E-commerce, Covid et métavers
Les magasins sont-ils voués à disparaître?

Avec la hausse des ventes en ligne, phénomène exacerbé par la pandémie de Covid-19, les magasins physiques ont-ils encore un avenir? Plongée dans un futur pas si lointain, avec des spécialistes du commerce de détail.
Publié: 28.02.2022 à 06:04 heures
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Dernière mise à jour: 28.02.2022 à 09:13 heures
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

Projetons-nous dans un futur proche, via des questions qui inquiètent autant qu’elles passionnent. Avec l’explosion du e-commerce, phénomène encore accentué par la crise du Covid, les magasins dans lesquels nous nous rendons sur nos deux jambes sont-ils menacés? Les transactions numériques vont-elles finir par mettre sous cloche, à l’étage archéologie des musées, les interactions humaines que nous vivons toutes et tous dans les points de vente physiques?

Ces interrogations (posées ici de façon légèrement caricaturale, avouons-le) et leurs potentielles conséquences sont étudiées très sérieusement. Que ce soit par la fédération du commerce de détail Swiss Retail ou par les sociétés de conseil actives dans le secteur. En jeu: l’avenir des boutiques, de leurs nombreux emplois et de leurs importantes recettes. Vertigineux.

Alerte rouge ou feu de paille?

Chez BearingPoint, entreprise de consulting basée dans plus d’une vingtaine de pays européens dont la Suisse, on en est convaincu: les magasins physiques doivent rapidement se réinventer s’ils ne veulent pas être laissés sur le bord de l’autoroute numérique, explique-t-on à Blick.

À l'heure du e-commerce, les supermarchés ont-ils encore un intérêt?
Photo: Keystone

«En Suisse, la part des achats en magasin était de 61% en 2019 contre 54% aujourd’hui», avance Benjamin Gietzendanner, responsable des activités de conseil en Suisse occidentale pour le segment des entreprises industrielles et commerciales au sein du cabinet qui compte au total environ 5000 employés.

Benjamin Gietzendanner, cadre chez BearingPoint.
Photo: Studio CAP PHOTO/D.R.

Selon le spécialiste basé à Genève, les causes de ce constat — fondé sur les statistiques officielles de la branche — sont multiples: nouvelles technologies, nouvelles habitudes de consommation, nouveaux modèles de vente, consommateurs de plus en plus connectés et, bien sûr, impact du Covid. «La fréquentation piétonnière a diminué de 80% à l’apogée de la période de télétravail, illustre Benjamin Gietzendanner. Le tourisme d’achat, quant à lui, a affiché un recul de 25% à la suite de la fermeture des frontières.»

Le Covid a appuyé sur l’accélérateur

Évidemment, avec la fin de la pandémie et de ses restrictions sanitaires, la courbe va repartir à la hausse. Mais à court terme uniquement, estime le cadre de BearingPoint. «La baisse a été amorcée au niveau mondial bien avant le Covid, qui a simplement joué le rôle d’accélérateur», analyse-t-il, en s’appuyant notamment sur le fait que «la fréquentation des centres commerciaux américains a baissé de 60% entre 2005 et 2015.»

Qu’est-ce que cela signifie concrètement? Qu’une évolution inéluctable — et non pas une révolution, insiste Benjamin Gietzendanner — serait en marche. Et même déjà bien avancée. «Les consommateurs veulent perdre le moins de temps possible lorsqu’ils doivent faire des achats. Cela se remarque particulièrement concernant les produits de base. Aujourd’hui, la tendance est claire: on ne veut plus devoir bloquer un créneau dans notre journée, au détriment de notre vie de famille, professionnelle, ou de nos loisirs, pour acheter une brosse à dents ou un paquet de lessive alors que tout cela est à portée de clic, sans effort.»

D’après lui, le modèle d’affaires des supermarchés approche gentiment de sa date de péremption. «Les grandes surfaces font toujours davantage travailler leurs clients, pointe Benjamin Gietzendanner. Il faut trouver le bon rayon, saisir et transporter ses produits et les scanner soi-même à la caisse automatique avant de payer… Ces centres n’ont aucune plus-value par rapport à un shop en ligne. C’est même désormais le contraire.»

Le métavers changera vraiment la donne

«Plus-value»; le terme est lâché. Comment en créer dans les magasins physiques pour que les consommateurs continuent d’y mettre les pieds? En misant sur «l’émotion» des clients, prophétise notre interlocuteur.

