L'économiste Thomas Straubhaar
«Nous devrions abolir l'impôt sur les sociétés»

La pandémie a mis à mal notre système économique classique de marché ouvert, malgré des aides massives de la part des États. Selon l'économiste allemand Thomas Straubhaar, le revenu de base inconditionnel via l'impôt négatif sur le revenu serait une solution efficace.
Publié: 28.08.2021 à 05:58 heures
Dans son nouveau livre, l'économiste Thomas Straubhaar appelle à un revenu de base inconditionnel. Il déclare: "La pandémie a montré que l'ancien système n'était plus fiable."
Photo: Lars Berg/laiflaif
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Rebecca Wyss, Alexandre Cudré (adaptation)

La pandémie a montré que l’État seul ne peut garantir la sécurité de tous, notamment financière. Avec le confinement, beaucoup d'indépendants et de travailleurs de PME se sont retrouvés en difficulté financière malgré les milliards d’aide publique. Cela n’est pas sans conséquences. En juin, une initiative pour le revenu de base inconditionnel a été lancée à Zurich, portant le doux nom de «Projet pilote scientifique de revenu de base» (Wissenschaftlicher Pilotversuch Grundeinkommen).

Le but de l’expérience? Offrir à près de 500 personnes un revenu de base pendant trois ans. Dans son livre «Le revenu de base, c’est maintenant!» (Grundeinkommen jetzt!), l’économiste Thomas Straubhaar appelle à un changement de système pour l’ensemble de la société.

Pour quelle raison sortez-vous un livre sur le revenu de base inconditionnel?
Thomas Straubhaar: Principalement à cause du coronavirus. Les travailleurs du domaine de la culture, les petites et moyennes entreprises et les indépendants ont été confrontés à la ruine économique du jour au lendemain. Ils avaient pourtant parfaitement suivi le petit manuel de l’économie de marché, mais cela n’a pas suffi. Il y a un problème.

L’économie se redresse pourtant bien en ce moment…
La Suisse est heureusement suffisamment riche pour pouvoir réagir à court terme par des aides publiques généreuses. À l’avenir, d’autres crises telles que des vagues de chaleur, des inondations, l’augmentation de la cybercriminalité ou même les conséquence de la politique économique internationale de la Chine remettront à nouveau notre système économique en question. Réagir sans préparation et de manière purement réactive à tous ces problèmes n'est pas suffisant.

Que proposez-vous?
Nous avons besoin d’une grande réforme fiscale, basée sur l’impôt négatif sur le revenu.

C’est-à-dire?
L’État transférerait un revenu de base à tous les citoyens. La même somme pour tous. Pour le financer, chaque individu payerait des impôts sur ses propres revenus comme sur le capital, les loyers, les baux et les dividendes. La charge nette resterait négative pour certaines personnes, qui payeraient moins d'impôt que la somme d'argent allouée par l'État. Les plus pauvres gagneraient alors au change.

À quoi cela ressemblerait-il dans la vie quotidienne?
Prenons un taux d’imposition imaginaire de 50%. Une personne qui gagne 4000 francs par mois payerait donc 2000 francs d’impôts. En même temps, elle recevrait de l’État un revenu de base — une somme fixe — de 2000 francs et disposerait à nouveau de 4000 francs par mois. La situation s’équilibrerait ici. Mais pour une personne avec un revenu mensuel de 10’000 francs, elle disposerait, après déduction des impôts et de l’ajout du revenu de base, d'une somme de 7000 francs. La première personne ne payerait en pratique plus d’impôts, la seconde 30%. Ceux qui gagnent plus paient plus alors d’impôts. Ce système est juste.

Un taux d’imposition particulièrement élevé! Que répondez-vous à ceux qui ont investi longtemps dans leurs études et qui gagnent maintenant bien leur vie?
Il faut avoir une vue d’ensemble. À l’avenir, des quantités d’emplois seront perdus à cause des évolutions technologiques actuelles, notamment ceux des caissiers, des contrôleurs de billets, des ouvriers d’usine, etc. L’État me paie un congé sabbatique tous les cinq ans pour parfaire ma formation — pas pour eux. Ce sont eux qui auraient le plus besoin de repartir faire des études, par exemple sous forme de formation continue, pour retrouver un autre travail plus adapté. Mais ils ne peuvent pas se le permettre car ils doivent nourrir leur famille. Ils ne peuvent pas non plus travailler à temps partiel. Le revenu de base répond à leurs problèmes.

Les hauts salaires ne risquent-ils pas de quitter le pays?
Les recherches montrent que les gens sont prêts à payer des impôts plus élevés si le pays est politiquement sûr, avec une criminalité faible, un système scolaire et de soins bons et que l’air est propre. Où devraient-ils aller pour avoir tout ça ailleurs qu’en Suisse? Dans quel autre pays trouvez-vous d’aussi bonnes conditions qu’ici?

Vous écrivez que le système actuel désavantage les femmes par rapport aux hommes. Comment votre modèle change-t-il cela?
Pour une femme, avoir un enfant est le plus grand risque économique possible et signifie une perte très importante de revenus. Mon modèle rend la maternité attrayante. Contrairement à l’initiative sur le revenu de base de 2016, dans mon modèle, les enfants et les adultes reçoivent le même revenu de base. Avec l’argent destiné à l’enfant, les parents peuvent financer une place en crèche.

Passons maintenant à l’impôt sur les sociétés. Vous demandez des choses radicales…
Comment ça? Les impôts sur les sociétés sont contre-productifs, nous devrions les abolir. Les entreprises se contentent de compenser la perte creusée par les taxes en augmentent les prix de vente et en faisant pression sur les fournisseurs, qui finirent par payer moins cher leurs employés. Au final, les impôts sur les sociétés sont répercutés sur les maillons les plus faibles de la chaîne économique.

Qui subit ces pressions, concrètement?
La classe moyenne, par exemple, qui est souvent propriétaire et qui ne peut pas simplement déplacer sa maison dans une autre commune où les impôts sont moins élevés en cas d’augmentation soudaine.

Comment l’État pourrait-il financer ce projet?
Avec un impôt à la source sur toute la chaîne de valeur ajoutée. Toute valeur que Nestlé crée, par exemple, devrait être imposée au moment où elle quitte l’entreprise. Qu’il s’agisse du salaire du concierge, du directeur du conseil d’administration ou des dividendes des actionnaires saoudiens.

Que pensez-vous de l’impôt minimum prévu par l’OCDE pour les grandes entreprises, qui sera contraignant pour la Suisse?
Je suis contre. Il n’y a aucune raison économiquement sensée de taxer les entreprises.

Quelle est votre position sur l'«initiative 99%» des Jeunes socialistes, qui veut taxer plus lourdement le capital?
Tous les revenus, qu’il s’agisse de ceux du travail ou du capital, doivent être imposés à la source au même taux.

Pourquoi ne pas taxer plus lourdement le capital?
Cela risque plutôt de provoquer des stratégies pour cacher ou écouler son argent, comme l’évasion fiscale. Les gens se contenteraient de ne pas déclarer cet argent comme revenu du capital et le feraient juste passer en douce de manière détournée auprès du fisc.

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