Elisabeth Baume-Schneider chez elle aux Breuleux
«Je prends un immense plaisir»

Le plus jeune canton du pays aura sa finale: le 7 décembre, Elisabeth Baume-Schneider peut devenir conseillère fédérale. Donnée outsider face à Eva Herzog, «EBS» ne va pas ménager ses efforts pour tenter de convaincre. Reportage chez elle, aux Breuleux.
Publié: 28.11.2022 à 06:21 heures
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Dernière mise à jour: 28.11.2022 à 07:00 heures
Adrien Schnarrenberger

Vendredi 11 novembre. Elisabeth Baume-Schneider vient d’annoncer sa candidature pour le Conseil fédéral. Elle sort du duplex avec le «19h30» de la RTS lorsque son téléphone sonne: c’est un téléspectateur. Ce Valaisan a trouvé «EBS» convaincante et voulait la féliciter, alors il a cherché son numéro sur internet.

La Jurassienne a répondu et va converser plus de vingt minutes avec lui, au grand dam de son équipe de communication, obligée de faire patienter les journalistes. «Pour tous, sans privilèges»: la Suisse découvre ce jour-là une politicienne qui incarne peut-être mieux que quiconque la devise socialiste. Pourquoi ce quidam ne mériterait-il pas ce temps d’attention? C’est la conception d’un «monde plus juste» selon Elisabeth Baume-Schneider, nous expliquera-t-elle, au photographe Jean-Guy Python et à moi-même, presque deux semaines plus tard à son domicile.

Jeudi 24 novembre. Le froid est mordant aux Breuleux. En attendant désespérément les premiers flocons de l’hiver, le surprenant téléski du village a le mérite de nous rappeler que nous sommes à plus de 1000 mètres. Pour croiser du monde, il faut s’engouffrer dans le Charleston, le seul pub de la région, où un modeste écran diffuse Suisse - Cameroun. Les actions dangereuses de la Nati restant rares, l’assistance a le temps de nous confier tout le bien qu'elle pense de la candidate au Conseil fédéral. «Elisabeth? C’est une copine!», nous répond-on en chœur.

Elisabeth Baume-Schneider et son chat, qui a appartenu au conseiller national socialiste Pierre-Yves Maillard.
Photo: JEAN-GUY PYTHON
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«Un immense plaisir»

Payons notre café (en cash, l’établissement ne prend pas la carte), la copine nous attend sur les hauts du village, dans une ancienne ferme rénovée. Dans quatre ans, c’est peut-être elle qui sera dans les stades de la Coupe du monde en Amérique du Nord pour représenter la Suisse. La perspective la fait rigoler. «J’ai un mari et des enfants fans de foot, je laissais toujours traîner l’oreille lorsque j’étais ministre cantonale des sports.» Bonne réponse, mais il nous reste beaucoup de questions. Entrons.

Elisabeth Baume-Schneider a réussi à aménager tant bien que mal une plage horaire pour nous recevoir avant de foncer à Liestal, dans le canton voisin de Bâle-Campagne, où elle est attendue pour la dernière audition publique organisée par son parti. Elle ne le sait pas encore, mais sa prestation va achever de convaincre le groupe socialiste de la mettre sur le ticket, ce samedi. À J-2, la Jurassienne paraît étonnamment sereine. «Mon secret? C’est que je prends un immense plaisir dans cette aventure», riposte avec son sourire communicatif cet élégant bout de femme, née à la veillée de Noël 1963.

Vice-présidente du PS et conseillère aux États, «EBS» a été ministre jurassienne de 2003 à 2015.
Photo: Jean-Guy Python

Elle a regardé avec émotion Simonetta Sommaruga annoncer sa démission. Un coup dur pour plusieurs dossiers que les deux socialistes partagent — «EBS» préside la commission de l’environnement des États — mais un fantastique signal pour les proches aidants du pays. Qui a ému l’ancienne directrice de la Haute école de travail social et de la santé de Lausanne.

Une aubaine personnelle surtout. Pas vrai? «Pas du tout, tranche avec sincérité la Breulotière. Ça ne m’avait aucunement traversé l’esprit jusqu’à ce que le parti précise sa volonté de disposer d’un spectre large de candidatures, y compris romandes.»

Le chat de Pierre-Yves Maillard

L’idée a germé peu à peu dans l’esprit de l'ancienne ministre cantonale. Après tout, elle coche beaucoup de cases, de sa longue expérience à l’exécutif jurassien — elle en fut la première femme socialiste — à son solide réseau bernois en passant par sa grande popularité au sein de son parti dont elle est vice-présidente. Mais est-il bien sage de s’exposer ainsi, à bientôt 60 ans? «Dès que j’ai eu le soutien de ma famille, il n’y avait plus qu’une seule barrière dans mon for intérieur: je n’avais pas envie de ne pas être à la hauteur. Je suis hyper exigeante avec moi-même.»

