Hausse des primes d'assurance maladie
«Aujourd'hui, on construirait le système de santé différemment»

Le président de Santésuisse, Martin Landolt, promet de remédier au choc des primes. Il plaide aussi pour une loi sur les hôpitaux à l'échelle nationale et évoque le climat politique toujours plus tendu en Suisse, jusque dans les commissions parlementaires.
Publié: 19.09.2022 à 09:57 heures
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Dernière mise à jour: 19.09.2022 à 10:18 heures
Simon Marti, Reza Rafi

Environ 10%: c'est la hausse des primes maladie qui devrait mettre encore un peu plus de pression sur des porte-monnaies des Suisses. Après quelques années de répit où le choc a pu être amorti en puisant dans les réserves, le problème des coûts de la santé resurgit.

Comment faire pour stopper cette spirale infernale? Blick a posé la question à Martin Landolt. Le conseiller national glaronnais, qui a connu trois étiquettes de parti (UDC puis PBD et Le Centre), a pris la présidence de SantéSuisse en juin. C'est donc à lui qu'incombe la lourde tâche d'annoncer la hausse des primes.

Votre association s’attend à une hausse des primes de 10%. Pour les familles de la classe moyenne, cela représente une charge énorme. Voilà bientôt 100 jours que vous êtes président de Santésuisse. Cela ne vous fait pas mal d'avoir à annoncer cela?
Ce n’est pas que nous prenions plaisir à faire passer de tels messages. Mais cela fait partie de notre mission d’expliquer que les coûts augmentent et pourquoi ils augmentent, et de faire des propositions pour éviter cela. Nous sommes les porteurs de la mauvaise nouvelle, pas les responsables.

Martin Landolt doit porter le costume de président de SantéSuisse, qui devient de plus en plus lourd.
Photo: Keystone

Qui sont-ils donc, ces coupables?
Outre la hausse des coûts proprement dite, il y a cette fois un effet spécial, car de nombreux traitements ont été reportés à cause du Covid. Et ces dernières années, sous la pression politique, les coûts n’ont pas été entièrement répercutés sur les primes puisqu'on a pu puiser dans les réserves. Cela partait d’une bonne intention, mais ne doit pas faire école.

La manœuvre n’a en fait servi à rien: nous avons maintenant une inflation, des prix de l’énergie en hausse et en plus une hausse des primes.
Je ne veux pas critiquer cela a posteriori. L’intention était bonne, mais on ne s’est pas rendu service en agissant ainsi. Les politiciens auraient dû savoir à l’époque que ce concept n’était pas durable.

Il y a certes cet effet de report, mais la croissance des coûts reste considérable: 6,4%, selon votre association.
Il y a une croissance légitime des coûts, par exemple dans les soins, qui deviennent plus importants avec l’évolution de la société. Toutefois, les possibilités de freiner cette croissance restent inexploitées, car le Parlement, les cantons et le Conseil fédéral n’en font pas assez.

Les payeurs de primes et les parlementaires entendent cela depuis des années! Et pendant ce temps, les coûts de la santé ne cessent d’augmenter. Où cela bloque-t-il?
A tous les niveaux. Si, par exemple, un générique coûte deux fois plus cher en Suisse qu’à l’étranger, on ne peut le justifier ni par des différences de pouvoir d’achat ni par le bon sens. Il faut que quelqu’un corrige cela. Un autre exemple est la densité de médecins, qui est par exemple cinq fois plus élevée à Genève que dans le canton d’Obwald. Or, je suis convaincu que si quelqu’un voulait ouvrir demain un cabinet médical à Genève, il obtiendrait quand même une autorisation. Il manque une vision d'ensemble.

À quel point êtes-vous optimiste de pouvoir résoudre ces problèmes?Nous sommes convaincus qu’il est possible de réduire les coûts en augmentant les forfaits et en les complétant par des tarifs à la prestation. Les tarifs des médecins font justement partie des facteurs de coûts. Dans le domaine hospitalier, on sait que les coûts augmentent moins grâce aux forfaits. Je suis donc très confiant. Je considère comme un privilège le fait d’être venu de l’extérieur et de ne pas avoir de préjugés.