«La tendance que nous constatons s’accentuera encore avec l’avènement du métavers (monde virtuel, ndlr.) et des expériences immersives», assure Benjamin Gietzendanner. En présentiel, il faudra donc tenter d’éveiller tous les sens des acheteurs et plus seulement leur vue. «Car, avec un casque de réalité virtuelle sur la tête, vous pourrez facilement vous balader dans des reproductions de boutiques depuis chez vous et observer un produit sous toutes ses coutures et dimensions avant de l’acheter ou non», prévient-il.

Comment s’en sortir? BearingPoint esquisse plusieurs pistes. Les voici: «L’objectif des marques sera d’aligner l’expérience client de toutes les générations, en permettant aux baby-boomers de recevoir un service fluide et expert en magasin tout en créant des interactions de marque innovantes et divertissantes pour les jeunes générations», amorce le Genevois.

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Il enchaîne: «Cela passera par l’organisation d’activités éphémères, telles que des activités sportives. Mais aussi par la création d’un espace de restauration ou par exemple d’un coin réservé à la prise de photos et vidéos permettant aux clients de partager leur expérience en magasin sur les réseaux sociaux et donc de susciter l’envie chez leurs pairs.»

Avec pour seul objectif de pousser à une consommation irréfléchie? Non, rétorque-t-il. «À l’heure de l’urgence climatique, une attention particulière devra être portée sur les services après-vente et sur l’accompagnement du client vers l’allongement de la durée de vie du produit.»

Le vrai but de tous ces développements serait de transformer les magasins en «temples de l’expérience client». Ceux-ci seraient animés par des vendeurs devenus des «personnal shoppers». Rien que ça. «Sur place, les surfaces devront miser sur la collaboration avec des spécialistes de chaque type de produit vendu, affirme Benjamin Gietzendanner. Les informations d’ordre général se trouvent déjà en ligne, pas le conseil pointu et personnalisé.»

Un simple avant-goût?

Est-on en train de faire de la sculpture sur nuage? Pas selon Swiss Retail, qui estime que les opportunités et les risques pour le commerce engendrés par le métavers ne sont pas encore concrets. «Il est malgré tout bel et bien possible que la numérisation actuelle ne soit qu’un avant-goût de ce qui va suivre», souffle Dagmar Jenni, sa directrice, interrogée par Blick.

Ce qui va suivre? «Le métavers pourrait apporter d’énormes changements et modifier une nouvelle fois l’expérience d’achat, conçoit-elle. La question fondamentale sera de savoir si les clients y verront une valeur ajoutée et si leurs besoins seront pris en compte.»

Dagmar Jenni, directrice de la Swiss Retail Federation, faîtière du commerce de détail.
Photo: Christof Kalt

Toujours selon Dagmar Jenni, «certains observateurs voient simplement dans le métavers l’évolution logique d’Internet, c’est-à-dire une fusion intuitive du monde réel et de la virtualité numérique». Tandis que d’autres n’y perçoivent qu’un nouveau canal de distribution. «Les grands acteurs de la vente de détail comme Nike, Gucci et Walmart semblent toutefois s’être préparés, rappelle la directrice. Cela nécessitera une coopération renforcée entre les détaillants afin de pouvoir suivre le rythme.»

Quid de l’humain?

Cette vision un peu déshumanisée vous effraie? Lisez plutôt ce que glisse Dagmar Jenni, qui considère que les magasins physiques auront toujours leur place dans le monde de demain. «L’interaction d’humain à humain reste un grand besoin, tout comme le fait de toucher la marchandise, de la tester et de la voir 'en vrai'. La pandémie a clairement donné un coup de pouce à l’approche omnicanale (utilisation de plusieurs canaux d’une marque en même temps, ndlr.).»

Il y a cependant déjà un vrai changement de paradigme: «L’endroit où le paiement est effectué passe désormais au second plan, déclare-t-elle. Pourquoi? Parce qu’aujourd’hui, on ne sait plus vraiment où le client a commencé son parcours d’achat. Sur Internet? Dans un magasin physique? Sur Instagram?» En clair, peu importe le chemin emprunté par l’argent pour arriver en caisse, un franc est un franc. Et il faut le glaner.

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