Berne, les responsables s'inquiètent surtout d'une nouvelle crise bancaire. En effet, personne n'a envie de se retrouver une nouvelle fois dans une situation comme celle rencontrée par l'UBS en 2008, puis par Credit Suisse l'année dernière. C'est pourquoi les plans de la Confédération prévoient que l'UBS se dote de fonds propres supplémentaires pour minimiser le risque pour les contribuables.

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«Des prescriptions plus strictes en matière de fonds propres rendraient l'UBS plus supportable pour l'économie suisse»
Gerhard Andrey, conseiller national des Vert-e-s
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Malgré les protestations de l'UBS, la ministre des Finances Karin Keller-Sutter a donc réaffirmé à plusieurs reprises ses plans de capital. «L'UBS devra constituer davantage de fonds propres», a-t-elle déclaré aux journaux de CH-Media.

Des parlementaires de gauche comme de droite soutiennent le Conseil fédéral sur cette question. «A part l'UBS, personne ne conteste que la grande banque dispose d'une garantie implicite de l'Etat», déclare par exemple le président du PLR Thierry Burkart, qui ajoute: «Credit Suisse n'a pas péri par manque de fonds propres, mais la crise a montré que la maison mère était sous-capitalisée. C'est là que des améliorations doivent être apportées.» Le conseiller national des Vert-e-s et expert bancaire Gerhard Andrey estime pour sa part: «Je suis favorable à des prescriptions plus strictes en matière de fonds propres, car elles rendraient l'UBS plus supportable pour l'économie suisse.» Le nouveau directeur de la Finma, Stefan Walter, s'est également prononcé avec véhémence en faveur de fonds propres plus élevés.

Espérer le rapport de la CEP

Le débat sur les exigences en matière de fonds propres n'est pas le seul à avoir détérioré le climat entre le monde politique et la grande banque. Le salaire de 14 millions de francs de Sergio Ermotti pour neuf mois de travail fait également grincer des dents dans le monde politique. Même la ministre des Finances Karin Keller-Sutter a critiqué à plusieurs reprises le montant de ce salaire. Le chef de la Finma, Walter, exige désormais que l'autorité de surveillance puisse limiter les bonus lorsque les tests de résistance laissent entrevoir des problèmes de capital.

Dans ces fronts durcis, il n'y a qu'un seul point sur lequel tous sont d'accord: ils espèrent que le rapport de la commission d'enquête parlementaire apportera plus de clarté sur ce qui n'a vraiment pas fonctionné afin de savoir qui en porte la responsabilité. Toutefois, chaque partie part du principe que le rapport confirmera finalement son propre point de vue. Cela ne peut pas fonctionner. De nouvelles querelles sont donc d'ores et déjà programmées.

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