Quand présenterez-vous une solution?
Nous allons probablement créer cette année encore une nouvelle organisation tarifaire nationale à laquelle participeront tous les partenaires tarifaires.

Le système de santé suisse est marqué par des intérêts partiels. Une centralisation serait-elle nécessaire?
Si l'on devait repartir de zéro, on construirait le système de manière complètement différente. Mais nous sommes dans un pays fédéraliste, avec les difficultés que cela engendre. Je préférerais d'ailleurs que les cantons assument davantage leurs responsabilités de leur propre chef.

Qu’entendez-vous par là concrètement?
En ce qui concerne les admissions de médecins, les cantons auraient la possibilité d’agir de manière coordonnée afin d’éliminer les inefficacités coûteuses. Il en va de même pour les hôpitaux. Mais on sait que la fermeture d’une clinique peut signifier la fin de la carrière d’un conseiller d’Etat. C’est pourquoi il serait peut-être utile de créer une base légale au niveau national pour soutenir les gouvernements cantonaux. Une loi nationale sur les hôpitaux, qui tiendrait compte du fédéralisme tout en encourageant le regroupement de l’offre, mériterait donc d’être examinée. Nous aurions déjà fait un pas en avant si chaque hôpital ne proposait pas tout.

Vous avez qualifié tout à l’heure d’avantage le fait de ne pas avoir été un politicien de la santé. Mais vos détracteurs vous reprochent votre manque d’expérience. Le chasseur passionné qu’est Martin Landolt est-il aussi passionné par les postes à pourvoir?
(Rires) Tout d’abord, le chasseur de postes passionné s’est présenté dans le cadre d’un processus de recrutement professionnel pour un poste qui était mis au concours, et il n’était probablement pas le seul candidat. Je n’ai certes jamais siégé dans la commission de la santé du Conseil national, mais en tant que président du parti, je ne pouvais pas refuser de traiter ce sujet. De plus, j’ai siégé pendant sept ans au comité directeur de l’assurance maladie glaronnaise. Je ne me considère donc pas du tout comme un parfait profane.

Malgré tout, les parlementaires n’ont-ils pas exagéré avec les mandats et les doubles rôles, notamment dans le domaine de la santé?
Aujourd’hui, c’est devenu plus difficile. On doit se justifier en permanence quand on porte plusieurs casquettes. Cela a beaucoup à voir avec les critiques des opposants, et aussi avec les médias. Mais le lobby des caisses maladie, soi-disant si puissant, ne peut pas l’être tant que ça. Sinon, il aurait réussi à faire beaucoup plus et les primes seraient plus basses. Mais on ne mesure pas les lobbyistes des caisses maladie à la même aune que les lobbyistes des médecins, des hôpitaux ou de l’industrie pharmaceutique. Ceux qui ont des mandats dans le domaine des caisses maladie ou de la finance sont critiqués – ceux qui en ont dans le tourisme ou dans une maison de retraite sont considérés comme insoupçonnables.

Tout cela n’est-il donc qu’un problème de critiques?
Il y a dix ans, ce système était opportun, aujourd’hui il ne fonctionne plus. S’il n’est plus accepté, on serait bien avisé de tirer les conclusions qui s’imposent. Que cela nous plaise ou non, à nous les politiques.

Le Conseil national veut plafonner les salaires des gestionnaires de caisses.
C’est une expression d’impuissance qui vise à détourner l’attention des véritables défis.

Vous êtes l’un des rares à avoir fait de la politique dans trois partis. Êtes-vous satisfait que votre carrière politique se termine au centre?Oui, car je ne suis pas différent d’il y a 25 ans, j’ai simplement 25 ans de plus et plus d’expérience. J’ai changé de patrie politique, mais ma boussole est restée la même. A l’époque, l’UDC a changé dans une mesure telle que j’ai dû partir. La fusion du PBD et du PDC est extrêmement judicieuse, elle ne signifie aucun changement pour moi. Je suis heureux.

