Le virologue Didier Trono
«Le Covid-19 aura bientôt épuisé sa capacité à nous attaquer»

Le virologue genevois Didier Trono s'inquiète de l'incidence du variant Omicron et estime que le nombre de vaccinés doit augmenter. Mais il apporte aussi de bonnes nouvelles. Selon lui, le Covid-19 aura bientôt épuisé sa capacité à contourner notre système immunitaire.
Publié: 17.12.2021 à 06:06 heures
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Dernière mise à jour: 23.12.2021 à 15:34 heures
Fabian Vogt

Seuls 4 pays comptent plus de cas de Covid par habitant que la Suisse. Comment cela se fait-il?
Les mesures sanitaires en Suisse sont très souples. Nos pays voisins ont pris des mesures beaucoup plus drastiques contre le virus. Confinement, règle des 2G et port du masque obligatoire par exemple. Il ne faut donc pas s’étonner que nos chiffres soient si élevés.

Une explication avancée par certains quant à l’incidence élevée est que la Suisse fait beaucoup de tests.
Ce n’est pas vrai. Nous ne testons pas davantage que la Grande-Bretagne, par exemple, qui a une incidence beaucoup plus faible. Nous testons même trop peu. Entre 15 et 20% des tests sont positifs. En réalité, il devrait y en avoir 3 à 4%. Cela signifie que ce sont surtout les personnes qui présentent des symptômes évidents du coronavirus qui se font tester. Mais en réalité, les personnes souffrant d’un rhume, par exemple, devraient également se faire tester, tout comme les proches qui ont été en contact avec des personnes infectées.

Vous avez évoqué la Grande-Bretagne. Là-bas, environ 40% des cas sont dus au variant Omicron. Quand cela sera-t-il le cas chez nous?
C’est à Londres qu’on le voit le plus clairement. Il y a quelques jours, les premiers cas du variant Omicron y ont été détectés. Maintenant, ils représentent déjà 40%. A ce rythme, le variant Omicron aura complètement remplacé Delta dans trois ou quatre jours. La Suisse a tout juste deux semaines de retard par rapport à cette évolution.

Selon Didier Trono, la Suisse compte un nombre de cas élevé car les mesures sont trop laxistes.
Photo: Eddy Mottaz / Le Temps

Donc, au nouvel an, le variant Omicron sera également dominant en Suisse?
Je ne peux pas le dire aussi précisément. Mais cela pourrait être bientôt le cas. A Zurich, 10 à 15% de tous les cas sont actuellement dus au variant. Dans d’autres cantons, c’est un peu moins.

Omicron, c’est LE super-variant?
Nous ne savons encore que très peu de choses sur le variant Omicron. Mais cela va changer rapidement s’il devient dominant. Quels sont les symptômes du virus? Qui est infecté? Qui se retrouve à l’hôpital? Nous devrions bientôt avoir des réponses à ces questions.

Certains estiment que le variant Omicron est une bénédiction. Hautement contagieux, mais sans réel danger. Ces personnes espèrent que cela permettra d’atteindre l’immunité collective.
Oui, j’appelle cela le «scénario de Walt Disney»: une belle histoire, quelque chose qui fait rêver. Mais la réalité est autre. En Grande-Bretagne, le nombre de cas a explosé il y a quelques jours seulement, et les chiffres des hôpitaux et des décès arrivent avec deux semaines à un mois de retard. Nous devons encore attendre avant de pouvoir évaluer sa dangerosité. Le variant Omicron est en outre très différent du variant Delta. Personne ne sait si une infection au variant Omicron protège contre d’autres formes du virus.

Mais jusqu’à présent, les cas connus en Afrique du Sud sont surtout bénins.
Là-bas, la population est beaucoup plus jeune qu’en Suisse, et les jeunes tombent généralement moins gravement malades que les personnes âgées. Il est de toute façon difficile de comparer les pays. Un autre critère décisif est l’immunité de la population: combien de personnes ont déjà été infectées, vaccinées et avec quel vaccin? De ce point de vue, la Suisse n’est pas un élève modèle.

Que voulez-vous dire par là?
Chez nous, un habitant sur quatre n’est pas vacciné. Cela représente 25%! De plus, la protection vaccinale diminue fortement après quelques mois chez ceux qui n’ont reçu que deux doses. Le virus se propage donc davantage dans notre population que si nous avions un taux d’immunisation optimal.

On propose tout de même la troisième dose.
Oui, mais nous avons commencé trop tard à accélérer la campagne de vaccination. Les données scientifiques indiquent qu’il ne faut pas attendre six mois après la deuxième dose. Après trois ou quatre mois, comme c’est le cas dans d’autres pays, une troisième dose est indiquée. Chez les personnes âgées en particulier, la protection vaccinale diminue fortement bien avant le délai des six mois. Cette catégorie de la population doit être particulièrement protégée. J’attends avec impatience de voir ce que le Conseil fédéral aura à dire à ce sujet vendredi.

Êtes-vous favorable à la vaccination obligatoire?
Vos lecteurs les plus âgés se souviennent certainement des images des campagnes de vaccination de masse contre la polio. Autrefois, la poliomyélite était un énorme problème. Aujourd’hui elle est éradiquée dans de nombreuses régions du monde. Je ne souhaite pas que la vaccination soit obligatoire. Mais tant que plus de 20% de la population n’est pas vaccinée, cette mesure semble nécessaire.

