Interdiction de manifester
La CEDH condamne la Suisse pour ses mesures sanitaires

La Communauté genevoise d'action syndicale obtient gain de cause devant la Cour européenne des droits de l'homme. Celle-ci estime que l'interdiction des manifestations prononcée en raison du Covid viole la liberté de réunion et d'association.
Publié: 15.03.2022 à 14:04 heures

Dans un arrêt de chambre rendu mardi, la Cour estime que l'interdiction des manifestations prononcée dès le 16 mars 2020 n'était pas proportionnée aux buts poursuivis - notamment en raison de sa durée et de la sévérité des sanctions prévues. Sans que soit sous-estimée la menace présentée par le coronavirus pour la société et la santé publique, cette ingérence n'était pas nécessaire dans une société démocratique selon l'article 11 de la Convention garantissant la liberté de réunion et d'association.

La Communauté genevoise d'action syndicale (CGAS) a saisi la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) le 26 mai 2020 après avoir dû renoncer à la manifestation du 1er mai. Les manifestations, interdites par le Conseil fédéral sur la base de l'ordonnance 2 Covid, ont été à nouveau autorisées le 20 juin 2020, moyennant port du masque.

Pas de recours effectif

En préambule, la CEDH souligne que la requérante n'a pas bénéficié d'un droit de recours effectif qui lui aurait permis d'invoquer la violation de sa liberté de réunion. En effet, le Tribunal fédéral s'est abstenu d'examiner sur le fond la compatibilité avec la Constitution des mesures de lutte contre le Covid décrétées par le gouvernement.

L'interdiction des manifestations n'était pas proportionnel au but poursuivi, a estimé la CEDH.
Photo: Keystone

A une majorité de 4 juges contre 3, la Cour estime que l'interdiction de se réunir publiquement constitue une ingérence dans le droit de réunion de la requérante. Une telle ingérence de portée générale est une mesure radicale appelant une justification solide et un contrôle particulièrement approfondi par les tribunaux.

L'absence d'un tel contrôle juridictionnel s'avère «d'autant plus préoccupant» que l'interdiction a été maintenue sur une durée «considérable», relève la Cour.

Pas de contrôle par les tribunaux

Les juges de Strasbourg reconnaissent que la menace pour la santé publique posée par le coronavirus était très sérieuse et les connaissances sur les caractéristiques et la dangerosité du virus très limitées à l'époque. Si l'on ne pouvait pas attendre des débats très approfondis, notamment du Parlement, compte tenu de l'urgence, un contrôle «indépendant et effectif» par les tribunaux était particulièrement important.

La haute instance s'est aussi penchée sur les lourdes sanctions prévues en cas de violation de l'interdiction de manifester - soit jusqu'à 3 ans de prison. Elle rappelle qu'une manifestation pacifique ne devrait pas faire l'objet de sanctions pénales.

Enfin, la Cour rappelle que la Suisse n'a pas invoqué l'article 15 qui permet en cas de guerre ou de crise grave de déroger à certaines obligations découlant de la Convention. Dans ces conditions, elle devait respecter pleinement la liberté de réunion et de manifestation.

Une indemnité de 3000 euros est accordée à la CGAS pour ses frais et dépens, à la charge de la Suisse. (requête No 21881/2020)

(ATS)

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