Il harcèle des femmes en ligne
Ces Romandes traquent un pervers sur Instagram

Depuis quelques jours, un pervers publie sur Instagram des centaines de photos d'utilisatrices affublées de commentaires insultants voire pédopornographiques. Des Romandes le traquent. Plongée dans les coulisses d'une enquête 2.0.
Publié: 02.09.2021 à 15:46 heures
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Dernière mise à jour: 02.09.2021 à 18:28 heures
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Amit JuillardJournaliste Blick

Son téléphone portable vibre en permanence. Jusqu’à l’empêcher de trouver le sommeil. Camille n’a dormi que quatre heures ce mercredi matin. L’objet de ses tourments: un pervers sévit sur Instagram depuis le début de la semaine. «Tout a débuté lundi soir, raconte la Neuchâteloise. Un compte est apparu avec deux ou trois photos de femmes prises dans la rue. Il y avait des hashtags «viol», «harcèlement»,…»

Le soir même déjà, les appels à dénoncer la page se multiplient sur la plateforme propriété de Facebook, comme Blick et beaucoup d’internautes de Suisse romande, de France ou de Belgique ont pu le constater. «Le compte a commencé à être signalé en masse. En commentaires, les gens taguaient la police nationale française ou la police cantonale vaudoise». L’influenceuse de 29 ans aux 3’200 followers, monte aux barricades. «J’ai fait une vidéo pour en parler et j’ai aussi tagué les médias ou les polices parce qu’Instagram ne faisait rien pour le bannir.»

Et puis, le malveillant individu change de tactique. En Story, il affiche des photos des femmes qui tentent de le faire taire, trouvées sur les comptes Instagram de celles-ci, avec des commentaires salaces, misogynes, dérangeants, grossophobes, voire flirtant avec la pédopornographie, dans un français parfois approximatif. «Puuteeeuh», «très grosse», «obèse souriante», «40aine chaude», «pour les affamés», «cache tes bourley qui servent de seins», «ce mutant lgbt ptdr», «cochonne provocante, j si pas l’âge (ndlr: lisez, «j’ai pas l’âge»), «j’lui pete la vaissie», «13 ans pas vierge»,… Arrêtons là, le caniveau déborde.

Célia (à gauche) et Camille mènent l'enquête avec d'autres Romandes.
Photo: c_et_a_photographie et Julien Grosjean/Photomontage Blick

«Qu’on la lapide»

Selon les témoignages recueillis, plusieurs instagrammeuses qui ont osé dénoncer ses propos ont reçu — de la part du compte incriminé — des insultes et des images de pénis visiblement infectés, probablement trouvées sur Internet. Certains messages adressés à ces femmes et parfois à leurs compagnons, dont nous avons pu prendre connaissance, sont d’une violence inouïe. Exemple: «Qu’on la lapide» ou, plus bas dans la même conversation, «j’aimerai vrmt tenir sa nuque contre l oreiller en serrant assez fort pour ne pas qu’elle bouge lui tenir les main dans le dos et la pénétrer doucement» (sic).

Dans la journée de mardi, le premier compte disparaît. Supprimé ou suspendu? Difficile à dire. Mais déjà, de nouvelles versions jaillissent (au moins quatre), l’une après l’autre. Celles-ci attirent quelques dizaines d’abonnés, pas davantage. Plus de photos de femmes prises volées dans la rue, mais toujours les mêmes Stories, vues des milliers de fois. Avec un avertissement lancinant: «C’est jamais fini».

Entre-temps, la résistance s’organise. Comme d’autres, Camille se démène. «J’ai contacté chacune des filles exposées pour les en avertir. Il y en a eu plus de 200 depuis le début. J’ai créé un groupe sur Instagram qui réunit plus de 30 personnes et on est passées sur WhatsApp avec les 12 ou 13 qui souhaitent porter plainte. On a aussi essayé de le tracker, de trouver son identité… On s’est prises pour le FBI (rires). Il faut que ça cesse; c’est peut-être vraiment un détraqué.»

