L'économiste Jan-Egbert Sturm analyse la force de l'économie suisse
«Renchérissement plus faible, franc fort, retenue sur les salaires»

L'économie mondiale s'affaiblit, mais l'économie suisse est une fois de plus robuste. L'économiste Jan-Egbert Sturm explique pour Blick quelles en sont les raisons – et où se cachent les dangers. Interview.
Publié: 24.03.2024 à 08:07 heures
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Christian Kolbe

Peu de gens connaissent l'économie suisse aussi bien que le Néerlandais Jan-Egbert Sturm, directeur du Centre de recherches conjoncturelles (KOF) de l'EPFZ. Ses prévisions et celles de son institut ont un poids important. Mais même Jan-Egbert Sturm ne peut pas toujours tout prévoir. Surtout lorsque la Banque nationale suisse (BNS) déjoue les augures et qu'elle est la première banque centrale importante à avoir annoncé un changement de taux, comme ce fut le cas jeudi.

Très honnêtement, vous attendiez-vous à cette baisse des taux?
Nous en avons discuté en interne, mais nous ne pensions pas que c'était le scénario le plus probable. Même si l'inflation a très nettement reculé en Suisse et que l'industrie suisse ne se porte pas bien, l'hypothèse était que la BNS continuerait d'agir de manière conservatrice. Nous avons supposé qu'elle attendrait d'abord de voir quelle voie la Fed (ndlr: la banque centrale des États-Unis) et la Banque centrale européenne allaient emprunter.

La BNS est à l'avant-garde du changement de cap en matière de taux d'intérêt. Que font la Suisse et sa Banque nationale mieux que les autres?
Le renchérissement en Suisse a été nettement plus faible que dans les pays voisins. Grâce aussi au franc fort, qui a contribué à ce que le renchérissement des importations – par exemple pour les livraisons d'énergie – soit plus faible. La retenue dans les négociations salariales a certainement aussi aidé. En Suisse, nous savons que nous ne pouvons pas compenser immédiatement les hausses de prix dans leur intégralité. Les fluctuations des prix sont plus rapides que les augmentations de salaire. Mais c'est assurément un problème pour certaines personnes d'avoir aujourd'hui moins d'argent dans leur porte-monnaie en termes réels qu'il y a deux ans.

L'économiste Jan-Egbert Sturm est très demandé lorsqu'il s'agit de traiter de sujets conjoncturels.
Photo: Siggi Bucher
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Mais c'est mauvais pour le moral des consommateurs?
Nous constatons une certaine réticence à acheter de nouveaux biens plus importants comme des machines à laver ou des voitures. Mais si l'on regarde les chiffres de près, cela reste vraiment limité. Nous constatons que la consommation évolue de manière relativement stable.

Les prochaines prévisions conjoncturelles du KOF sont prévues pour mardi. Comment se porte fondamentalement l'économie?
Les impulsions économiques pour la Suisse en provenance de l'étranger ne sont pas très bonnes. Certes, l'économie aux Etats-Unis et aussi en Asie se porte un peu mieux que ce que la plupart des économistes attendaient il y a encore quelques mois. Mais ce n'est pas le cas en Europe. Là, nous sommes vraiment inquiets.

Pour l'Allemagne aussi?
Oui, c'est vrai. Il n'y a pas que l'industrie automobile, qui est en plein changement structurel, ou l'industrie lourde qui ont des problèmes. C'est toute l'économie allemande qui s'affaiblit. Même le secteur de la construction ne va pas bien. Les consommateurs sont très réticents, ils préfèrent économiser plutôt que de consommer. Tout cela s'additionne pour former une petite récession en Allemagne.

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«Le renchérissement en Suisse a été nettement plus faible que dans les pays voisins.»
Jan-Egbert Sturm, économiste
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Qu'est-ce que cela signifie pour la Suisse?
Même si nous avons été surpris par la faiblesse des investissements en Suisse, l'économie suisse est globalement assez solide. Toutefois, elle est divisée en deux: dans le secteur des services, tout va plutôt bien. En revanche, l'industrie est fortement dépendante de la conjoncture allemande et internationale. De plus, une sorte de normalisation est en train de s'opérer dans le secteur pharmaceutique, le boom post-Covid s'est estompé. Il n'était pas possible de continuer au niveau des années 2021/22.

Cela vaut aussi pour l'ensemble de l'économie mondiale?
Oui, nous avons également assisté à un boom industriel au niveau mondial dans les suites de la pandémie. Au début, il y a eu de nombreux problèmes d'approvisionnement. Les entreprises ne pouvaient pas livrer les clients à la vitesse souhaitée. Maintenant, tout a été livré, cette phase de boom est clairement terminée.

Par conséquent, la demande de machines suisses aussi?
La demande n'est pas aussi forte que l'industrie le souhaiterait. Malgré tout, la Suisse est encore relativement bien placée en matière d'exportation. La Suisse a gagné des parts de marché par rapport à d'autres pays. C'est une bonne performance dans le contexte mondial actuel.

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«En Suisse aussi, l'industrie est en récession.»
Jan-Egbert Sturm, économiste
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Malgré tout, les rides d'inquiétude sont profondes dans l'industrie. A juste titre?
Les inquiétudes de l'industrie sont justifiées. Les entreprises ont honoré les commandes existantes. Mais les nouvelles commandes font désormais défaut et les marges diminuent. En Suisse aussi, l'industrie est en récession.

C'est pour cela qu'il y a moins d'investissements?

Oui, de nombreuses entreprises en Suisse financent leurs investissements à partir des bénéfices non distribués. Si ceux-ci baissent, l'argent manque pour investir dans l'avenir. Le franc fort joue également un rôle. Mais le manque de demande globale et l'incertitude quant à l'évolution de l'économie mondiale sont plus importants. Tout cela conduit à une retenue dans les investissements.

La consommation et les services se portent bien, l'industrie faiblit. Qu'est-ce que cela signifie pour le marché du travail?
Le marché du travail reste robuste, surtout grâce au secteur des services. Il est toutefois moins en surchauffe. Le chômage n'augmentera que très peu. Car les entreprises ont appris pendant la pandémie qu'il faut faire attention à ne pas licencier trop vite. Car les personnes licenciées manqueront ensuite lors de la reprise, lorsque le creux de la vague sera passé.

La Suisse est-elle bien positionnée pour le changement par l'intelligence artificielle (IA)?
Oui, la Suisse est prête pour l'ère de l'IA. Nous vivons dans un pays doté d'une grande force d'innovation et d'un capital humain important. Le niveau de formation et de connaissances de la population est très élevé. Mais cela ne signifie pas que tout se déroulera sans friction. Le rythme pourrait même être trop élevé pour la Suisse.

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