Des céréales plutôt que des millions
«Chaque mètre carré construit est irrécupérable!»

En Suisse, le marchandage autour de chaque mètre carré de terrain enrichit les uns et appauvrit les autres. A l'heure où la question de la sécurité alimentaire est devenue lancinante, des paysans s'opposent aujourd'hui à la vente de terres arables de première qualité.
Publié: 18.08.2022 à 05:56 heures
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Dernière mise à jour: 18.08.2022 à 10:45 heures
Tobias Ochsenbein

En Suisse, lorsqu'une parcelle de terrain agricole est reclassée en terrain à bâtir, les propriétaires se frottent souvent les mains. La valeur du terrain prend tout à coup l'ascenseur. En Suisse, un mètre carré de terrain agricole se négocie à 6 francs. Mais le terrain à bâtir, quant à lui, vaut entre 200 et plusieurs milliers de francs le mètre carré.

Seulement voilà, le sol exploitable est rare en Suisse. Depuis l'invasion de l'Ukraine, nombreux sont ceux qui se demandent combien de terres agricoles la Suisse va encore sacrifier à la construction. La guerre a en effet des conséquences sur le marché mondial des denrées alimentaires. On voit bien que la sécurité alimentaire nationale est de nouveau au centre des préoccupations.

«L'argent ne fait pas le bonheur»

C'est le cas de l'ancien agriculteur et propriétaire foncier saint-gallois T. B.*, 69 ans. Sa commune souhaite élargir le plan de zone. Pour ce faire, elle veut transformer 2,2 hectares des meilleures terres arables, appelées surfaces d'assolement, de T. B. en zone de constructions et d'installations publiques. En collaboration avec le club de football local, la commune veut créer de nouveaux terrains et améliorer ainsi «l'attractivité de l'infrastructure communale».

Cette parcelle des meilleures terres agricoles du canton de Berne doit être reclassée et vendue.
Photo: Thomas Meier
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Mais T. B., dont la famille dirige sa ferme depuis sept générations, ne veut pas en entendre parler. Et ce, même si ses terres pourraient lui rapporter gros. Très gros. «L'argent seul ne fait pas le bonheur!», rétorque-t-il. Le paysan n'a jamais voulu utiliser ses terres cultivables à d'autres fins que l'agriculture. Il a même décidé de louer sa terre à un agriculteur de sa famille. «Je suis un paysan depuis bien trop longtemps pour faire ça! Mon cœur bat pour l'agriculture depuis bientôt 70 ans. Si je devais tout recommencer, je ferais exactement le même métier.»

L'ancien agriculteur est très dérangé par la disparition progressive de cette précieuse ressource. Et les chiffres lui donnent raison: entre 1985 et 2009, selon le plan sectoriel de l'Office fédéral du développement territorial (ARE), quelque 85'000 hectares de terres cultivables ont disparu en Suisse. Ce qui correspond à environ un mètre carré par seconde. Environ deux tiers de ces surfaces ont dû céder la place à de nouvelles zones d'habitation, le reste étant transformé en forêt.

Le taux d'auto-approvisionnement diminue

«Il faut prendre soin de ces terres, tonne T.B. C'est fou ce que l'on détruit pour la prochaine génération!» Ce n'est pas Jonas Steiner, jeune paysan de 35 ans, qui va le contredire. Ce Bernois exploite avec sa femme 10 hectares de terres, dont un hectare de première qualité que la famille loue depuis près de 100 ans. Mais la communauté d'héritiers qui possède ce terrain souhaite le faire reclasser en zone artisanale pour le vendre à une entreprise du village.

«La gestion durable de notre pays me tient à cœur, déclare le jeune Bernois. Car le degré d'autosuffisance en Suisse diminue.»
Photo: Thomas Meier

Le jeune paysan s'oppose farouchement à ce projet. Il a déposé un recours: «D'autres parcelles du village appartenant déjà à la bonne catégorie de zone à bâtir pourraient être construites!»

L'utilisation durable de nos terres lui tient à cœur. «Le degré d'autosuffisance en Suisse diminue, déplore-t-il. Or, les surfaces d'assolement sont importantes pour l'autosuffisance. Chaque mètre carré construit est ensuite irrécupérable!» L'UDC prépare notamment une initiative allant dans ce sens. Elle vise à augmenter le taux d'auto-approvisionnement en Suisse d'au moins 60%.

En tant que père, le devoir

Selon Jonas Steiner, la question est de savoir si nous devons nous permettre, en tant que société, de bétonner tout le pays. «Tout le monde parle toujours de densification de la construction, mais personne ne veut vraiment la mettre en œuvre», assène-t-il.

La ferme de Jonas Steiner est située à la périphérie du village de Sumiswald.
Photo: Thomas Meier

Le Bernois affirme qu'il n'y a jamais d'alternative: «Nous savons bien qu'il est indispensable de s'intéresser à la durabilité.» Plus que jamais depuis le début de cet été, particulièrement chaud. «En tant que jeune père, on porte un regard différent sur les choses. Je ne veux vraiment pas que mes enfants puissent plus tard me reprocher de n'avoir rien fait!»

*Nom connu de la rédaction

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