Afficher un homme à poil pour vendre des conseils en assurance peut aussi être sexiste! La commission vaudoise sur la publicité sexiste a rendu public dans la Feuille d'avis officiels, ce vendredi 3 mai, un préavis en ce sens. Cette affiche suspecte, repérée à Lausanne et présente dans d'autres communes de Suisse romande, vous l'avez certainement croisée ces derniers mois.
Un quinquagénaire bedonnant fait sa rando en forêt sur un chemin de montagne... complètement nu. Seuls accessoires: un chapeau, un bandana, un sac à dos et une carte des lieux pour masquer son sexe. Voici l'imagerie utilisée par l'assureur bernois KPT pour vendre ses rendez-vous personnalisés. Sur la droite, un texte accompagne l'image: «En quête de simplicité? Nous vous conseillons sans chichis».
Pas de lien naturel
La nouvelle Commission consultative en matière de procédés de réclame à caractère sexiste, mise en place par le Canton de Vaud en 2020, s'est réunie le 25 avril. Au-delà de la faute d'orthographe («chichi» ne devrait pas être au pluriel), la commission a décidé que cette campagne ne respecte pas l'idée d'un «lien naturel entre la manière dont la personne est représentée et le produit vanté». Soit l'un des principes de l’article 5b de la Loi sur les procédés de réclame (LPR), interdisant les publicités sexistes depuis le 1er janvier 2020 en terres vaudoises.
Cette affiche «nécessite donc son interdiction par l'autorité compétente», selon la commission. «Il paraît évident que ce produit n'a rien à voir avec la nudité de la personne représentée sur l'affiche, peut-on lire sur le préavis rendu public. Le lien naturel entre la manière dont ce randonneur nu est représenté et une police d'assurance maladie promouvant le conseil est absent.»
À l'origine du signalement, pas d'association de quinquagénaires indignés en vue. Simplement un citoyen vaudois, Kyril Gossweiler, qui le 24 avril a voulu «titiller la commission» en leur présentant le cas de cette affiche. L'entrepreneur est très attaché à la notion de transparence de l'État et multiplie les initiatives en ce sens. «Je voulais voir la justification utilisée pour ne pas condamner cette pub pour sexisme, explique-t-il à Blick jeudi. J'ai été très étonné de voir que la commission l'a effectivement jugée sexiste.»
La créativité castrée?
Depuis 2020, Kyril Gossweiler en est à son cinquième signalement de publicité pour sexisme. Pour lui, la manière dont travaille et juge la commission constitue un sujet de société: «L'objectif est d'observer comment fonctionne la bien-pensance officielle et ses outils. Cela me parait être d’intérêt citoyen de tester les prestations de l’État.»
Cette affiche de KPT est donc passée à la moulinette des critères de la LPR. «Ce que je trouvais rigolo, c’est que si ça avait été une femme à poil, ça aurait hurlé. Cela amène à se demander si on peut encore avoir de la créativité dans la publicité», remarque l'ancien chef du marketing de la Loterie Romande qui avait participé à «concevoir des pubs qui ne passeraient plus aujourd'hui.»
L'assureur rassure
Les règles fixées «n’intègrent pas les tentatives d’humour ou d’exagération», se désole Kyril Gossweiler. C'est d'ailleurs ainsi que se défend l'assurance KPT. Son porte-parole Beni Meier indique par e-mail que l'image «du randonneur nu est bien entendu ironique. Nous ne comprenons pas en quoi ce sujet est choquant ou sexiste.»
Le communicant annonce toutefois prendre au sérieux la demande des autorités et respecter leur point de vue. «L'affiche avec le randonneur nu ne sera plus utilisée dans le canton de Vaud à l'avenir», annonce-t-il au sujet de sa campagne publicitaire, qui de toute façon prenait fin ce mercredi 1er mai.
Dans un second courriel, Beni Meier précise l'intention derrière la démarche. «Notre publicité met l’accent, de manière humoristique, sur notre capacité à accompagner nos assurés en leur apportant des réponses simples et précises, indique le communicant. Nous souhaitions exprimer de manière amusante que nous nous concentrons sur l'essentiel dans le cadre du conseil à la clientèle et que les choses sont souvent plus simples qu’elles n’y paraissent.» Et de préciser encore: «Nous n'avons jamais eu l'intention de donner une connotation sexiste à l'affiche.»
«Suisse-allemande et couillonne»
Kyril Gossweiler concède que certaines des pubs épinglées par la commission sont «clairement sexistes» et qu'il reste nécessaire que l’État mette en place un outil de lutte. «C'est vrai que le mec est nu et que ça n’a rien à voir avec leur produit, concède le signaleur en série. Mais avant d'être 'sexiste', je la trouve surtout suisse-allemande et couillonne.»
Dans le même temps, le Vaudois a «dénoncé» une autre affiche de cette même campagne, qui représente un ours effrayant une jeune femme. Mais cette fois-ci, personne n'est dénudé (à part l'ours). «Si vous regardez ça comme un con, il n’y a pas non plus de lien naturel entre le produit et l'image, taquine Kyril Gossweiler. En dehors de la nudité, la pirouette est la même. Si celle-ci est sexiste, on atteint des sommets stratosphériques dans la castration de la créativité.» La décision de la commission n'a pour le moment pas encore été rendue.
Contactée, la Ville de Lausanne, par le biais de la Direction des finances et de la mobilité, indique n'avoir pas eu de décision à prendre pour retirer les affiches du randonneur nu. «La direction ne s’est pas positionnée sur le préavis de la commission», informe Valentina Andreoli, secrétaire générale du bureau dirigé par la municipale socialiste Florence Germond. Ceci grâce à un hasard du calendrier: «Cette décision a été communiquée aux services de la Ville le 30 avril en fin de journée, continue la fonctionnaire. Puis, KPT a annoncé que ladite campagne se terminait le 1er mai, toute décision était de facto sans objet.»