Jan-Egbert Sturm, économiste
«L'économie mondiale ralentit, mais la Suisse montre sa force»

Dans un entretien avec Blick, l'économiste Jan-Egbert Sturm donne un aperçu de ce qui attend la Suisse en 2023. Bonne nouvelle: alors que l'économie mondiale rencontre des difficultés, notre pays devrait faire mieux et rester stable.
Publié: 05.01.2023 à 06:08 heures
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Dernière mise à jour: 05.01.2023 à 10:02 heures
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Christian Kolbe

Jan-Egbert Sturm nous reçoit dans son lumineux bureau du Centre de recherches conjoncturelles de l’EPFZ à Zurich. Le fameux «KOF» qui apparaît dans tous les articles traitant de la santé économique du pays. La pièce est dominée par une grande bibliothèque, qui sert souvent de toile de fond pour les photos et les vidéos lorsque l'économiste de 53 ans est sollicité par les médias. «Désormais, je lis la plupart des documents sous forme électronique», glisse le directeur du KOF. La qualité de ses prévisions font de lui l’un des spécialistes les plus respectés de Suisse.

Selon le KOF, l’économie suisse croîtra encore de 0,7% l’année prochaine, contre 0,5% pour l’économie mondiale. Que fait la Suisse mieux que les autres pays?
La question est toujours de savoir comment on mesure exactement l’économie mondiale. Si nous nous plaçons depuis la Suisse et que nous regardons le monde, nous donnons plus de poids aux pays avec lesquels nous faisons beaucoup de commerce. C’est particulièrement vrai pour l’Europe, et en particulier pour l’Allemagne, qui est en récession. En revanche, notre situation du point de vue national est plus stable, notre production est moins gourmande en énergie et nous profitons souvent de l’instabilité dans le monde. Car la Suisse est synonyme de stabilité, de sécurité et de qualité. C’est justement ce qui est demandé en ces temps incertains. Lorsque le monde s’affaiblit, l’économie suisse montre sa force.

Dans quelle mesure la faible croissance de l’économie mondiale est-elle problématique?
La conjoncture mondiale traverse une phase de ralentissement très nette. Ce n’est pas bon. En temps normal, la part de l’économie mondiale qui est pertinente pour la Suisse ne croît pas seulement d’un demi-pourcent. Certains pays vont entrer en récession. Mais cette faible croissance n’est pas comparable à la crise financière ou à la situation provoquée par la pandémie, lorsque l’économie mondiale s’est effectivement contractée.

«Le marché du travail suisse est très robuste», soutient Jan-Egbert Sturm.
Photo: Siggi Bucher
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Quelle est la différence?
Nous allons certes traverser une phase de ralentissement en termes de création de valeur. Mais le marché du travail – nous pouvons le voir dans tous les pays occidentaux – est vraiment en bonne santé. La sécurité de l’emploi est assurée. Les entreprises ont appris qu’il est plus facile de surmonter un ralentissement limité dans le temps en conservant leurs employés plutôt que de les mettre à la rue. Au contraire, la pénurie de main-d’œuvre qualifiée – et la pénurie de main-d’œuvre en général – est inquiétante.

Un marché du travail robuste en même temps qu'une phase de ralentissement économique: est-ce un phénomène nouveau?
Ce n’est certainement pas ce que nous lisons habituellement dans les manuels d’économie: en général, un ralentissement devrait être accompagné d’un chômage qui grimpe en flèche. Or, ce n’est pas ce que nous voyons. Nous réalisons de plus en plus à quel point il est nécessaire de conserver ses forces de travail pour pouvoir faire progresser les affaires.

Cela vaut-il aussi pour la Suisse?
Le marché du travail suisse est très robuste. Même si certaines entreprises ont des difficultés cet hiver, cela n’entraînera pas une forte hausse du chômage. Grâce aux expériences faites après la pandémie, de nombreuses entreprises sont devenues réticentes à licencier.

Quel est le risque de récession en Suisse?
Il est inexistant. Il s’agit certes d’une phase de ralentissement, mais dans l’ensemble, les entreprises parviendront à la surmonter, car les carnets de commandes sont encore assez bien remplis.

