L'analyse linguistique fait tomber les complotistes
Une start-up valaisanne démasque le fondateur de «QAnon»

Le mystérieux «Q» du mouvement «QAnon» n'est pas un haut fonctionnaire du gouvernement américain. Une start-up valaisanne a découvert qui se cachait derrière ce mystérieux pseudonyme qui relayait des théories du complot.
Publié: 27.02.2022 à 17:15 heures
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Dernière mise à jour: 16.10.2022 à 11:55 heures
Camille Kündig

Il se fait appeler «Q». Il prétend tout connaître des coulisses des plus hautes sphères du gouvernement américain. Il prétend détenir des preuves que les démocrates violent des enfants et qu'ils boivent leur sang. Il prétend détenir la vérité sur Donald Trump, qui va libérer le monde de la domination de Satan.

Ce qui a commencé en octobre 2017 sur le forum Internet «4chan» s’est transformé en l’une des plus grandes théories du complot au monde. Avec ces messages était né le mouvement «QAnon» («Anon» pour «anonyme»). En Suisse aussi, les adeptes de Q diffusent leurs fake news. Lors de la pandémie par exemple, ceux-ci n'hésitaient pas à évoquer le «génocide vaccinal des enfants».

Depuis, des scientifiques suisses travaillant pour la start-up Orphanalytics ont mené un véritable travail d'investigation dans un chalet valaisan. Ils ont ainsi pu démasquer qui se cachait derrière le pseudonyme de «Q».

Des scientifiques suisses ont effectué un travail de détective pendant des mois dans un chalet valaisan pour démasquer le gourou de «QAnon».
Photo: AP
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Deux marginaux se partagent la signature

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce n'est pas un habitué des coulisses de Washington qui se cache derrière ces messages, mais deux hommes qui se sont apparemment partagé le rôle: l’Américain Ron Watkins puis le journaliste et activiste juridique sud-africain Paul Furber.

La start-up a comparé des éléments de texte de Q avec des textes de personnes qui, sur la base d’enquêtes journalistiques, ont été identifiées à plusieurs reprises comme suspects. L’algorithme confirme avec 93% de certitude que Paul Furber d'abord, puis Ron Watkins, ont été les premiers à écrire sous le pseudonyme. Comme l’explique le chef de l'entreprise valaisanne, Claude-Alain Roten, lorsque «QAnon a connu le succès, Watkins s’en est approprié le contrôle exclusif fin 2017.»

Il y a un an, la start-up avait déjà limité sa recherche aux styles linguistiques de deux auteurs, mais n’avait alors pas encore pu déterminer leurs noms. Il était notamment difficile de s’assurer que les textes comparés sur le web provenaient bien des suspects. Mais cette semaine, les résultats des analystes linguistiques ont fait la une du «New York Times».

Des chercheurs français parviennent à la même conclusion

Autour de Claude-Alain Roten, une équipe de généticiens, de physiciens, d’informaticiens et de linguistes travaillent avec un algorithme qui analyse les combinaisons de mots, la syntaxe et le rythme d’un texte: «La langue devient ainsi une empreinte digitale.» Les études statistiques sur le style linguistique ne sont pas nouvelles, mais l’approche actuelle est plus sophistiquée. Elle se base sur le procédé de séquençage utilisé en génétique. Cette méthode a déjà été utilisée dans des affaires criminelles et de plagiat et a, par exemple, permis de démasquer Nicolas Sarkozy et de prouver qu’il n’avait pas écrit lui-même «ses» livres.

Ron Watkins comme Paul Furber nient être les voix de Q. Cependant, un groupe de chercheurs français est parvenu aux mêmes conclusions que les Valaisans dans une deuxième étude indépendante.

De Molière aux complotistes

Pour leur part, les linguistes informatiques français Florian Cafiero et Jean-Baptiste Camps ont nourri un programme informatique de fragments de texte d’une personne donnée lors de leur deuxième analyse, jusqu’à ce que le logiciel ait appris à identifier son style. Les linguistes sont sûrs à 99% pour Ron Watkins et à 98% pour Paul Furber. Florian Cafiero explique: «Avec la même méthode, nous avons déjà pu prouver que, contrairement à ce que pensent certains historiens, Molière écrivait lui-même ses pièces et ne faisait pas appel à des ghostwriters.»

La Francophonie célèbre cette année les 400 ans de celui qui a donné son nom à la langue française. Il a notamment connu le succès avec sa pièce «Le malade imaginaire», dans laquelle il se moquait des médecins – un thème très apprécié des théoriciens du complot actuels…

Claude-Alain Roten voit sa technologie comme un instrument contre les théories du complot et les discours de haine sur le web: «J’espère qu’en démasquant Q, les trolls d’Internet prendront conscience qu’ils ne peuvent pas tout se permettre en se cachant derrière un pseudonyme.» Pour stopper le mouvement QAnon, cette révélation ne devrait toutefois pas suffire, selon Sebastian Dieguez, expert en théories du complot: «Q est secondaire, ce qui compte pour les adeptes, c’est la mythologie générale du mouvement.»

(Adaptation par Thibault Gilgen)


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