«Je ne suis pas un fauteur de troubles»
Bruno Suter refuse de fermer son restaurant aux non-vaccinés et nargue les autorités

Le tenancier schwytzois Bruno Suter s'oppose à l'application du certificat Covid dans son restaurant. Si la situation n'a pas dégénéré comme à la «Walliserkanne» de Zermatt, l'homme ne se laisse pas démonter. Blick lui a rendu visite.
Publié: 22.11.2021 à 12:27 heures
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Dernière mise à jour: 23.11.2021 à 20:27 heures
Benjamin Fisch et Sarah Frattaroli

Le temps est calme dans la vallée schwytzoise de la Muota, le ciel est couvert de nuages. Le canton de Schwytz a l'un des taux de vaccination les plus bas de Suisse. Moins de 60% de la population y est doublement vaccinée. Et Bruno Suter n'en fait pas partie.

Depuis plus de 35 ans, il est à la tête du restaurant «Hölloch», du nom d'une grotte présente dans la région, l'une des plus longues du monde et dont le ténébreux qualificatif semble faire référence aux enfers. On a toujours pu y manger des pizzas, des cordons bleus ou des feuilletés à la viande et louer une chambre pour la nuit.

Mais, depuis cet automne, rien n'est plus comme avant. Bruno Suter s'oppose depuis des mois à l'obligation du certificat Covid et se heurte aux autorités. Blick a rendu plusieurs fois visite au tenancier rebelle.

Le tenancier Bruno Suter est considéré comme le rebelle de la vallée de la Muota.
Photo: Philippe Rossier
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«Le certificat, c'est ma ligne rouge»

Nous sommes le 13 septembre 2021, date à laquelle le certificat obligatoire est étendu dans tous les restaurants, fitness et cinémas. Le soleil brille. Des dizaines d'excursionnistes sont assis sur la terrasse du Hölloch. A l'intérieur, tout est vide.

Bruno Suter tombe à pic. Il n'aurait de toute façon pas contrôlé les certificats. «Le certificat, c'est ma ligne rouge», prévient-il d'emblée. Il n'apprécie guère «d'exclure une partie entière de la population». Surtout dans cette vallée où plus de 80% des votants se sont exprimés contre la loi Covid en juin.

«Je ne suis pas un fauteur de troubles!»

Trois jours plus tard, la police se rend pour la première fois au Hölloch. Bruno Suter a de la chance: il n'y a aucun client dans le restaurant. Mais il avoue sans ambages qu'il ne contrôle pas les certificats.

Il faut encore attendre cinq jours, le 21 septembre, pour que le tenancier reçoive son premier avertissement officiel. S'il ne commence pas à contrôler les certificats, le Hölloch sera fermé, menace le Canton. «Je ne suis pas un fauteur de troubles», précise Bruno Suter à Blick.

L'homme est d'un naturel calme et est apprécié dans le village. «C'est la personne la plus gentille que je connaisse», dit-on de lui. Même de la part de personnes qui ne sont pas sur la même longueur d'onde que lui sur le plan politique. Ici, il est connu comme le loup blanc.

Il a failli devenir conseiller d'Etat

Mais l'homme est aussi considéré comme un anticonformiste et a déjà donné plusieurs fois des sueurs froides aux autorités. Et pas seulement depuis le début de la pandémie. Il s'est présenté quatre fois au Conseil d'Etat de Schwyz, toujours sans étiquette et sans parti, mais dans une position de contestation des pouvoirs publics. Il n'a jamais été élu, même s'il s'en est parfois fallu de peu: en 2004, il ne lui a manqué que 1600 voix.

Le 30 septembre 2021, la police se rend à nouveau au Hölloch, où elle surprend trois clients sans certificat. Ils sont mis à la porte et reçoivent une amende... que Bruno Suter décide de payer. «Cela va de soi», souligne-t-il. Une procédure est alors ouverte contre le tenancier.

Soutien des «Freiheitstrychler»

Une semaine plus tard, la police réapparaît à nouveau, juste avant le service de midi. Elle ordonne une fermeture de sept jours de l'établissement. Que fait Bruno Suter? Il sert d'abord tranquillement le déjeuner à ses clients. «Je ne vais quand même jeter de la nourriture», se défend le cuisinier de formation. La police le laisse faire.

Le soir-même, des dizaines de «Freiheitstrychler» et autres sympathisants se rassemblent devant le Hölloch pour protester contre la fermeture. «Cela m'a fait plaisir, concède Bruno Suter. Mais cela me rend triste aussi.» Cette manifestation le prouve: beaucoup d'autres considèrent également l'obligation de certificat comme une discrimination, poursuit le restaurateur.

Il pique-nique devant le bâtiment du gouvernement

Le tenancier profite de cette solidarité spontanée et organise, quelques jours après la fermeture forcée de son bistrot, un pique-nique sur les escaliers devant le bâtiment du gouvernement schwytzois, en guise de protestation. Environ 150 personnes se joignent à lui. «Je m'attendais à dix personnes, tout au plus!»

Du vin chaud est servi, certains mâchent un sandwich. On applaudit le tenancier rebelle. Mais tout le monde n'est pas bien disposé à son égard. En Suisse alémanique, le Hölloch fait désormais la Une des journaux.

Bruno Suter reçoit aussi des courriels haineux. «J'ai détesté passer mes vacances chez vous», écrit l'un d'eux, lui reprochant d'avoir une «grande gueule». «Cela me donne à réfléchir, admet-il. Les fronts se sont durcis.» Le tenancier ne change pourtant pas d'avis.

Un salon privé plutôt qu'un restaurant

Mi-octobre, Bruno Suter laisse à nouveau entrer les clients. A-t-il fait preuve de compréhension, contrôle-t-il désormais les certificats? Ou les autorités schwytzoises ferment-elles les yeux sur le rebelle de la vallée de Muota?

Ni l'un, ni l'autre. Le tenancier a trouvé une astuce juridique pour contourner l'obligation de certificat. Il exploite désormais son restaurant comme un «salon privé». En d'autres termes, il n'accepte que 30 clients au maximum. Et le restaurant ne vend en théorie rien: on va chercher soi-même les boissons, on paie directement dans la caisse... en faisant un don.

Il loue son établissement... aux gérants de la Walliserkanne!

Bruno Suter n'est d'ailleurs plus réellement le gérant de l'établissement. Il loue son restaurant, pour un franc par jour. Les locataires? Les tenanciers de la Walliserkanne! Souvenez-vous, c'est le nom de ce restaurant de Zermatt ayant défrayé la chronique ces semaines dernières qui a fini par être fermé récemment. Les gérants avaient même été arrêtés.

Ce salon prétendument privé est une épine dans le pied des autorités. Elles semblent craindre de prendre des mesures rigoureuses et laissent faire Bruno Suter. Une bataille juridique pour définir la nature privée ou publique d'un lieu s'annonce.

En attendant, l'homme continue de tenir le restaurant et organise ses pique-niques devant le gouvernement cantonal chaque semaine. Le nombre de participants s'est multiplié: 500 personnes s'y retrouvent, venant de toute la Suisse.

(Adaptation par Alexandre Cudré)

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