Explosion des prix de l'électricité
Docteur Gab's en danger, Raphaël Mahaim saisit le Conseil fédéral!

Inquiété par la situation de la Brasserie Docteur Gab's, mise en difficulté par l'explosion de sa facture d'électricité, le conseiller national vaudois Raphaël Mahaim saisit le Conseil fédéral. Le Vert demande des aides d'urgence et tire à boulets rouges sur la droite.
Publié: 14.09.2022 à 18:04 heures
|
Dernière mise à jour: 14.09.2022 à 19:23 heures
AmitJuillard.png
Amit JuillardJournaliste Blick

Mardi, le premier domino tombe. Dans une interview accordée à Blick, Reto Engler, cofondateur de la célèbre brasserie vaudoise Docteur Gab’s, tire la sonnette d’alarme: sa PME risque de devoir licencier du personnel, augmenter le prix de ses bières, voire mettre la clef sous la porte, à cause d’une facture d’électricité en hausse de 600% pour 2023.

Le deuxième domino tombe ce mercredi. Courriel d’un autre Vaudois: signé Raphaël Mahaim, conseiller national vert. «Pour votre information, à la suite de votre papier sur Docteur Gab’s, et vu la situation de la Commune de Saint-Prex, j’ai déposé la question orale jointe au Conseil fédéral.» En substance, il demande au gouvernement quelles sont ses solutions pour aider les entreprises et les communes qui font face à l’explosion des coûts de l’électricité sur le marché libre.

Prisonniers du marché libre

Le marché libre? Si vous savez de quoi on parle, sautez ce paragraphe et le suivant. Pour les autres, une succincte explication. En Suisse, le marché de l’électricité est semi-libéralisé. En clair, les gros consommateurs (plus de 100’000 kW/h par an), ont accès à un marché dit libre, géré par des entreprises privées, moins cher quand tout va bien — mais moins stable, tributaire de l’offre et de la demande comme des crises et des guerres.

«Je ne suis pas de celles et ceux qui pensent que les gros consommateurs comme Docteur Gab's récupèrent la monnaie de leur pièce», lance Raphaël Mahaim, qui préfère pointer le Conseil fédéral du doigt.
Photo: Keystone/DR

Aujourd’hui, avec la guerre en Ukraine, les prix augmenteront en 2023 sur le marché régulé (+27% en moyenne pour les ménages), mais exploseront sur le marché libre. Problème, le gros consommateur qui a fait le choix — et pris le risque — de s’aventurer sur le marché libre, n’a actuellement pas le droit de revenir dans le marché régulé. Il est donc prisonnier, comme la Brasserie Docteur Gab’s ou la Commune de Saint-Prex, dont la douloureuse bondira de 1600%.

Face à cette catastrophe annoncée, Raphaël Mahaim voit deux solutions à court terme: permettre aux gros consommateurs de revenir dans le marché régulé, à certaines conditions, et débloquer des aides d’urgence. Interview.

Alors comme ça, vous aimez les bières de Docteur Gab’s?
Oui, entre autres. Je les adore, même!

Que vous inspire la situation inquiétante de cette célèbre brasserie vaudoise, qui s’exporte dans toute la Suisse?
Ça me fâche et ça m’attriste. Cette PME — comme d’autres et comme certaines communes — est une victime collatérale du marché de l’électricité libéralisé, qui est un miroir aux alouettes. Le Conseil fédéral et les pouvoirs politiques, à majorité de droite à l'échelon national, leur ont fait croire qu’elles seraient mieux loties que dans un marché régulé par l’Etat, on voit aujourd’hui que c’est faux. Dès le début, les écologistes et la gauche avaient averti des dangers qui y étaient liés.

