Faute d'«opposants» politiques
Une conférence pleine de prorusses annulée à l'Uni de Genève

Une drôle de conférence nommée «De l'Ukraine à Gaza, quelles leçons retenir?», aurait dû se tenir le 13 mars dans le bâtiment Uni Mail de l'Université de Genève. En tête d'affiche: le gratin prorusse francophone. L'événement a cependant été annulé, voici pourquoi.
Publié: 22.02.2024 à 06:04 heures
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Dernière mise à jour: 22.02.2024 à 09:47 heures
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Une énigmatique affiche, pour une conférence prévue le 13 mars prochain dans le bâtiment de l’Université de Genève (UNIGE) Uni Mail, a fait tiquer des internautes sur le réseau social X, le mardi 20 février. C'est en particulier le casting de cet événement, nommé «De l’Ukraine à Gaza, quelles leçons retenir?», qui a fait froncer quelques sourcils.

À savoir, le gratin prorusse de la francophonie figure en tête d’affiche. Et un nom particulièrement connu au bord du Léman sort du lot — celui de Guy Mettan. Pour rappel, le journaliste et élu au parlement genevois sous la bannière de l’Union démocratique du centre (UDC) a été épinglé par Reporters sans frontières pour «servir de relais à la propagande russe», écrivait la RTS fin novembre 2023.

Il a également reçu une médaille honorifique de «l'Amitié de la Fédération de Russie», à l'époque où il siégeait encore sous la bannière du Parti démocrate-chrétien (PDC) (désormais le Centre), en 2017. Interrogé par Blick quant à l’événement annoncé pour le 13 mars, qui nous intéresse, il indique simplement: «c’est un programme provisoire et je n’ai aucune information à ce jour.»

L'affiche de l'événement a été épinglée sur le réseau social X, ces derniers jours, par des utilisateurs sceptiques face au casting. La plupart des postes ont été supprimés le mercredi 21 février. (Capture d'écran)
Photo: Capture d'écran/X

Des profils bien particuliers

Pour le reste, parmi les supposés intervenants, que des profils similaires à celui de Guy Mettan. Dont celui de Xavier Moreau, ex-militaire et analyste autoproclamé, qui a obtenu la nationalité russe en 2013 (avant de retourner en France, possiblement à cause d'un ordre de mobilisation, d'après des rumeurs relayées puis balayées par TF1).

Le nom de Regis le Sommier, ancien journaliste de RT France, est aussi inscrit. L’année dernière, le quotidien français «Libération» le décrivait comme ayant des «accointances avec la droite la plus radicale et le régime syrien».

Mais encore? Le français Edouard Husson, universitaire reconnu proche de Marion Maréchal, la petite-fille de Jean-Marie Le Pen, ainsi que de plusieurs médias d’extrême droite, d’après un article du «Monde» paru en 2021.

Ou un certain Youssef Hindi, qualifié d’historien et essayiste sur l’affiche. Ce jeune homme semble avoir été, entre autres, un sceptique aux mesures Covid pendant la pandémie, comme en atteste son essai intitulé «Covidisme et messianisme. Tyrannie sanitaire, crise religieuse et sacrifie».

«Annulé par ses organisateurs»

Un internaute a interpellé sur X Yves Flückiger, le Recteur de l'Université de Genève, quant à l'affiche, vu que l'événement devait se dérouler à UniMail. (Capture d'écran)

Tout ce beau monde, réuni en conférence, a fait réagir un utilisateur du réseau social d’Elon Musk, qui a partagé et commenté l’image en interpellant directement le Recteur de l’Université. Le poste, supprimé depuis, stipulait: «Cher Monsieur Flückiger, pensez-vous que recevoir un propagandiste pro russe tel que Xavier Moreau en ces temps obscurs est digne de l’Université de Genève? […]»

Le Recteur de l'UNIGE souligne l'annulation de l'événement, il est par ailleurs étonné que l'affiche circule encore sur les réseaux sociaux. (Capture d'écran)

Avant que l’affiche ne provoque encore plus d’indignation, Yves Flückiger s’est à son tour fendu d’une publication, en réponse à l’internaute. Le chef de l’institution se défend de toute implication dans cette manifestation, à laquelle l’UNIGE serait «totalement étrangère». Et puis, de toute façon, ce n’est plus d’actualité, d’après le Recteur, puisque la conférence a «été annulé [e] par ses organisateurs», écrit-il sur X.

Une internaute explique au Recteur d'où vient la capture d'écran de l'affiche qui circule encore. Traduction: «Cher Yves, merci pour l'information. L'image n'est pas de la désinformation, contrairement à ce que font les gens sur cette image. Elle a été légèrement coupée pour cette plateforme [ndlr: X].» (Capture d'écran)

Mystérieuse association

À l'origine d'une telle initiative, une association, «Cri-voix des victimes», qui ne semble quant à elle pas particulièrement partisane du gouvernement russe. Rien ne s’y réfère, sur son site internet, du moins. Ni sur les profils réseaux sociaux des membres de son comité.

Sur le site internet de l'organisation, on peut lire: «Cri-voix des victimes est une association suisse qui fut créée la mi-mai 2019, fruit d’une réunion d’acteurs de la société civile et de la société internationale dont l’objectif essentiel est le soutien, l’accompagnement et l’encadrement les victimes de la marginalisation, du racisme ethnique et du terrorisme, voire du marché économique.» La structure est reliée à la Coordination des organisations islamiques suisses (COIS), une association davantage connue en Suisse alémanique, mais qui a déjà fait parler d’elle dans les médias de ce côté-ci de la Sarine.

Faute de diversité d’opinion

Pourquoi cette annulation? Contacté, le service de communication de l’UNIGE rétorque: «l’Université est étrangère à cet événement qui a été annulé par ses organisateurs. Les salles de l’Université peuvent être louées par des tiers. Elles sont gérées par un service dédié qui a été informé il y a deux semaines de l’annulation de la réservation.»

Le président de l’association et juriste de formation Abdeljelil Dhahri a également répondu à notre sollicitation. Pourquoi avoir rétropédalé? Il s’explique: «Nous avons en effet annulé l’événement.» La raison invoquée? «Il représente une seule vision». Et l’association n’aurait pas pu «convaincre d’autres personnes d’un autre point de vue que le [sien] de participer», d’après son chef de file.

Lorsqu’on lui demande si son association se qualifierait de «prorusse», l’homme semble presque indigné, et se défend, à l’autre bout du fil: «Non, non! Je n’ai jamais dit que j’étais prorusse! Moi, je suis un militant politique bien connu au niveau international, je suis anti-dictature!» L’homme glisse néanmoins que, selon lui, la guerre en Ukraine est «la responsabilité des États-Unis».

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