Entretien avec Guy Parmelin
«La fin de la crise est en vue»

Le plus dur est fait dans la lutte contre le Covid, assure Guy Parmelin. A l'occasion du 1er août, le président de la Confédération s'est livré sur la vaccination mais aussi sur l'Europe et son image.
Publié: 01.08.2021 à 01:04 heures
|
Dernière mise à jour: 01.08.2021 à 01:42 heures
Adrien Schnarrenberger et Simon Marti

Après Herzogenbuchsee (BE) et Villars-sur-Ollon (VD), le président de la Confédération est attendu ce dimanche à Bouloz (FR) puis dans sa capitale cantonale, Lausanne, où le Vaudois doit conclure son marathon de la Fête nationale. «L'année dernière, j'étais dans la partie italophone des Grisons. J'essaie de varier les zones linguistiques», explique fièrement le ministre UDC.

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

Qu'il est loin, le temps où l'agriculteur de Bursins était moqué pour sa (non-) maîtrise des langues! Ces dernières semaines, le ministre de l'Economie a brillé entre Vladimir Poutine et Joe Biden — il a d'ailleurs reçu une lettre du président américain pour le 1er août — et est un homme très demandé, que ce soit par la population et par les médias.

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

En vue de la Fête nationale, Guy Parmelin a reçu Blick dans son bureau pour évoquer les gros dossiers en cours. Le Covid et la vaccination ont été inévitables dans une discussion qui a néanmoins laissé une belle place à l'Europe et à l'image du conseiller fédéral.

Très sollicité en cette Fête nationale, Guy Parmelin estime que nous avons «fait le plus dur» en matière de Covid.
Photo: Thomas Meier

Monsieur le président de la Confédération, est-ce que le 1er août a une signification particulière pour vous cette année?

Guy Parmelin: La fête nationale est toujours importante. Cette journée offre la possibilité de célébrer la diversité de notre pays. C’est agréable de pouvoir vivre un 1er août dans des conditions un peu meilleures que l’an dernier.

L’ambiance est-elle à la fête malgré l’année compliquée que nous venons de vivre et les restrictions qui restent d’actualité?

Il y a encore des restrictions sanitaires, c’est vrai, mais nous sommes dans une phase de sortie de crise. Au début de la pandémie, nous prenions souvent l’image du tunnel. Je préfère désormais celle de l’alpiniste qui est arrivé au sommet et va aborder la descente.

En alpinisme, c’est pourtant le moment le plus dangereux...

Le plus dur est derrière nous. Il faut continuer à être vigilant, on ne sait jamais ce qui peut se passer avec les variants. Mais nous disposons d’un outil qui a prouvé son utilité: la vaccination.

Alors que la Suisse a semblé faire corps au début de la pandémie, fidèlement à la devise «Tous pour un, un pour tous», la solidarité semble mise à rude épreuve aujourd’hui. Le vaccin creuse même un fossé dans la population...

Comme le dit le fameux dicton, on voit toujours mieux la paille dans l’œil du voisin plutôt que la poutre dans le sien. Bref, on a de la peine à voir ce qui a bien fonctionné. La Suisse a été très unie dans l’adversité, que ce soit dans les hôpitaux, pour aider les personnes âgées, au niveau des administrations pour venir en aide aux entreprises. C’est vrai que l’on a cette différence d’appréciation par rapport à la vaccination. Pour moi, le vaccin est un instrument qui doit nous permettre de retrouver une certaine normalité.

La résistance semble plus forte en Suisse qu’à l’étranger. En comparaison internationale, nous sommes à la traîne...

Je ne suis pas d’accord. Nous sommes environ à 50% de personnes entièrement vaccinées. Il y a eu ralentissement avant les vacances, mais c’est sans doute parce que les gens n’ont pas voulu prendre d’engagements avant la coupure d’été. Je suis optimiste qu’on assiste à un rebond des vaccinations à la rentrée. On ne doit pas forcer les gens, mais les convaincre.

