David Vogel, député vert'lib sur la liste des chercheurs qui bossent avec Israël
«Une sorte de ségrégation universitaire est en train de se mettre en place»

Lister les chercheurs et chercheuses de l'uni de Lausanne qui bossent avec Israël n'est pas passé auprès d'une partie du corps politique vaudois, surtout à droite et au centre. Sur LinkedIn, le député Vert'libéral David Vogel partage son inquiétude. Interview.
Publié: 02.06.2024 à 18:47 heures
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Dernière mise à jour: 02.06.2024 à 20:40 heures
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Léo MichoudJournaliste Blick

La palme de l'inquiétude revient au député Vert'libéral David Vogel, quand on parle de la liste des noms de profs de l'Université de Lausanne (UNIL) qui bossent avec Israël, dénichée par «Le Temps» le 27 mai. Ce passage du rapport des étudiants et occupants pro-palestiniens de l'UNIL, publié le jour de leur départ de Géopolis, a embrasé jusqu'au Grand Conseil vaudois cette semaine. Surtout à droite et au centre.

«Je m'inquiète», répète méthodiquement David Vogel à chaque début de phrase. Ce sont des mots forts qu'il utilise dans son intervention, filmée à la séance du mardi 28 mai et partagée sur LinkedIn: «Je m'inquiète de l'importation en terres vaudoises du conflit israélo-palestinien. Je m'inquiète des relais politiques que ces courageux délateurs trouvent au Grand Conseil. (...) Je m'inquiète de la délation pensée, organisée et revendiquée, qui met une cible dans le dos des collaborateurs de l'UNIL.»

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Les membres du collectif d'occupation pro-palestinien ne sont à ses yeux que des «délateurs à la petite semaine» qui prônent la transparence, mais restent «courageusement anonymes». Très critique des occupations d'universités, le Vert'lib tire sur tout ce qui bouge: des adeptes du boycott académique au rectorat, en passant par la politisation dans les unis et les socialistes dans l'affaire Mountazar Jaffar. Interview.

Le Vert'libéral vaudois David Vogel a des choses à redire à son ancienne université sur la gestion des mobilisations pro-palestiniennes.
Photo: Keystone/D.R.

David Vogel, c'est en tant que prof que vous vous inquiétez de la démarche des étudiants pro-palestiniens de l'UNIL?
À la fois en tant qu'enseignant et comme ancien de l'Université de Lausanne. Ce qui m'inquiète dans leur rapport, c'est le côté anonyme et la délation. Le but, c'est d'empêcher toute collaboration avec des membres d'universités israéliennes. Une sorte de ségrégation universitaire est en train de se mettre en place.

Ah bon... Vous pouvez préciser?
Lorsqu'ils auront la possibilité de travailler avec une université en Israël, les chercheurs et chercheuses vont se dire: «Je ne veux pas figurer sur une liste, on va me traiter de tous les noms. Je vais être un affreux, donc je ne vais pas travailler avec eux.» C'est de l'intimidation. On nomme les gens et on leur fout la honte, car on ne veut pas qu'ils travaillent avec des chercheurs israéliens.

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«Mon reproche, c'est que cela va se faire au détriment de la recherche. C'est la politique qui prend le dessus»
David Vogel, député vaudois et prof d'histoire
»

Mais les étudiants n'ont pas concrètement de pouvoir sur le choix des enseignants de travailler, s'ils le veulent, avec des institutions israéliennes?
Pas pour l'instant… Cela dit, quand vous prenez une décision, vous faites toujours le calcul coût-bénéfice. Qu'est-ce que ça vous apporte de travailler avec l'université israélienne et qu'est-ce que ça vous enlève? Les gens vont toujours au plus simple, sans savoir d'ailleurs ce que pensent ces chercheurs et ce que font vraiment ces universités. Mon reproche, c'est que cela va se faire au détriment de la recherche. C'est la politique qui prend le dessus.

Dans l'autre sens, un professeur qui boycotte les institutions israéliennes, c'est tout aussi critiquable?
Ma collègue députée Oriane Sarrasin (PS) a fait ce choix. Je le regrette, mais elle est libre en tant que chercheuse d'avoir ses propres critères. L'idée n'est pas d'imposer quoi que ce soit à des gens de l'UNIL, mais de leur laisser la liberté. Le procédé utilisé ici, c'est de faire peur aux membres du corps enseignant.

Vous allez jusqu'à parler de «mettre une cible sur le dos» des profs. On dirait que ce qui vous effraie, c'est une affaire Samuel Paty, comme en France?
Je n'en sais rien. J'espère qu'on n'arrivera pas jusque-là. Mais quand un prof d’histoire des Juifs et du judaïsme, M. Ehrenfreund, veut faire un cours avec un prof d'islam, ces associations hurlent qu'il n'y a strictement rien de religieux dans ce conflit. Qu'elles se renseignent un tout petit peu et laissent les profs faire leur travail de profs.

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«Ce qu'ils veulent, c'est le boycott. Ils ne veulent pas réfléchir ou débattre, ou voir que le monde est complexe»
David Vogel, élu vert'libéral au Grand Conseil vaudois
»

Pour vous, quel est le problème à manifester?
Le problème, c'est que la conclusion est connue avant de travailler sur la question. Ce qu'ils veulent, c'est le boycott. Ils ne veulent pas réfléchir ou débattre, ou voir que le monde est complexe. Ces gens feraient mieux de réfléchir avant de prendre des décisions.