Comment l’économie suisse va-t-elle commencer l’année?
Il n’est pas si improbable que le premier trimestre soit négatif, à cause de la récente Coupe du monde de football au Qatar. Les recettes de la FIFA liées à cet événement contribueront à la création de valeur en Suisse au dernier trimestre 2022. Ces recettes manqueront au premier trimestre 2023, mais il s’agit d’un phénomène ponctuel qui n’a pas grand-chose à voir avec l’évolution conjoncturelle dans son ensemble.

Quelles sont donc les branches qui souffrent le plus de cette phase de ce ralentissement?
L’industrie, surtout les entreprises orientées vers l’exportation, est toujours le secteur qui souffre le plus d’un ralentissement économique mondial. Mais c’est justement l’industrie qui a connu une forte croissance ces dernières années, pas seulement la chimie et la pharmacie, mais aussi les autres secteurs industriels. Cela les aide maintenant à surmonter cette période de vaches maigres.

Et au-delà de ce secteur?
Dans la construction, nous voyons depuis quelques années déjà que, selon les chiffres officiels, la situation est compliquée. Mais si l’on parle avec les entreprises elles-mêmes, le ton n’est pas aussi dramatique. Il faudra néanmoins voir quel sera l’impact du relèvement des taux d’intérêt, avec un effet de retard. Une certaine prudence reste donc de mise.

À propos des taux d’intérêt, dans quelle mesure la Banque nationale va-t-elle encore les augmenter?
Dans notre dernière prévision, nous partons du principe que la BNS augmentera le taux directeur à un niveau de 1,5%.

Les prix des logements augmentent beaucoup plus lentement que par le passé. Une crise de l’immobilier est-elle imminente?
Il existe déjà depuis quelques années un risque certain d’effondrement du marché immobilier. Mais je ne m’attends pas à ce que cela se produise dans l’immédiat. En effet, l’immigration continue de donner des impulsions positives au marché immobilier. De plus, les fonds publics pour le financement de la construction d’infrastructures sont bien fournis. A ce niveau-là, des projets de construction sont prévus.

La consommation est un pilier important de l’économie. Les consommateurs sont-ils d’humeur à acheter?
Le moral des consommateurs suisses est à un niveau historiquement bas. Mais cela ne surprend qu’à première vue. Le moral est très fortement influencé par les problèmes que nous percevons autour de nous. Nous lisons tous les jours sur les conséquences de la guerre en Ukraine, sur les tensions politiques entre les États-Unis, l’Europe et la Chine. Nous craignons une crise énergétique. Tout cela se reflète dans le moral des consommateurs. Mais heureusement, leur comportement n’est pas en phase avec leur moral.

C’est-à-dire?
La situation sur le marché du travail restera bonne, l’évolution des revenus se normalise, le taux d’épargne reste plus élevé qu’avant la pandémie. En fin de compte, nous ne voyons pas se dessiner de retenue dans la consommation. Cette dernière reste le facteur de la stabilité de l’économie suisse. L’exportation souffre davantage, mais la conjoncture intérieure est robuste.

Mais le coût de la vie continue d’augmenter.
Nous avons sous-estimé le phénomène global de l’inflation, car nous ne pouvions pas prévoir qu’il y aurait une guerre. La guerre en Ukraine a fait grimper les prix de l’énergie, et surtout ceux du gaz en Europe. Sans cette guerre, nous n’aurions pas vu cette hausse des prix. En raison des effets de base, le coût de l’énergie va disparaître du taux d’inflation. Mais il n’y a pas que les prix de l’énergie qui ont augmenté, l’inflation s’est entre-temps propagée dans toute l’économie.

Quelles sont les conséquences?
Il y a ce que l’on appelle un effet de second tour, qui se répercute maintenant sur le taux d’inflation. Lorsque nous les interrogeons, de nombreuses entreprises avancent qu’elles ont l’intention d’augmenter leurs prix dans un avenir proche. Il y a deux mouvements contradictoires, les effets de base tendent à s’amenuiser alors que les effets de second tour augmentent. Mais au final, le taux d’inflation va baisser.


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