Dans le plus grand des calmes
Les paysans suisses appellent à plus de sécurité, de valorisation, et à des prix équitables

Les paysans suisses aussi sont en colère. Après les révoltes paysannes en France, les agriculteurs hélvètes aussi se lèvent. 1100 tracteurs et 2000 participants ont participé aux «réveils» dans la région, selon les agriculteurs bernois. Blick était sur place.
Publié: 26.02.2024 à 16:40 heures
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Vanessa Mistric

La scène a quelque chose de surréaliste: des tracteurs roulent au pas sur la piste d'atterrissage. Plus d'une centaine de gyrophares clignotent en même temps. La frénésie du spectacle contraste avec les alentours. L'aérodrome bernois de Langenthal-Bleienbach est en pleine agitation. Mais à l'horizon, tout est calme: il n'y a que des prairies, plongées dans l'obscurité.

Il est 22 heures. Deux jeunes sont assis dans un des tracteurs qui, l'un d'eux se retourne, frappe à la vitre arrière. Ses collègues lui répondent d'un signe de la main. Un drone bourdonne au-dessus des véhicules, de lourds moteurs vrombissent. A part ça, c'est le calme plat.

Blick a voyagé dans l'un des tracteurs.
Photo: Linda Käsbohrer


«Des veillées calmes sans aucune entrave»

Vendredi soir, les paysans bernois ont organisé des «veillées calmes sans aucune entrave» dans quatre lieux de la région. Une autre action sur un terrain privé a aussi pris place à Chiètres (FR). Environ 1000 tracteurs et «bien 2000» participants se sont joints à l'événement en quelques jours, selon les organisateurs. C'est un «cri d'alarme adressé à l'administration, à la politique et aux acteurs du marché». Leurs revendications: «Plus de sécurité de planification et de valorisation, moins de bureaucratie, des prix équitables.»

Selon les organisateurs, plus de 2000 paysannes et paysans se sont rassemblés à l'aérodrome de Langenthal-Bleienbach (BE).
Photo: Linda Käsbohrer
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Parmi les paysans bernois, huit agriculteurs font partie de l'Union cantonale des paysans, sans pour autant y occuper une fonction. Contrairement aux manifestations paysannes ailleurs en Europe, l'objectif ici est le suivant: ne déranger personne.

«Si nous nous rendions tous ensemble à Berne avec nos tracteurs, l'effet médiatique serait gigantesque», déclare l'agriculteur bio Daniel Hasler de Walterswil (BE). Il nous montre des images impressionnantes de différents piquets de grève où des centaines de tracteurs clignotent. Ses collègues viennent de les poster sur TikTok. «S'ils étaient allés à Berne, je ne serais pas venu.» Selon lui, énerver les gens est contre-productif.

De nombreuses familles d'agriculteurs s'inquiètent de l'avenir de leurs fermes.
Photo: Linda Käsbohrer

Pas d'alcool ni de musique

L'action a commencé à 20 heures à l'aérodrome. Au programme: un «bref exposé» de l'association des paysans de Haute-Argovie, une «partie conviviale», des prises de vue par drone avec les machines agricoles clignotantes, puis tout le monde à la maison avec ses voitures et ses tracteurs.

Saucisse, pain et boissons sont de la partie, mais ni alcool ni musique ne rythment l'événement. L'agriculteur Beat Schwab, qui a coordonné l'action à l'aérodrome depuis lundi, est revenu spécialement un jour plus tôt de ses vacances de ski pour pouvoir participer. «Les agriculteurs serrent le poing dans la poche», admet-il. «Il faut que tout se passe dans le calme et la paix, sinon on ne parlera que du négatif dans les gros titres après.»

Le paysan est propriétaire d'une grande ferme avec élevage laitier et cultures à Niederbipp (BE). Les directives de plus en plus compliquées l'agacent: «Cela ne peut pas être dû à l'âge... j'ai 38 ans!» Les marges des détaillants, sont selon lui, trop élevées: «Les prix en magasin ont massivement grimpé. Mais nous n'en recevons qu'une fraction de cette augmentation.»

Devant le stand de saucisses, des hommes et des femmes d'âge moyen font la file. Des enfants sont assis sur les épaules de leurs parents, des jeunes sont réunis en petits groupes et discutent à voix basse – sans faire de bruit.

Janine Müller, 26 ans, passe la veille de son anniversaire avec son partenaire à l'une des veillées.
Photo: Linda Käsbohrer

«Migros et Coop nous prennent beaucoup trop»

Certains d'entre eux ne sont pas sûrs de reprendre un jour la ferme de leurs parents. Après tout, disent-ils, ils veulent aussi pouvoir s'offrir des vacances de temps en temps.

Mais Janine Müller veut absolument reprendre l'exploitation familiale avec son partenaire. Elle a tenu à être de la partie, bien qu'elle fête ses 27 ans demain: «Pour nous, il est important que nous puissions nous financer avec le produit de la vente.» Diesel, électricité, machines... tout devient de plus en plus cher pour les familles d'agriculteurs. «Pourtant, nous ne recevons pas plus pour nos produits.»

Adrian U.* de son côté, dirige une exploitation familiale avec sa femme, son frère et la femme de ce dernier. Même son fils de onze ans donne parfois un coup de main. Son fils préfère conduire le tracteur. Comme les revenus des produits ne suffisent pas, Adrian travaille à temps partiel pour Landi. «Migros et Coop nous fait payer beaucoup trop pour ce qu'ils apportent au produit fini», se désole le paysan.

M. Prix soutient les paysans

Les agriculteurs ne sont pas les seuls à formuler cette critique. Le surveillant des prix Stefan Meierhans critique lui aussi les marges excessives des détaillants. L'automne dernier, il a annoncé la mise en place d'une enquête sur les aliments bio. Des maraîchères qui fournissent Coop et Migros ont révélé leurs coûts et leurs prix de vente à la Fédération romande des consommateurs (FRC). Celle-ci a comparé ces données avec les prix pratiqués en magasin. Elle est arrivée à la conclusion suivante: les détaillants appliquent une marge déraisonnablement élevée.

Les deux grands distributeurs suisses ont répondu à ces critiques: «Le Surveillant des prix n'a pas pu présenter à ce jour de faits selon lesquels Migros réaliserait des marges excessives.» Coop a expliqué que le marché du commerce de détail en Suisse, où la concurrence est rude, ne permettait pas des marges excessives.

Quoi qu'il en soit, toutes les personnes présentes à l'aérodrome évoquent le flot de tâches administratives et de règles en constante évolution, dont il est difficile de se faire une idée. La politique et la société devraient réfléchir à ce qu'elles veulent des agriculteurs, estime-t-on. Et devrait s'y tenir.

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