Ces quelques jours de réflexion l’ont retardée dans la course et l’ont forcée à convoquer une conférence de presse à la hâte, ce vendredi 11 novembre en fin de journée. L'horaire était inhabituel, mais pas question de laisser passer le week-end, ce serait offrir trop d’avance aux deux autres protagonistes, Evi Allemann et Eva Herzog.

Le récit de la candidate est interrompu par le chat de la famille Baume-Schneider, qui gratte avec véhémence la porte vitrée. «C’est un animal de Pierre-Yves Maillard, rigole notre hôte. Sa collègue de l’époque Anne-Catherine Lyon veillait à placer les nombreux chatons d’une portée et l'animal a atterri aux Breuleux.»

Dans les Franches-Montagnes, donc, l’une de ces régions périphériques «où le bus ne passe pas toutes les dix minutes». Des contrées oubliées qui ont rappelé leur existence à la Suisse un jour de juin 2021, lorsque la la loi CO2 a échoué. Un signal que la Confédération doit prendre davantage en compte les zones qui n’ont pas la même réalité que les grands centres urbains, estime Elisabeth Baume-Schneider, qui cite la rénovation des bâtiments ou les installations photovoltaïques.

Le chat de la famille a un jour appartenu à Pierre-Yves Maillard.
Photo: Jean-Guy Python

Trois Romands, est-ce trop?

Le brouillard qui se lève sur l'Arc jurassien semble presque commandé à distance par la socialiste, puisqu’il laisse apparaître les éoliennes du Mont-Crosin. Le plus grand parc du genre en Suisse, dont les pylônes d’acier s’élancent à quelques kilomètres de la maison des Baume-Schneider. Cette anti-nucléaire de la première heure s'accommode volontiers du léger bruit du vent dans leurs pales, mais relève là aussi que ces turbines sont presque toutes installées dans des régions reculées, tandis que le produit de leurs efforts est redistribué.

L’argumentaire est efficace. Reste une réalité: l’essentiel de la population vit sur le Plateau. Faut-il vraiment une ministre pour représenter les zones périphériques? Elisabeth Baume-Schneider évoque la photo 2022 du gouvernement, sur laquelle les conseillers fédéraux sont installés sur leur lieu de domicile. L’A1, qui relie Genève à Saint-Gall, est la colonne vertébrale du Conseil fédéral.

Jura ou Bâle sur la photo en 2023? Réponse le 7 décembre.
Photo: Chancellerie fédérale

Depuis qu’elle est sortie du bois (ou plutôt des Bois, sa commune d’origine), la Jurassienne a potassé en long et en large l’article 175 de la Constitution, le fameux texte de loi qui consacre la «représentativité équitable» au gouvernement. En d’autres termes: est-ce qu’une majorité latine de trois Romands et d’un Tessinois respecterait la volonté du peuple?

Est-ce un «siège alémanique», même, comme l’a plaidé Thierry Burkart? «Il y a la loi et l’esprit de la loi, estime Elisabeth Baume-Schneider. En 1999, le peuple a voulu rendre plus souple cet article, qui avait pour simple but d’éviter les candidats du même canton. Si on ne laisse aucune marge de manœuvre, cela veut dire que ce sera toujours le même modèle au Conseil fédéral.»

«Je n'ai pas besoin de jouer un rôle»

Avec la petitesse de la Suisse, ces débats ont de toute manière une composante «bucolique». À moins de deux kilomètres près, Elisabeth Baume-Schneider habiterait non aux Breuleux mais à Tramelan, dans le canton de Berne. Et elle aurait peut-être fait les frais, comme Evi Allemann, candidate malheureuse au ticket socialiste, du paramètre «doublon» avec le favori UDC bernois Albert Rösti dans l'autre duel pour le Conseil fédéral, la succession d'Ueli Maurer.

Dans ce diagramme de Venn où il faut entrer dans le plus de cercles possibles, Elisabeth Baume-Schneider a en tout cas un immense avantage, presque sine qua non au vu de la composante alémanique du siège qu’elle vise: sa maîtrise du dialecte. Sa propension à alterner entre les langues est un héritage de son père, un homme de droite (ancien du PAB, l'ancêtre de l'UDC) originaire du Seeland.

Pourquoi ne pas faire l'étalage de ce Bärndütsch lors de sa conférence de presse de lancement de campagne? Beaucoup de journalistes alémaniques découvraient — avec un peu d’étonnement — Elisabeth Baume-Schneider. Selon une blague en vogue à l’époque, leur seule préoccupation était de faire entrer son nom à rallonge dans leurs titres… «Je n’ai pas besoin de jouer un rôle, tranche la socialiste. Je suis possiblement, aux côtés des agriculteurs d’origine alémanique, l’habitante des Franches-Montagnes à avoir mangé le plus de compote de pomme et de macaronis de chalet. Je suis imprégnée de cette culture alémanique, mais c’est aux gens de le décoder, pas à moi de le leur dire.»

