Des bananes et de la poudre
Jugé à Bâle, il aurait acheminé plusieurs tonnes de coke en Europe

Installé à Bâle, Alvaro* acheminait des tonnes de cocaïne de Colombie en Europe. Il utilisait son «commerce de fruits» pour faire entrer discrètement la marchandise, qui était ensuite redistribuée. Il vendait lui-même de petites quantités à Bâle.
Publié: 12.01.2023 à 06:08 heures
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Dernière mise à jour: 12.01.2023 à 08:30 heures
Céline Trachsel
Céline Trachsel

Fait rare en Suisse: un membre haut gradé d'un cartel colombien sera prochainement jugé à Bâle. À partir du 16 janvier, Alvaro* comparaîtra devant le juge. Ce binational hispano-colombien, bénéficiaire d'un permis C, est accusé d'avoir agi au sein d'un «groupe de trafiquants de drogue actif à l'échelle mondiale, en y exerçant un rôle de premier ordre». L'organisation en question est appelée en espagnol «Clan del Golfo», «Clan du Golfe» en français, et représente aujourd'hui l'une des organisations criminelles les plus puissantes de Colombie. En mai 2022, l'extradition aux États-Unis d'un trafiquant qu'on appelait «Otoniel», leader du cartel, avait provoqué une vague de représailles violentes dans certaines régions du pays.

Dans l'acte d'accusation d'Alvaro, il est inscrit qu'il se serait rendu en Colombie en 2020 afin d'y étendre son réseau et de gravir les échelons de la hiérarchie interne du gang. Originaire de la ville de Montenegro, à mi-chemin entre les métropoles de Medellín et Cali, il aurait ensuite participé à des livraisons internationales de drogue, masquées par son commerce de fruits. La cocaïne était ainsi dissimulée dans des cargaisons d'ananas, de bananes ou de litchis et partait vers l'Europe, l'Afrique et l'Australie. À Bâle, le Ministère public estime qu'il a participé à l'acheminement de 8 à 9 tonnes de cocaïne, vers diverses destinations.

Une stratégie en haute mer

Les transports se faisaient la plupart par bateau, depuis la région de la Guajira en Colombie jusqu'en République dominicaine, en Jamaïque, au Mexique, au Costa Rica ou directement en Espagne. La marchandise était ensuite transférée sur un cargo qui la jetait directement dans l'eau, dans des caisses, au large des côtes africaines. Par la suite, des voiliers et des bateaux à moteur venaient pour les récupérer, à l'aide de plongeurs, afin de les porter jusqu'aux Canaries.

Par le biais de ses deux sociétés de négoce de fruits en Colombie et en Espagne, le Bâlois faisait venir la drogue par avion dans des cargaisons de bananes, d'ananas ou de litchis. Cette photo date de 2010: une saisie de 50 kilos de cocaïne à Cologne (photo d'archives).
Photo: ddp
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De là, la cocaïne était redirigée vers les ports d'Anvers, de Valence, du Havre et de Rotterdam, camouflée dans des conteneurs aux couleurs de différentes entreprises logistiques. Londres, Amsterdam et Lisbonne faisaient également partie des points de transbordement.

Un profil bas

Le trafic se faisait aussi par avion, depuis Bogotá vers l'Europe, notamment à bord de la flotte de la compagnie Lufthansa. À plusieurs reprises, l'accusé aurait participé à des envois par avion à destination de Francfort, la cocaïne étant cachée dans des fruits.

Malgré un business conséquent, Alvaro arborait un train de vie plutôt modeste en Suisse. Tout d'abord, parce que souvent la cocaïne était mise à disposition sur commission. En plus, il envoyait la majorité de ses revenus à des proches en Espagne. À Bâle, il vivait avec seulement 500 francs par mois, la plupart du temps. Il était soumis à des poursuites et était parfois inscrit à l'aide sociale, en plus de compter des arriérés de loyer auprès de son bailleur. Pour faire fructifier son trafic, Alvaro exploitait avec deux complices deux laboratoires clandestins, où il conditionnait des portions individuelles de quelques grammes de cocaïne pour des consommateurs locaux.

115 kilos de coke vendus à Bâle

Les enquêteurs ont pu prouver qu'il avait personnellement vendu depuis 2014 un total de 115,7 kilos de mélange de cocaïne à de petits acheteurs et à des intermédiaires à Bâle et dans les environs, réalisant ainsi un chiffre d'affaires de 8,1 millions de francs. Encore une fois, cet argent était pour la plus grande partie réinvesti, en Colombie ou en Espagne.

Comme pour ses cachettes en avion, Alvaro utilisait dans son business local la métaphore des fruits. «Cinq citrons verts coûtent 250 francs», avait-il l'habitude de discuter avec ses interlocuteurs. Ou encore : «Si tu as du café, s'il te plaît, du fort, parce que celui que j'ai a une essence plus profonde, et ils n'en veulent pas.» Son langage toujours codé, Alvaro aurait même voulu «envoyer chez le coiffeur» un collaborateur problématique. En gros, le faire abattre.

Connexions internationales

Finalement, Alvaro a été arrêté le 7 avril 2021 à Bâle. Les enquêteurs n'ont trouvé que quelques dizaines de grammes de cocaïne dans deux perquisitions, mais plusieurs téléphones portables leur ont aussi permis de découvrir les connexions internationales de l'accusé, notamment avec le «Clan del Golfo».

Ce cartel, également appelé «Los Urabeños», contrôle en Colombie une grande partie des zones de culture et est responsable de la moitié des exportations de cocaïne du pays. Il est connu pour collaborer avec les cartels de la région de Sinaloa, au Mexique. Celle-ci a fait récemment les gros titres lorsqu'un des fils du baron de la drogue El Chapo y a été arrêté, ce qui a déclenché un bain de sang dans des affrontements entre groupes armés et forces de l'ordre.

* Nom modifié

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