Maintenant, vous êtes à nouveau dans un parti qui doit légitimer son siège au Conseil fédéral.
Tous les partis doivent le faire. Aujourd’hui, tous doivent investir du temps et des ressources dans les campagnes électorales et les campagnes, plutôt que dans un véritable travail politique. Cela ne me plaît pas, mais c’est une réalité qui se fait sentir depuis longtemps dans les cantons également. Pour une direction de parti, la moitié de la législature est marquée par la tactique électorale. Ce temps manque pour la politique de fond.

Cela n'a-t-il pas toujours été le cas?
La tendance s'est renforcée. Il y a 20 ans, on travaillait probablement pendant trois ans et demi, puis on faisait campagne pendant six mois.

Et nous avons un Conseil fédéral qui se compose actuellement de sept individualités plutôt qu'un collège...
C’est aussi mon impression. Dans les départements, on fait souvent du bon travail. Mais j’ai déjà vu des gouvernements bien plus efficaces et plus solidaires par le passé. De nombreuses décisions sont bloquées.

Que manque-t-il à ce Conseil fédéral?
Peut-être des membres avec des opinions fortes et des prédispositions pour le leadership, quitte à ce que cela fasse des étincelles. Des figures comme Couchepin, Leuenberger, Calmy-Rey.

Vous n’avez pas cité de grand nom.
Il y en a d’autres. Je garde surtout un excellent souvenir de l’époque où le Conseil fédéral était dominé par une majorité de femmes.

Le temps est-il venu pour certaines démissions?
Il est temps de donner une nouvelle impulsion. Je ne dis pas qui doit partir, mais nous devons d’une manière ou d’une autre surmonter la paralysie actuelle.

La ministre de l’énergie, Simonetta Sommaruga, est violemment attaquée par l’UDC. Le conseiller national Christian Imark a déclaré mardi qu’elle devrait bientôt s’attendre à davantage que des appels à une démission. De telles attaques vous rappellent-elles l’ère d’Eveline Widmer-Schlumpf, durant laquelle vous étiez président du PBD?
Cela ne me rappelle pas seulement cette époque, cela confirme aussi ma perception des dernières années. Depuis 2015, le Parlement est composé de personnes qui ont été élues parce qu’elles représentent la colère des classes moyennes. Elles ont amené cette tendance au Parlement.

Quelles en ont été les conséquences?
Dans l'autre camp aussi, on s'agite. Pourtant, la polarisation est la pire des réponses à la polarisation. Cette ambiance se propage jusque dans les commissions, où les débats sont éclipsés par des opinions arrêtées, des interpellations ou des attaques personnelles. Ce ne sont pas des attitudes que l'on devrait trouver dans des commissions parlementaires. Pour ce qui est des débats, les limites sont sans cesse repoussées en matière d'attaques personnelles. Il n'y a pas de gros scandale, mais une succession de petites affaires.

Mais, pourtant, les débats en commission ne sont pas publics.
C'est ce qui me rend inquiet: personne ne gagne quoi que ce soit à ce genre de polémique dans une commission! Ceux qui siègent au Parlement depuis trois ans n'ont rien connu d'autre que ce climat de tension. C’est aussi en partie le reflet de la société.

Alors que l'on va vers la fin de votre carrière parlementaire, ce n'est pas très bon signe...
Une certaine dose de respect s'est perdue. Personne ne doit s'incliner devant Martin Landolt, mais si j'occupe une fonction pendant un moment, alors il faut la respecter. Nous manquons de décence entre nous, les parlementaires.

Les présidentes et présidents des commissions devraient-ils être plus stricts pour éviter tout dérapage?
Oui, je souhaiterais que l’on intervienne plus rapidement et plus clairement tant en commission qu'en séance plénière. Dès que l’on autorise quelqu'un à dépasser les limites, les débordements deviennent la norme. Lorsque je venais d’arriver à Berne en 2009, Chiara Simoneschi-Cortesi, en tant que présidente du Conseil national, a une fois coupé le micro à Christoph Mörgeli. Cette manière de diriger les séances me manque.

Les femmes politiques sont-elles différentes des hommes en la matière?
Oui. Il est possible que certains hommes partent du principe que les femmes n'osent pas répondre sur le même ton, parce qu’elles ne veulent pas s’abaisser à ce niveau. Cette réaction est compréhensible, mais peut-être qu’une réaction plus stricte serait parfois plus salutaire.

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