Depuis 2020, le coupe Baume-Schneider possède deux moutons Nez noir. «Des femelles achetées à Orbe que nous avons fait porter par la suite. Ils sont dans une ferme pour l'hiver.»
Photo: Jean-Guy Python

«EBS» se méfie des étiquettes. Comme celle du Jura qui serait une terre isolée et sans ressources. «Vous avez vu le téléski au village, mais vous auriez aussi pu remarquer la zone industrielle et la manufacture de Richard Mille, qui fabrique des montres dans le segment du haut de gamme à l’échelon mondial», tacle l’ancienne ministre. Elle en a le droit, elle dont on dit qu’elle a réconcilié son canton avec les Alémaniques, en particulier avec leur langue, alors que le Gouvernement décidait en 2010 de rejoindre la promotion économique de la région bâloise, Baselarea Business & Innovation.

Ancienne marxiste

C’est elle, encore, qui a mis en place une maturité bilingue (deux ans à Laufon, deux ans à Porrentruy), pour développer les compétences linguistiques des jeunes Jurassiens. Et son canton est le premier à avoir ouvert un bureau de l’égalité, rappelle Elisabeth Baume-Schneider, qui a également présidé la conférence des cantons de la Suisse du Nord-Ouest, où il n’y a normalement que des cantons alémaniques.

Tiens, cette expérience dans la promotion économique ne colle pas avec la Baume-Schneider «ancienne marxiste» dont certains se méfient. Ce passé qui revient dans chaque portrait de la Jurassienne ne risque-t-il pas de retenir les autres groupes parlementaires? «J’ai une formation en économie et en sciences sociales. J’ai toujours essayé d’être proche de la réalité des familles, des enfants et des adolescents. Je ne pense pas que cela puisse suffire à me qualifier d’extrême-gauche…», relève la candidate au Conseil fédéral.

La bientôt sexagénaire est une femme de terrain. Sa plus grande chance, selon elle? «Avoir quitté la politique», entre la fin de son mandat jurassien en 2015 et son entrée au Conseil des États, en 2019, pour diriger la Haute école de travail social. Elle a pu mener à bien des projets avec ses homologues des autres écoles vaudoises, mais aussi «développer un immense respect» à l’égard de l’aide sociale en Suisse.

«Dans notre pays, on considère la pauvreté comme une responsabilité sociale individuelle. Ça me révolte», peste Elisabeth Baume-Schneider. La Jurassienne voudrait rendre plus positif ce qui est, à la base, une assurance sociale comme les autres. «J’ai dirigé cette école et je n’ai rencontré que des personnes qui ont envie de s’en sortir. Elles ressentent un sentiment de honte et hésitent parfois même à avouer leur statut à leurs enfants.»

La candidate socialiste rayonne: «Je prends un immense plaisir dans cette aventure!»
Photo: Jean-Guy Python

«Quand j'y vais, je suis une crocheuse»

Jean-Guy Python nous coupe dans nos élans philosophiques en nous rappelant que l'horloge tourne: voilà plus d'une heure que l'on bavarde, sur les 75 minutes à disposition. Le photographe tente d’installer une chaise pour la séance de portraits. «Ne le prenez pas mal, mais je préfère toujours faire les choses moi-même, sourit Elisabeth Baume-Schneider en bougeant elle-même son mobilier. C’est mon éducation!»

En parlant d'éducation, cette «maman puis politicienne, dans cet ordre» avait un jour défrayé la chronique voici plus de vingt ans avec un geste féministe, lorsqu'elle avait emmené son nouveau-né de fils au Parlement cantonal. Du jamais-vu. Mais le temps a passé et la Breulotière ne coche plus la case «mère d'enfants en bas âge», que la direction du PS avait souhaité cocher avec son ticket.

D'où un début de polémique ce week-end, car c'est bien face à Eva Herzog, la favorite bâloise, qu'Elisabeth Baume-Schneider devra passer l'épaule. Et ce ne sera pas une sinécure, à en croire les spécialistes de la politique fédérale. «Ses chances? À peu près celles de la Suisse de devenir championne du monde», ironise un confrère alémanique.

Ce n’est pas Elisabeth Baume-Schneider qui va se plaindre de ce statut d’outsider en vue de sa finale à elle, prévue le 7 décembre. Quoi qu'il arrive, la vice-présidente du PS aura déjà réussi son parcours, s'adjugeant au passage les compliments de tout son groupe, samedi. Mais elle ne va pas s'arrêter en si bon chemin, puisqu'il faut désormais convaincre les autres formations sous la Coupole. «Je suis comme tous les Jurassiens: modeste, mais quand j'y vais, je suis une crocheuse.» Voilà qui promet.

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