Le Conseil fédéral est connu pour être plutôt attentiste en matière de gestion de la pandémie. Il ne pourrait pas faire autrement, il doit prendre en compte les nombreux groupes d’intérêts.
Notre système est fantastique en temps de paix. Mais nous sommes dans une situation d’urgence. La Confédération et les cantons continuent de danser leur tango habituel, mais ne sont pas du tout dans le rythme. Il y en a toujours un qui trébuche. Résultat, d’une part, nous avançons lentement et, d’autre part, nous ne sommes pas du tout coordonnés. Dans le canton X, le port du masque est obligatoire dans les boîtes de nuit, dans le canton Y non. Ce n’est pas possible. Trop de politiciens ne réfléchissent pas en termes d’intérêt général, mais plutôt à comment ils peuvent se profiler.

Peut-on donc vraiment faire confiance à aux politiciens?
Nous devrions essayer ensemble de prendre les bonnes décisions avant que la politique ne doive le faire. Cela implique de garder ses distances et de suivre les autres règles sanitaires. Mais la vaccination est la seule porte de sortie de cette pandémie. Et on sait déjà que le booster augmente très nettement la protection contre le variant Omicron, bien qu’il soit très différent de Delta. Il y a d’ailleurs d’autres phénomènes encourageants.

Lesquels?
Le coronavirus ne peut pas se modifier indéfiniment sans en payer le prix. Comme le virus est d’origine animale, il a accumulé des mutations qui lui ont permis, au début, de s’adapter à l’espèce humaine. Par la suite, notre système immunitaire a commencé à se renforcer et à le combattre. Pour surmonter ces obstacles, le virus doit faire des concessions. Celles-ci peuvent conduire à une diminution de la dangerosité. C’est comme pour le ski. Si tu peux tracer jusqu’en bas de la montagne, tu es plus rapide que si tu dois faire un slalom. Dans le cas du Covid-19, le vaccin sert de piquets pour freiner le développement du virus.

Cela signifie que soit le virus sera plus mortel à l’avenir, soit il sera plus contagieux, mais pas les deux en parallèle?
Le critère décisif pour un virus est l’efficacité avec laquelle il se propage. Un virus qui tue trop rapidement, comme Ebola par exemple, se propage moins bien.

Mais devrons-nous nous faire vacciner tous les trois mois pendant toute notre vie afin de nous protéger?
Non, je ne le pense pas, et ce pour deux raisons: premièrement, comme je l’ai déjà dit, le virus ne mutera pas éternellement. Le coronavirus n’est pas comme la grippe, contre laquelle nous développons une immunité, qui retourne dans le règne animal, avant de se réinventer complètement et de nous attaquer à nouveau. Le SARS-CoV-2 est beaucoup plus «stupide» à cet égard, il évolue simplement par mutation, avec probablement un nombre limité de possibilités. Ceci est en quelque sorte prouvé par le variant Omicron, dont la plupart des mutations ont déjà été vues dans d’autres variants, mais jamais ensemble.

Et la deuxième raison?
C’est normal que trois doses d’un vaccin soient nécessaires. Il y a d’abord la primo-vaccination, puis le rappel et enfin la consolidation. C’est pourquoi, même pour les vaccins que l’on administre habituellement aux enfants, trois piqûres sont souvent nécessaires.

Après le booster, sera-t-on donc tranquille?
Je ne sais pas. Peut-être faudra-t-il encore une quatrième dose, une sorte de cocktail contre les différentes formes du virus. Ce que je sais, c’est que cela fonctionne comme si notre système immunitaire est une maison avec des trous dans le toit et que le Covid-19 est la pluie. Les trous, on peut les boucher. Un jour, nous les aurons tous bouchés et nous ne serons plus mouillés, quelle que soit l’intensité de la pluie. Je voudrais donc dire aux gens: faites-vous vacciner. Et restez optimistes. Le Covid-19 aura épuisé sa capacité à contourner notre système immunitaire plutôt tôt que tard.

Que souhaiteriez-vous dire au Conseil fédéral, qui décide aujourd’hui des nouvelles mesures?
Le temps n’est plus aux discussions théoriques et aux consultations interminables, mais à des prises de décisions claires et tranchées, facilement compréhensibles par la population, même si elles paraissent gênantes. C’est pourquoi je souhaite que le Conseil fédéral adopte des mesures strictes à l’échelle nationale et, le cas échéant, qu’il apporte aux cantons le soutien logistique nécessaire pour accélérer leur mise en œuvre. À commencer par l’accélération des campagnes de vaccination. Et j’espère vivement que les partis politiques ou les intérêts des entreprises cesseront de s’immiscer dans le processus sous prétexte de la «liberté individuelle». Pour moi, l’un des premiers droits qu’une démocratie devrait garantir est la possibilité d’être en bonne santé pour tous. Et c’est précisément ce qui est mis en danger par des écarts, que ce soit par l’absence d’une stratégie claire, par des défauts structurels qui empêchent sa mise en œuvre ou, pire encore, par l’exploitation des faiblesses du système politique par des groupes d’intérêts privés.

(Adaptation par Jessica Chautems)

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