Comment voulez-vous atteindre cet objectif concrètement? Offrir du gâteau sur la place fédérale risque de ne pas suffire…

Les bus mobiles de vaccination rencontrent un joli succès, j’ai pu le constater dans le canton de Vaud par exemple. Prendre un rendez-vous par internet, perdre du temps, c’est embêtant. J’ai vu beaucoup de gens qui sont tombés par hasard sur le bus se dire «Ah ben pourquoi pas, en fait». Nous devons faire un bilan avec les cantons et voir quelles stratégies fonctionnent pour convaincre les gens.

Vos proches ont-ils tous accepté de passer par la case piqûre?

J’ai eu ce débat avec mes neveux. Je leur ai dit: «Si vous voulez aller en discothèque, il faut vous vacciner!»

Et cela a fonctionné?

Oui. Et plus généralement, tant que des personnes qui veulent se faire vacciner n’ont pas encore pu le faire, nous devons continuer de travailler en ce sens.

Vous avez évoqué la vaccination comme un «acte citoyen» il y a plusieurs semaines déjà. Et pourtant, le scepticisme reste grand au sein de la population.

La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres, comme on dit. Il y a à la fois un aspect de solidarité envers les personnes vulnérables et un aspect de responsabilité individuelle pour soi-même. Cela étant, j’ai du respect pour les personnes qui ne veulent pas se faire vacciner. Elles ont leurs raisons. On voit néanmoins qu’avec la vaccination, on évite les surcharges du système de santé, ce qui était notre premier objectif, et on limite les cas graves et les décès. La question qui se pose désormais, c’est de savoir si on doit pénaliser la majorité qui est vaccinée à cause d’une minorité qui ne veut pas le faire.

Et quelle est votre position?

Elle est claire: sitôt que toutes celles et ceux qui ont voulu se faire vacciner ont pu le faire, un organisateur d’événement ou un restaurateur a le droit de n’accepter que des vaccinés. C’est sa décision, sa liberté commerciale. Je ne suis pas certain que tous le fassent, mais cela peut être un moyen qui lui facilite l’organisation de son travail.

Le débat a aussi lieu au niveau étatique: les cantons analysent si le certificat Covid doit être étendu aux restaurants ou aux centres de fitness, par exemple.

La discussion est saine et elle doit avoir lieu dans ce pays. Ce que je souhaite, c’est qu’elle ait lieu sans agressivité. Ceux qui ne souhaitent pas se faire vacciner doivent aussi prendre conscience que ça peut poser un problème pour les autres personnes. La vaccination est gratuite; si je ne veux pas me faire vacciner, est-ce que les autres contribuables doivent payer mes tests? Pour moi, la réponse est clairement non. Il faudra également examiner les conséquences de l’extension du certificat Covid sur l’activité commerciale des restaurants ou des autres établissements.

Et les coûts en cas de prise en charge hospitalière?

Nous ne pouvons pas aller jusque là. Il faudrait alors pénaliser les gens qui mangent trop ou qui fument. On fait des campagnes de publicité pour manger équilibré, c’est normal, mais je ne suis pas d’accord de créer des différences dans l’assurance de base.

Plusieurs études ont montré que c’est au sein de votre parti, l’UDC, que le scepticisme envers la vaccination est le plus fort. Comment l’expliquez-vous?

Il y a des gens qui ne sont pas convaincus à l’UDC, mais je connais des gens dans d’autres partis qui sont également sceptiques.

Mais en proportion, c’est incomparable.

Peut-être. C’est parce que l’UDC a toujours été le parti de la responsabilité individuelle. Mais encore une fois, la liberté c’est aussi la responsabilité: je suis prêt à en assumer les conséquences. Je ne veux pas me faire vacciner, on ne me force pas mais il peut y avoir des différences dans les prestations de type privées. Pour le service public, c’est différent.

Un sondage SSR montre que seuls 29% des partisans de l’UDC veulent se faire vacciner. Comment peut-on atteindre les trois quarts ou 80% souhaités pour venir à bout de la pandémie?