Pourquoi saisir le Conseil fédéral ce mercredi?
Je questionne le gouvernement parce que je veux connaître ses plans. À mes yeux, il y a deux voies à explorer. La première serait de permettre aux gros consommateurs de revenir dans le marché régulé à certaines conditions…

Pourquoi à certaines conditions?
Parce que s’ils revenaient sans condition, la demande sur le marché régulé augmenterait immédiatement et les prix aussi. Tout le monde en pâtirait, y compris les ménages. Pour limiter cela, on pourrait par exemple imaginer obliger les gros consommateurs qui souhaitent revenir dans le marché régulé de produire une plus grande quantité d’électricité de manière autonome et avec des énergies renouvelables, comme des panneaux solaires. Ce qui réduirait l’impact de leur retour sur les prix du marché régulé, puisqu’ils consommeraient moins.

Et la deuxième voie?
Si le Conseil fédéral juge qu’un tel retour dans le marché régulé est impossible, alors il faudrait débloquer des aides d’urgence, comme cela avait été le cas durant la crise du Covid. Sans quoi la situation actuelle va provoquer des faillites ou des difficultés existentielles pour certaines entreprises ou communes.

Le cri d’alarme du cofondateur de Docteur Gab’s publié par Blick a fait réagir sur les réseaux sociaux. Des internautes se moquent de ces gros consommateurs qui ont choisi le marché libre, moins cher, plutôt que le marché régulé, plus cher mais beaucoup plus stable, et qui le paient aujourd’hui. Vous trouvez aussi que c’est bien fait pour eux?
Certainement pas. Je ne suis pas de celles et ceux qui pensent que ces gros consommateurs récupèrent la monnaie de leur pièce. Ces entreprises sont à la fois victimes et otages d’un système libéralisé à l’échelle européenne et dépendant des crises. Il n’est pas normal que les prix de l’électricité, un bien de première nécessité, explosent lorsqu’un fou furieux au Kremlin décide d’agresser l’Ukraine puis parce que la demande augmente soudainement et que tout le monde spécule, entraînant des fluctuations insensées des prix.

Tout ça, c’est la faute à qui?
Au-delà de la libéralisation du marché voulue par la droite, je regrette que les pouvoirs publics n’aient pas anticipé. Le meilleur moyen de ne pas avoir de problème en matière d’approvisionnement électrique, c’est d’en économiser. L’électricité la moins chère est celle qu’on ne doit pas produire. Je ne parle pas ici de mettre un couvercle sur l’eau des pâtes mais d’un vrai plan de sobriété énergétique, d’isoler les bâtiments. Et puis, si nous avions massivement développé notre production locale, à l’aide de panneaux solaires sur les toits, par exemple, nous serions moins tributaires des fluctuations du marché libre.

Et à long terme, on fait quoi?
Déjà, il faut abandonner l’idée de libéraliser le marché de l’électricité pour tout le monde, comme le veulent — ou plutôt le voulaient puisque ce projet devient insensé — la droite et le Conseil fédéral. Ensuite, il faudra trouver un moyen de faire revenir les gros consommateurs dans le marché régulé, sans que celui-ci soit chamboulé. En clair, le marché libre n’a plus aucun avenir.

Mais la Suisse dépend du marché européen, ultra-libéralisé…
J’allais y venir. Aujourd’hui, on a besoin de l’Europe parce que nous ne sommes pas du tout autonomes. Il faudra donc discuter avec l’Union européenne et trouver un accord. Peut-être que les très gros consommateurs pourraient rester dans le marché libre, par exemple. Sauf que les discussions sur l’électricité sont bloquées à cause de l’abandon de l’accord-cadre, une autre décision complètement irresponsable du Conseil fédéral.

Dernière question. Vous tirez à boulets rouges sur la droite libérale, mais c’est Moritz Leuenberger, ancien conseiller fédéral socialiste, qui est le père de la semi-libéralisation actuelle!
C’est vrai, mais Moritz Leuenberger faisait partie d’un gouvernement collégial de droite. Les écologistes et la gauche n’ont pas à rougir de leur combat. En 2002, Daniel Brélaz et Pierre-Yves Maillard, entre autres, s’étaient battus contre la libéralisation totale. Et ils avaient gagné devant le peuple. C’est pour ça que le Conseil fédéral était revenu à la charge avec un plan en deux étapes: une première libéralisation pour les gros consommateurs, puis une libéralisation totale.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la