L'Italie vient de l'interdire
Des agriculteurs UDC s'élèvent contre la viande fabriquée en labo: «il faut agir!»

Est-il trop tôt pour légiférer sur la viande de synthèse? Pas pour l'Italie, qui vient de l'interdire. Au moins trois élus nationaux de l'Union démocratique du centre (UDC), paysans, veulent agir. Le «steak de labo», qui pourrait être vendu en Suisse dès 2030, inquiète.
Publié: 21.11.2023 à 06:06 heures
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Dernière mise à jour: 21.11.2023 à 10:12 heures
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Lucie FehlbaumJournaliste Blick

Pour certains, il s'agit d'un «produit Frankenstein». Pour d'autres, de la meilleure manière d'apprécier le goût de la viande, sans payer le prix écologique de l'élevage. La viande produite en laboratoire, à partir de cellules de tissus animaux, n'est pas encore autorisée au sein de l'Union européenne (UE). Mais l'Union démocratique du centre (UDC) veut déjà légiférer. Et plus particulièrement ses élus agriculteurs et éleveurs.

C'est l'Italie qui fait figure de pionnière. Invoquant des préoccupations sanitaires et la nécessité de préserver ses éleveurs, le parlement de la Botte a interdit, jeudi 16 novembre, la production et la vente de viande de synthèse. Le ministre de l'Agriculture, Francesco Lollobrigida, beau-frère de la première ministre d'extrême-droite Georgia Meloni, et l'un de ses plus fidèles conseillers, s'est réjoui du vote de jeudi.

«Ça m'a retourné les tripes»

Ici aussi, la nouvelle inspire. «Bravo aux Italiens!», salue Didier Calame. Le conseiller national UDC, fraîchement élu, est agriculteur et éleveur bio aux Planchettes (NE). Fin juillet dernier, la nouvelle que de la viande de labo pourrait être vendue à la Migros en 2030 lui avait «retourné les tripes». Contacté par Blick lundi 20 novembre, l'élu est catégorique: il va «directement prendre ça en main».

Didiel Calame (NE), Pierre-André Page (FR) et Jacques Nicolet (VD), conseillers nationaux UDC, s'opposent à la production de viande de synthèse en Suisse.
Photo: KEYSTONE/DR

«Comme producteur de viande, je trouve que c’est une concurrence déloyale, juge le Neuchâtelois. Et puis, je doute de la qualité sanitaire de ces produits et de l’éthique de leur fabrication. C'est un sujet sur lequel on doit se pencher pour éviter ces micmacs de laboratoires», s'inquiète l'agriculteur bio.

Un steak «produit chimique»

D'une part, l'élu à la chambre basse ne comprend pas le but d'une telle production: «On interdit les OGM, les produits phytosanitaires, mais cette viande, c'est un produit chimique... Les mentalités sont tournées vers les produits sains, et on veut manger de la bouffe sortie d'un labo?»

Dans une boîte de Pétri flottent de minuscules morceaux de viande de bœuf fraîche à partir desquels sont extraites des cellules souches, photographiées dans le laboratoire de Mirai Foods en 2021 dans le canton de Zurich. Il s'agit de recherche en biotechnologie.
Photo: Keystone

D'autre part, et cela rejoint l'idée de protection des paysans, Didier Calame précise qu'il «produit de la viande de haute qualité, noble. Comment est fabriquée celle de synthèse?», questionne-t-il.

Trop tôt pour interdire

Deux de ses collègues de parti l'ont fait avant lui, mais peut-être prématurément? Dans tous les cas, avant la décision italienne. En avril dernier, le National fribourgeois Pierre-André Page, interpellait le Conseil fédéral. Maître agriculteur, l'UDC demandait aux sept sages d'interdire la production, en Suisse, de viande artificielle et d'en prohiber l'exportation.

Réponse: il est trop tôt. À l'époque, aucune demande d'autorisation n'avait été déposée chez nous. Le Conseil fédéral estimait donc qu'interdire cette technologie à titre préventif «représenterait une mesure non nécessaire et disproportionnée».

Consommateurs suisses tentés

Mais voilà. Entre-temps, les choses ont évolué, et vite. En juillet, la première demande est apparue, celle de la start-up israélienne Aleph Farms. C'est elle qui produit les steaks de synthèses qu'on pourrait acheter sur les étals de la Migros. Le géant orange a en effet investi dans l'entreprise et ensemble, ils ont sondé la population suisse. Résultat: près de 74% des consommateurs seraient intéressés.

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C'est loin d'être le cas de Jacques Nicolet, lui aussi élu UDC au National et agriculteur. Le Vaudois, dans une initiative déposée en juillet à la chambre basse, parle d'agriculteurs «inquiets». Non sans humour, il évoque la nourriture artificielle dans «L'aile ou la cuisse», contrastant avec «l'inquiétante réalité» d'aujourd'hui.

Lui exige des règles et un encadrement clair de la production de denrées de synthèse, élargissant la problématique notamment aux produits laitiers. «Donc oui, il faut agir et nous le faisons», tranche-t-il dans un SMS à Blick. Son texte est étudié en commission.

D'abord dans les restaurants gastronomiques?

Concrètement, l'entrecôte artificielle n'arrivera pas demain dans nos assiettes. Même si «2030, c'est demain», corrige Didier Calame. En Suisse, Aleph Farms attend l'accord de l'Office fédéral de la sécurité alimentaire.

Un plat de poulet poussé dans un laboratoire, en dégustation en juillet 2023 dans un bistrot-boucherie de Singapour, premier pays à avoir autorisé la vente de viande de synthèse.
Photo: Keystone

Selon le porte-parole de la Migros, interrogé l'été dernier par les médias au moment du dépôt de la demande, la viande de synthèse sera probablement d'abord servie par des restaurants haut de gamme. Il avançait alors l'horizon 2030 pour les supermarchés.

En Italie comme partout en Europe, la viande produite en laboratoire à partir de cellules souches n'est pas autorisée à la vente. Aux États-Unis, les autorités sanitaires ont donné le feu vert à la «fausse viande» en juin 2023. Ce qui a fait bondir le nombre d'investisseurs.

Le burger ne coûte plus 330'000 francs

Et si jamais vous vous posiez la question, non, la viande de synthèse n'est plus si chère. En 2013, le tout premier hamburger créé en labo coûtait près de 330'000 francs. L'évolution et l'échelle des moyens de production a baissé son prix à environ... 9 francs. Plus de 70 compagnies s'essayent à «l'élevage» de viande artificielle.

Un potentiel marché juteux, que la Suisse observe avec gourmandise. En juin dernier, Pierre-André Page revenait à la charge avec une motion déposée au National. La réponse du Conseil fédérale, donnée en août dernier, est substantiellement la même que la première. À l'exception de cette dernière notion: «L’économie suisse serait pénalisée si de tels produits venaient à être importés et mis sur le marché par des entreprises étrangères, au lieu d’être fabriqués en Suisse.»

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