«Il voulait se débarrasser de moi»
Son propriétaire la met dehors sous prétexte de vouloir emménager, mais ne le fait pas

Patricia Kunz a dû quitter l'appartement qu'elle louait depuis 20 ans quand son propriétaire a déclaré avoir besoin d'y habiter lui-même. Or, c'est un homme sans lien de parenté avec le bailleur qui y vit désormais. Pour l'ASLOCA, il ne s'agit pas d'un cas isolé.
Publié: 10.12.2023 à 22:41 heures
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Dernière mise à jour: 10.12.2023 à 22:56 heures
Thomas Schlittler

La plupart des rues de la commune lucernoise de Buttisholz sont déjà à l'ombre. Sur le balcon de l'appartement mansardé où vivait autrefois Patricia Kunz, on pourrait encore profiter du soleil. «J'ai adoré cet appartement», confie avec nostalgie l'ancienne locataire de 54 ans.

Patricia Kunz a vécu dans cet appartement de 2,5 pièces pendant plus de 20 ans, de 1999 à 2021. Elle a ensuite été mise dehors par son bailleur, Markus Z.*, qui a fait valoir son droit d'habiter son propre logement.

«Monsieur Z. prévoit de passer la majorité de ses vieux jours dans les Canaries et ne vivra donc que deux à trois mois par an maximum en Suisse à l'avenir», indiquait la lettre de résiliation du bail. Selon la missive, le propriétaire n'aurait plus besoin de son actuel appartement de 4,5 pièces dans la commune de Sursee (LU), devenu trop grand. «Monsieur Z. prévoit de louer ou de vendre cet appartement à partir de l'automne et de déménager à la place dans l'appartement de 2,5 pièces, beaucoup plus petit à Buttisholz.»

Patricia Kunz s'insurge: «Le besoin propre n'était qu'un prétexte pour se débarrasser de moi.»
Photo: Philippe Rossier
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«Le besoin propre n'était qu'un prétexte»

Blick a pu se procurer la lettre datée d'avril 2021. Elle a été rédigée par la société HEV Immo AG Luzern, une filiale de l'association des propriétaires fonciers de Lucerne, à la demande du bailleur.

Patricia Kunz a d'abord voulu contester juridiquement la résiliation. Connaissant personnellement son propriétaire, elle ne pouvait s'imaginer qu'il s'installe dans son modeste appartement. Peu avant l'audience auprès de l'autorité de conciliation, elle y a toutefois renoncé: «Tout cela m'a causé une forte charge émotionnelle. Je n'ai finalement eu ni l'envie ni l'énergie d'engager une bataille juridique.»

Fin juillet 2021, la locataire a quitté son domicile le cœur lourd, pour apprendre quelques semaines plus tard par le voisinage que son propriétaire n'avait jamais pris possession de l'appartement qu'elle avait libéré. Au lieu de cela, c'est un jeune homme vivant déjà dans la région qui a emménagé le 1er septembre. «Cet homme n'a aucun lien de parenté avec mon ancien bailleur et il vit encore aujourd'hui dans l'appartement», explique Patricia Kunz. Pour elle, il n'y aucun doute: «Le besoin propre n'était qu'un prétexte pour se débarrasser de moi.»

Carlo Sommaruga dénonce une pratique courante

Selon Carlo Sommaruga, président de l'Association suisse des locataires (ASLOCA) et conseiller aux Etats socialiste genevois, il arrive «régulièrement que des bailleurs prétextent à tort un besoin propre pour forcer un changement de locataire». Cette technique serait particulièrement utilisée dans les zones urbaines, où le risque de se faire prendre est faible. «Pour ne pas éveiller les soupçons, les propriétaires font souvent une petite rénovation. Et l'appartement est ensuite reloué à un prix nettement plus élevé», détaille Carlo Sommaruga.

On ignore si le loyer a effectivement augmenté dans le cas de Patricia Kunz. Le bailleur n'a pas donné suite aux questions de Blick. Ce qui est sûr, c'est que depuis l'été 2020, le propriétaire n'était plus en bons termes avec sa locataire de longue date. «Il s'est beaucoup énervé lorsque j'ai exigé une baisse de loyer en raison de la réduction du taux d'intérêt de référence», rapporte Patricia Kunz.

En février suivant, Patricia Kunz a reçu une «sommation de respecter le devoir de diligence». Il lui était reproché de ne pas garer sa voiture dans le parking souterrain les jours de congé, mais sur le parking réservé aux clients d'un salon de coiffure, et d'«abuser» de la cage d'escalier pour y entreposer des chaussures et du matériel de ski.

Les propriétaires veulent faciliter les résiliations

La lettre se terminait par une menace sans équivoque: «Si, contre toute attente, vous ne respectez pas notre demande, nous nous verrons malheureusement contraints de résilier votre bail.» Deux mois plus tard, la résiliation est devenue réalité – non pas en raison d'un encombrement de la cage d'escalier, mais à cause d'un prétendu besoin propre.

L'Association suisse des propriétaires fonciers (HEV) ne commente pas ce cas particulier, mais estime que le risque de résiliations abusives est «extrêmement faible». Sa porte-parole explique: «Tout bailleur sait qu'une résiliation peut être contestée gratuitement et que le propriétaire doit alors démontrer l'existence du besoin propre invoqué.»

De leur côté, les propriétaires dénoncent depuis des années qu'il est, dans la pratique, souvent difficile et long d'obtenir la résiliation d'un bail pour cause de besoin propre. Lors de la session parlementaire d'automne, le lobby immobilier a fait voter une modification de la loi visant à faciliter les résiliations et les procédures en cas de litige.

*Nom connu de la rédaction

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