Agit-il depuis le Brésil?

Qui est-il? D’où vient-il? Agit-il seul? Que cherche-t-il? Est-il potentiellement dangereux? «A certaines d’entre nous, il a dit avoir 16 ans, à d’autres qu’il était marié ou qu’il est en prison», s’exaspère la modèle photo. Mais les internautes trouvent d’autres ressources. Elles se lancent dans une investigation à la «Don’t F**k With Cats», série documentaire Netflix qui suit des internautes chassant un tueur sur les réseaux sociaux.

Elles remarquent un premier élément tangible: le téléphone utilisé pour créer une des Stories nauséabondes est configuré en portugais et affiche un décalage horaire de plusieurs heures. «On pense donc qu’il est au Brésil. L’opérateur affiché, Vivo, est d’ailleurs brésilien. Sur les photos prises dans la rue qu’il avait publiées, les pavés ressemblent à ceux qu’on peut retrouver dans certaines villes là-bas.»

L’étau se resserre. En commentaire sous une publication, plusieurs adresses IP — sorte de codes permettant de localiser un ordinateur — sont postées. En utilisant la technique du mot de passe oublié, des instagrammeuses retrouvent l’adresse e-mail liée à l’un des comptes. Et une partie d’un numéro de téléphone… français.

Piéger le pervers

Célia, une Fribourgeoise de 27 ans, décide, elle, d’avancer masquée. «Avec son accord, j’ai fait un nouveau compte Instagram avec une photo de mon cousin et son nom et j’ai écrit au pervers. J’ai joué au dalleux, je lui ai demandé où il trouvait toutes ces poules. Il m’a dit de créer un faux compte similaire au sien et de le recontacter à travers celui-ci.»

Elle s’exécute. «C’est là qu’il m’a avoué qu’ils étaient en fait trois derrière tout ça, qu’il y a un «boss», qu’il avait trouvé les premières photos sur internet, qu’il n’était pas en Europe et qu’il ne risquait donc rien.» Tout en lui déconseillant de «sortir et prendre en vidéo des meufs», il l’encourage à publier du contenu similaire en Story. Il la rassure aussi: pas d’inquiétude à avoir, personne ne saura qui ils sont. «Ils sont perdus ils savent même pas on est cbm (ndlr: lisez, «combien»)», se vante-t-il. «Ils ont l’adresse ip d’un mec et la localisation d’un autre», se réjouit-il en suite, avant de conclure: «en plus on a des vpn (ndlr: outil permettant de brouiller les pistes menant à l’adresse IP d’un ordinateur)».

Au fil de la conversation, l’homme, qui utilise une image d’une connaissance de Camille et Célia comme photo de profil, se décrit comme un troll. «Je filme personne c du fake pour créer le buzz», lâche-t-il. Ou encore: «J’aime juste voir les gens rager […] t’as vu comme ils s’excitent».

L'homme se réjouit d'énerver les femmes qu'il attaque.
Photo: DR
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Des hackers entrent en scène

Ce jeudi, l’enquête continue. Même si les publications semblent se tarir. Le petit groupe — fatigué mais volontaire — soupçonne plusieurs vrais comptes d’être liés, de près ou de loin, aux faux qui sévissent encore. Des personnes se présentant comme des hackers sont par ailleurs entrées en contact avec les victimes. Sans suite. Pour l’instant?

Camille et Célia, comme quelques autres, sont déterminées à porter plainte ce samedi auprès de la police cantonale vaudoise. «Pour moi, c’est important, développe Célia. Faire ce qu’ils font, ce n’est pas rien et pourrait pousser des personnes fragiles à faire des conneries. Ce n’est pas à prendre à la légère. Si je fais ce que je fais, c’est pour celles qui n’ont pas mon vécu et ma carapace. Il y a cinq ans, j’aurais été détruite.»

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