Vous savez, je me méfie un peu des chiffres. Nous devons convaincre le plus grand nombre de personnes possible de se faire vacciner, quel que soit leur parti.

Mais dans les autres partis, il n’y a pas de figure d’envergure nationale comme Marcel Dettling, par exemple, qui a parlé d’«Impfapartheid», l’apartheid de la vaccination. Ce type de déclarations ont un effet sur la population, non?

Je respecte ce que Marcel Dettling dit. Il a un avis, il a le droit de s’exprimer. Je suis à titre personnel pour la vaccination, je pense que c’est un acte de solidarité pour venir à bout de la pandémie. Il n’est pas d’accord, c’est son droit et je le respecte.

Une recherche de Blick montre néanmoins qu’il y a 11 parlementaires qui ne veulent pas se faire vacciner, dont 10 à l’UDC. N’y a-t-il pas un devoir d’exemplarité?

Naturellement, ce serait préférable qu’ils se disent que c’est mieux de se faire vacciner parce que les faits montrent ce que la vaccination apporte concrètement en vue d’un retour à la normalité. C’est ça qui compte, c’est un calcul coût — efficacité — adéquation. S’il y a une surcharge du système à cause du Covid, ce sont d’autres malades qui doivent attendre. Oui au respect des opinions, même si l’exemplarité serait effectivement mieux. Mais pourquoi des parlementaires et pas le personnel soignant?

Bonne question: seriez-vous favorable à les y forcer?

Non, je pense que l’on doit, là aussi, convaincre. Ou alors prendre toutes les précautions nécessaires pour éviter des transmissions aux patients. C’est une question de responsabilité individuelle.

Il est quand même frappant de constater que malgré le soutien de toute la classe politique ou presque, des scientifiques et des médecins, il y a encore beaucoup de personnes qui ne veulent rien entendre.

Avec les réseaux sociaux, cette frange de la population est très bruyante. Mais ce n’est pas nouveau: de tous temps, il y a des gens qui se sont méfiés de la médecine traditionnelle et qui ne juraient que par les médecines complémentaires. Il faut vivre avec ça et respecter les opinons. Mais c’est sûr que nous sommes à un moment où l’intérêt général représente la voie de sortie de la crise, et le Conseil fédéral s’engage très fortement en faveur de cet intérêt général.

Cela ne vous surprend pas que plusieurs milliers de personnes défilent dans la rue, dans un pays où nous avons des droits populaires?

Il faut garder le dialogue avec ces gens, c’est le plus important. Nous sommes dans un état de droit, il y a des instruments politiques; ce que nous devons absolument éviter, c’est qu’il y ait un recours à la violence, d’un côté ou de l’autre. Ces gens utilisent d’ailleurs les droits populaires, puisqu’on va voter une deuxième fois en novembre. Il y a tous les moyens de s’exprimer, ce n’est pas forcément le cas dans les autres pays.


Votre année présidentielle est marquée par la politique européenne. A la lueur du durcissement des fronts entre Berne et Bruxelles: était-ce correct d’interrompre les négociations en mai de manière «non-diplomatique»?

Ce n’était pas «non-diplomatique». C’était «Klartext sprechen», comme on dit en allemand.

C’est la définition de «non-diplomatique»!

Je ne suis pas diplomate. Ma mission était claire: tirer un bilan politique de l’accord et examiner s’il existait une marge de manœuvre sur les points qui sont problématiques aux yeux du Conseil fédéral. Nous avons constaté que ce n’était pas le cas pour l’UE. Il était donc mieux de faire un pas en arrière pour réfléchir comment avancer avec Bruxelles à l’avenir.

Vous n’y avez pas réfléchi avant d’interrompre les négociations?

