«Il faut dédramatiser la tarte!»
Les entarteurs de l'UDC Céline Amaudruz divisent la gauche radicale de Genève

Le presque entartage de la conseillère nationale Céline Amaudruz, mercredi passé à l'Université de Genève, divise la gauche radicale. Tandis que les militants d'extrême gauche ont revendiqué l'acte, leurs élus au Parlement n'assument pas la méthode. Bisbilles en vue?
Publié: 29.12.2022 à 17:20 heures
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Dernière mise à jour: 29.12.2022 à 17:25 heures
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Vous reprendrez bien encore un peu de sucre, de crème et de scandale? L'attaque à la tarte ayant visé (en vain) la conseillère nationale UDC Céline Amaudruz pendant son intervention au Club de Débat de l'Université de Genève (UNIGE), mercredi 21 décembre, continue de faire des vagues, à droite comme à gauche.

Commençons du côté de la victime. L'élue fédérale a porté plainte, dénonçant une «tendance à la censure dans les milieux académiques», dans les colonnes de la «Tribune de Genève». Car le recteur de l'UNIGE, Yves Flückiger, refuse de poursuivre les «agresseurs» ou «agresseuses» pénalement. D'après un communiqué du Club de Débat, il s'agit d'étudiant(e)s membres du comité de la Conférence Universitaire des Associations d'Etudiant.e.x.s (CUAE).

Qui, plus précisément? Le mystère reste entier. Au contraire du motif de cet acte manqué, revendiqué a posteriori sur le site du média participatif de gauche radicale «Renversé». Intitulé «Amaudruz, tu pues, dégage de notre uni!», le billet de blog est un message politique de gauche radicale «antifasciste» assez classique.

La conseillère nationale UDC Céline Amaudruz a été attaquée à la tarte pendant son intervention au Club de Débat de l'Université de Genève (UNIGE), mercredi 21 décembre. (Image d'archives)
Photo: keystone-sda.ch
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«Où qu’elle soit, quelle que soit la casquette qu’elle prétend porter, elle (ndlr: Céline Amaudruz) représente l’UDC et son discours fasciste (...), écrivent les malfrats ou malfrattes à tartes. Et les fascistes n’ont rien à faire dans nos lieux de formation!». Ayant raté leur coup, ils ou elles — le texte est rédigé de manière inclusive — réitèrent des menaces: «La prochaine fois, ça ne se passera pas de la même manière. On sera plus nombreuxses, plus organiséexs, plus déterminéexs et plus prêtexs à en découdre!»

Reste une question centrale: cette action est-elle assumée par les élus qui représentent ce courant de pensée, à savoir, pour le Grand Conseil, Ensemble à Gauche ou Résistons? À moitié, selon les réactions collectées par Blick, qui vont d'un sourire narquois à de la gêne parfois exprimée.

Qui sont les vrais radicaux?

Parmi ce dernier cas de figure, on retrouve le député d'Ensemble à Gauche Olivier Baud. Celui qui est également enseignant soupire. S'il peut comprendre l'acte des entarteurs ou entarteuses, il y a bien un mais. «J’admets que le message derrière le geste est louable, mais la forme qu’il a prise est regrettable, estime l'élu. Jeter de la mousse à raser à distance ou enfariner quelqu’un, à la limite, c’est encore assez inoffensif... Mais pas cibler le visage d'une personne pour l'entarter, car un incident plus grave est vite arrivé.»

Pourtant, encore une fois, l'entartage manqué porte le sceau de la «gauche radicale», selon la revendication publiée sur «Renversé». Les élus au Grand Conseil se qualifient donc avec la même dénomination que les militants à tarte. Mais alors, qui sont les vrais radicaux? «Il y a plusieurs genres de radicalités au sein du même mouvement, plaide la députée d'Ensemble à Gauche Jocelyne Haller. Et celle des élues et élus au Parlement n'est pas celle des militantes et militants.»

Olivier Baud, lui, réitère ses réticences face à la méthode: «Notre parti partage clairement la lutte antifasciste, dont se revendiquent ces militantes ou militants. Mais, pour nous, cela ne veut pas dire qu'il faut violenter les supposés adversaires. Car nous aussi profondément pacifistes et antimilitaristes, il ne faut pas oublier cela.» Le politicien et enseignant salue néanmoins la réaction plutôt modérée de l’alma mater: «Cette action n’est pas non plus une raison pour barricader l’Université, comme le voudrait l’UDC.»

«Il faut dédramatiser un peu!»

La députée Jocelyne Haller est encore plus compréhensive que son collègue de parti. La méfiance des jeunes militants de gauche envers tout ce qui est collégial et institutionnel est plutôt normale, et c'est ce sentiment qui les pousse, selon elle, à effectuer des actions politiques du genre entartage. «Souvent, les militants radicaux ne comprennent pas vraiment comment leurs députés ont pu faire le choix de la politique institutionnelle, plutôt que du militantisme, admet-elle. Avec ses cadres, ses règles, ses contraintes, la politique active entre en contradiction avec le concept même de radicalité.»

Jocelyne Haller confirme donc une certaine divergence avec les militants de la gauche radicale. Mais l'idéologie, au fond, reste la même pour tout le monde. «Nous avons le même projet de société que ces personnes. Seules nos méthodes nous distancient.» Et, pour celle qui a été élue au Conseil national en 2019 — elle avait alors laissé son siège à la vient-ensuite Stéfanie Prezioso Batou — ce n'est pas si grave.

La députée de 58 ans reproche par ailleurs à Céline Amaudruz d'y aller un peu fort. «Une plainte, c’est une réaction un petit peu exagérée. L'acte d'entarter, c’est simplement tourner quelqu’un au ridicule. Et donc, implicitement, mettre quelqu’un face à ses propres contradictions. Tout en évitant la violence à proprement parler.»

«Pour moi, poursuit Jocelyne Haller, tant qu’il n’y a pas de mal ou de vrai contact physique, ce n’est pas de la violence. Il faut dédramatiser un peu!» D'après la députée, Céline Amaudruz ne fait d'ailleurs que (re)mettre du feu aux poudres en faisant appel à la justice: «Porter plainte pour un entartage raté, au final, c’est se complaire dans une posture extrêmement rigide. Posture rigide qui, justement, est à l’origine de cette attaque à la tarte, je pense…»

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