Entre le président de l'UBS et KKS
Comment la reprise en urgence de CS s'est déroulée en coulisses

L'histoire ressemble à un thriller. Parti pour un week-end tranquille, le président d'UBS Colm Kelleher a soudainement dû se précipiter au chevet de Credit Suisse. Récit des quelques jours où tout s'est joué sur la place financière suisse.
Publié: 22.03.2023 à 05:52 heures
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Dernière mise à jour: 22.03.2023 à 10:02 heures
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Sarah Frattaroli et Milena Kälin

Lors de la conférence de presse de dimanche soir sur la reprise in extremis de Credit Suisse par l’UBS, les participants semblaient bien épuisés. Voire à côté de la plaque. Mais doit-on vraiment s'en étonner? Ils venaient de lutter jours et nuits pour sauver la réputation de la place bancaire suisse.

Le «Financial Times» britannique a retracé en détail les derniers jours de Credit Suisse. L’article, étayé par des informations privilégiées de diverses parties prenantes de haut vol, se lit comme un roman policier.

Parmi les personnages principaux, nommons le président de l’UBS Colm Kelleher. L’Irlandais s’était préparé à passer un joyeux week-end de la Saint-Patrick. Mais un coup de téléphone plutôt important est venu gâcher les festivités. Au bout du fil, Credit Suisse, la Confédération, la Banque nationale suisse (BNS) et l'Autorité de surveillance des marchés financiers (Finma). Les cinq entités étaient représentées par Axel Lehmann, président de Credit Suisse, la ministre des Finances Karin Keller-Sutter, Thomas Jordan, directeur de la BNS, et Marlene Amstad, à la tête de la Finma.

Les protagonistes du thriller de la reprise: tout d'abord, le président de l'UBS Colm Kelleher.
Photo: keystone-sda.ch
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L’accord n’était pas une simple option

Le nom d'Axel Lehmann serait sorti mercredi dernier au cours de la discussion. Déjà à l’époque, KKS et ses acolytes auraient donné des consignes claires au président de Credit Suisse: ils lui auraient annoncé que la banque devrait fusionner avec l'UBS. Ceci n'était pas une proposition, mais un ordre.

Le président de l’UBS aurait appris au plus tard jeudi que la situation serait tendue durant le week-end. Selon les informations du «Financial Time», le téléphone du Colm Kelleher aurait sonné à 16h. C’était alors à l’UBS de trouver une solution pour sauver son concurrent en difficulté. Mais la banque n’aurait pas impliqué Credit Suisse dans la transaction. Au contraire: elle a laissé ses confrères du CS dans l’incertitude la plus totale.

D’autres problèmes de communication ont également surgi. L’UBS a été confrontée à des problèmes informatiques. Les e-mails mettaient davantage de temps à parvenir à leur destinataire. Selon des supérieurs désespérés, il valait mieux prendre le téléphone, peut-on lire dans le rapport.

Axel Lehmann s’empare d’un stylo et d’un papier

Samedi soir, le président de Credit Suisse, Axel Lehmann, en aurait finalement eu assez. Au lieu de décrocher son téléphone, il se serait saisi d'un papier et d'un crayon pour rédiger une lettre à Colm Kelleher et aux autres protagonistes de l'affaire. A l'ancienne.

Dans cette missive, écrite par l'avocat de CS Markus Diethelm, qui a aussi travaillé pour l'UBS, les deux hommes ont expliqué pourquoi la «transaction» prévue était inacceptable. Entre autres, l’insistance de l’UBS sur une clause de sortie n’a pas été bien accueillie par la grande banque.

La lettre aurait même contenu une menace: les trois plus gros actionnaires de CS – deux personnes venant d’Arabie saoudite et une du Qatar – auraient exprimé leur «extrême malaise». Ils exigeaient un prix équitable, un vote sur la transaction ainsi que la suppression de toutes les clauses de sortie. Tant les Saoudiens que les Qataris sont de gros clients des deux banques.

Au début, l’UBS proposait un milliard de dollars pour la reprise. Mais CS a décliné l'offre tout de go. Finalement, la vente a été conclue pour 3,25 milliards de francs. En contrepartie, l’UBS a obtenu davantage de garanties de la part de la Confédération.

L’UBS a donc tout de même réalisé une bonne affaire. C’était «une offre que nous ne pouvions pas refuser», a assuré un membre de l’équipe de négociation dans les colonnes du «Financial Times». De l'autre côté, on s'est montré moins satisfait. Un conseiller de CS trouve le résultat «inacceptable et révoltant». Il s'agirait tout bonnement d'un «mépris total pour la gouvernance d’entreprise et les droits des actionnaires», tonne-t-il auprès du quotidien britannique.

Peu de discussions en face-à-face

Bien que les bureaux des patrons des deux grandes banques se trouvent pratiquement face à face sur la Paradeplatz, les deux parties ne se sont pratiquement pas rencontrées en personne. La plupart des réunions se sont déroulées par écran interposé.

Lors des réunions, on travaillait avec des noms de code. A l’UBS, CS s’appelait «Cedar» et la banque se nommait elle-même «Ulmus». Les chefs de CS se donnaient le nom de «Côme», la direction de l’UBS était «Genève».

Toujours est-il que malgré toute cette agitation, Colm Kelleher a pu se réjouir brièvement de la victoire de l’Irlande en rugby dans le Grand Chelem. Mais il n’a pu s’offrir qu’une seule pinte de Guinness au James Joyce Pub de Zurich.

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