Mais justement, il y en a de la réflexion dans ce rapport sourcé de trente pages, qui détaille les liens entre les institutions israéliennes et l'armée...
Absolument. Qu'on fasse des recherches sur ces questions ne me dérange pas. Le problème, c'est leur présupposé qu'il faut boycotter Israël. Ils n'ont pas fait ces recherches pour les collaborations avec l'Iran, la Chine ou d'autres pays.

C'est-à-dire?
Mettons que je travaille sur l'histoire chinoise, avec un chercheur d'université chinois. Est-ce que je lui demande de condamner le Parti unique chinois, les malversations contre les Ouïghours, les envies d'invasion de Taïwan ou encore la politique chinoise au Tibet? Tout ça avant de lui poser une seule question? Non. Je pense que si on n'est pas d'accord avec quelqu'un, il faut leur poser des questions pour les comprendre. Et non éviter toute discussion.

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Donc, vous ne croyez pas le collectif d'occupation quand il assure qu'il ne s'agit pas de viser des personnes?
Quand on ne vise pas des personnes, on ne les nomme pas. Ils se cachent derrière cette étude pour arriver à leur conclusion: le boycott d'Israël. Leur idéal, c'est une université pure. À mon sens, c'est totalement stupide de ne travailler qu'avec des gens qui partagent exactement notre manière de voir le monde, la vie et les conflits autour de notre planète.

Les frappes israéliennes sur les déplacés de Rafah ne nécessitent-elles pas une réponse forte de la communauté internationale, dont le boycott académique que préconisent ces militants?
Évidemment, c'est dramatique ce qui arrive aux civils de Gaza. Mais une université ne doit pas se substituer à un pays. Les sanctions doivent se jouer au niveau politique. Ce n'est pas à une institution locale comme l'UNIL de donner son avis sur la marche du monde et de faire primer l'orientation politique sur la recherche.

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«J'aimerais que l'UNIL reste dans son rôle. Qu'elle soit plutôt une leader de la recherche qu'une leader ponctuelle d'opinion.»
David Vogel, député vert'libéral au Grand Conseil vaudois
»

Alors pour vous, l'UNIL n'aurait pas dû non plus se prononcer sur l'attaque de la Russie sur l'Ukraine?
Non, elle n'aurait pas dû. L'université doit se contenter de faire son travail. Elle doit éventuellement dénoncer si des chercheurs et des chercheuses sont entravés, n'ont pas la liberté de parole ou subissent des pressions, par exemple si des chercheurs d'autres pays n'ont plus le droit de collaborer avec eux. Ils doivent dénoncer si des universités sont détruites.

Pourquoi seulement dans ces cas-là?
L'université qui parle d'université, c'est crédible. Quand on commence à dire «lui, c'est le gentil et lui, c'est le méchant» sans légitimité, on est dans le domaine politique. Si je critique l'UNIL, ce n'est pas parce que je ne l'aime pas. Au contraire, j'aimerais qu'elle reste dans son rôle. Qu'elle soit plutôt une leader de la recherche qu'une leader ponctuelle d'opinion.

Comment comprenez-vous la décision du parti socialiste vaudois de ne pas sanctionner l'élu lausannois Mountazar Jaffar?
Je ne la comprends pas. J'aimerais bien savoir ce qu'il faut faire pour être viré du parti socialiste. Au passage, je note que quand il y a des dérives — tout à fait condamnables par ailleurs — au sein de l'UDC, on est beaucoup plus strict. Souvent, les membres sont virés manu militari. Je pense que M. Jaffar ne mérite pas de rester dans son parti, qui dit avoir des valeurs contre l'antisémitisme. Mais bon, s'ils veulent le garder, c'est leur problème.

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«Quand on voit ce que Mountazar Jaffar like, on est plus proche de la réaction d'un adolescent que de celle d'un universitaire»
David Vogel, député vaudois au Grand Conseil (Vert'libéral)
»

Pour vous, ses «likes« polémiques sont si graves que ça?
Ce qui est grave, c'est qu'il est doctorant à l'Université de Lausanne et qu'il se prévaut de son titre pour donner son avis sur la marche du monde. Et quand on voit ce qu'il like, on est plus proche de la réaction d'un adolescent à la réflexion pas tout à fait aboutie que de celle d'un universitaire.

Mais chaque faculté contient son lot de politisation, non?
Il y a une tendance à politiser beaucoup de choses. Lorsque j'étais en histoire, ça penchait largement à gauche. Je suis pour que les facultés ne soient pas d'accord les unes avec les autres. Je serais même pour que les profs ne soient pas d'accord les uns avec les autres au sein de chaque faculté, qu'il y ait des gens de courants divers qui amènent différentes couleurs.

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«Pour moi, l'université doit étudier le monde tel qu'il est, et non pas vouloir le transformer tel qu'elle voudrait qu'il soit»
David Vogel, élu vaudois et enseignant au gymnase
»

Ce n'est pas le cas?
Ce que je vois de l'extérieur, c'est une certaine homogénéité de vues. Les profs ne prennent pas distance avec leurs étudiants, ils épousent leurs points de vue un peu simplistes. On peut le pardonner à des étudiants... mais je le pardonne un peu moins à des professeurs.

Donc en tant que Vert'libéral, qu'est-ce que vous proposez?
Je suis absolument favorable à ce que l'université sorte de la politisation de son enseignement... pour faire majoritairement de l'enseignement. Elle est gentiment, hélas, en train de tout politiser. Pour moi, l'université doit étudier le monde tel qu'il est, et non pas vouloir le transformer tel qu'elle voudrait qu'il soit.

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