Nous avons pensé qu’il y avait peut-être une fenêtre d’opportunité. Mais ces trois points problématiques aux yeux du Conseil fédéral n’ont pas pu être réglés. Maintenant, un nouveau chapitre commence. C’est une autre situation, l’important est de trouver une voie et de conserver de bonnes relations. Ignazio Cassis était à Bruxelles la semaine dernière et nous avons également entamé des discussions avec les États directement. Ce n’est pas du tout un Brexit: nous ne voulons pas partir de l’UE dont nous ne faisons pas partie, nous avons plus de 100 accords avec l’UE qui fonctionnent très bien et nous souhaitons les maintenir. Et le Conseil fédéral a demandé au Parlement de libérer la contribution de la Suisse en faveur de certains États membres de l’UE.

Reste que l’irritation semble élevée au sein de l’Union européenne. On l’a vu par exemple avec le projet d’éducation Horizon: la Commission européenne considère la Suisse jusqu'à nouvel ordre comme un pays tiers. En tant que ministre de la formation, cela devrait vous affecter…

C’est clair qu’ils ne sont pas contents, même déçus. Horizon n’est pas un
accord d’accès au marché. La déclaration de l’UE est d’ordre politique. Il est dans l’intérêt tant de la Suisse que de l’Europe que nous puissions y participer à ce programme.

Plus globalement, vous pensez que la Suisse va pouvoir trouver une voie qui lui permette de continuer un certain «cherry picking»?

Il faut le dire haut et fort: ce n’est pas du «cherry picking»! Nous avons des accords qui ont été conclus et qui fonctionnent dans l’intérêt des deux parties. La Suisse a investi environ 23 milliards de francs pour les transversales alpines. C’est dans notre intérêt, bien sûr, d’avoir moins de camions sur les routes, mais ces voies sont largement utilisées par des Européens. Cet investissement s’avère excellent dans le contexte de la lutte contre le réchauffement climatique, et l’UE n’a pas investi un seul euro là-dedans.

Mais que dites-vous aux chercheurs suisses dont l’horizon paraît bouché?

Nous avons alloué plus de 6 milliards de francs pour les années 2021 à 2027. Nous pouvons investir ces fonds dans la participation de la Suisse, même si cela est actuellement restreint par l'UE. Si cette situation perdure, nous devons trouver des solutions. Je reste optimiste.

Si le blocage se poursuit, le budget alloué à la recherche indigène peut-il être augmenté?

D’abord, nous devons regarder si nous pouvons réallouer les budgets déjà discutés. Des moyens supplémentaires, c’est une autre question. Nous n’excluons rien, mais nous disposons déjà d'un budget considérable.

Concluons par un aspect plus personnel. Vous avez été au centre de toutes les attentions lors du sommet Poutine-Biden. Avez-vous conscience de votre transformation en «homme d’État»?

Ce qui a toujours compté pour moi, ce sont les résultats pour l’intérêt général. La forme n’est pas le plus important. Tant mieux si en tant que personne, le travail est utile et bien fait, mais j’ai toujours eu un dicton: «La roche tarpéienne est proche du Capitole». Cela veut dire que même lorsque vous êtes au sommet, vous n’êtes pas à l’abri d’être jeté dans le Tibre juste à côté. C’est toujours plus agréable lorsque l’on parle de vous en bien qu’en mal, mais je ne suis pas à l’abri d’une erreur pour laquelle je pourrais être critiqué.

Tout de même: vous avez fait la couverture de la presse «people» et les éditorialistes ont été élogieux. Voilà qui change par rapport à l’époque où vous étiez moqué pour votre anglais...

Je vais laisser les gens juger. En tout cas, je me sens bien. Ce n’était pas facile tous les jours: j’ai commencé mon année présidentielle en annonçant que l’on refermait tout. On a vu mieux comme début! Ensuite il y a eu différents dossiers où nous avons dû trouver de fragiles équilibres, puis le sommet Biden-Poutine où nous jouions l’image du pays, le dossier européen… Ce fut une première moitié d’année extrêmement chargée et tendue. J’espère que la deuxième moitié sera un peu plus détendue et que nous aurons des opportunités de voyage. Pas parce que je prends du plaisir à voyager, mais parce que c’est nécessaire pour un ministre de l’Économie.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la