Locataires, défendez-vous!
Voilà comment éviter de se faire (trop) avoir par les hausses de loyer

Deux hausses en huit mois: les locataires tirent la langue. L'Association suisse des locataires encourage vivement à se défendre. Tout le monde n'est pas concerné par ces hausses! Interview avec l'avocat Christian Dandrès pour y voir clair dans ce brouillard juridique.
Publié: 11.12.2023 à 11:44 heures
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Dernière mise à jour: 11.12.2023 à 14:06 heures
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Lucie FehlbaumJournaliste Blick

C'est un peu diabolique ces questions de calcul. Tout le monde le pense en découvrant que la hausse des taux de référence aura un impact direct sur son loyer déjà trop cher. Christian Dandrès, avocat à l'Association suisse des locataires (ASLOCA) le pense également.

L'ASLOCA a mis en ligne un calculateur très simple. Si vous avez votre contrat de bail et votre adresse en tête, vous y découvrez en 15 secondes si vous êtes impactés ou si, surprise, vous avez le droit à une baisse de loyer. Tout cela étant lié à la hausse du taux hypothécaire.

Le défenseur des locataires traduit ici ce concept rébarbatif, mais essentiel à comprendre pour savoir se défendre. Au nom de quoi les loyers augmentent encore? Qui est concerné? Vous saurez tout à la fin de cette interview. Surtout, le conseiller national socialiste veut faire passer un message: défendez-vous! Vous n'obtiendrez peut-être pas tout ce que vous voulez, mais vous vous ferez (probablement) moins avoir qu'en ne faisant rien du tout.

Avocat à l'Association suisse des locataires, conseiller national socialiste, Christian Dandrès décrypte la hausse des taux de référence. Plus on en sait, moins on se fait avoir!

Christian Dandrès, pourquoi les loyers vont-ils encore augmenter?
Le principe de base, c'est que la personne qui achète un appartement ou un immeuble fait un placement. Elle a le droit à un intérêt sur l'argent qu'elle a placé. Le Tribunal fédéral a posé une règle en prenant comme point de comparaison une banque, qui fait un prêt hypothécaire. Le propriétaire a le droit de faire 2% de plus qu'une banque.

Pour l'instant, je vous suis.
S'ajoutent à cela deux facteurs, une fois le bail signé. D'abord, l'inflation. Ensuite, les charges d'exploitation de l'immeuble. Le propriétaire qui loue un appartement, en plus de l'intérêt en lien avec le taux hypothécaire, peut indexer une partie de l'argent qu'il a placé dans l'immeuble. C'est 40% de l'indice suisse des prix à la consommation. Ensuite, si ses frais d'exploitation augmentent (frais d'entretien, taxes ou primes d'assurance), il peut répercuter la hausse. À condition qu'il puisse la démontrer. Concernant les taux d'intérêt, on utilise aujourd'hui un taux lissé sur la moyenne des hypothèques en Suisse. Au total, le loyer ne devrait jamais offrir au bailleur un rendement supérieur à 2%.

C'est plutôt généreux pour les propriétaires?
C'est une décision politique très généreuse pour les bailleurs. Je ne sais pas vous, mais moi sur mon compte épargne je n'ai ni intérêt, ni indexation.

Les augmentations craintes par les Suisses ne dépassent-elles pas les 2%?
C'est là le problème. Chaque fois que le taux hypothécaire augmente d'un quart de point (0,25%), le bailleur peut notifier une hausse de 3%. C'est ce que dit une ordonnance du Conseil fédéral. Le taux est passé de 1,25% à 1,5% en juin, puis de 1,5% à 1,75% en décembre. C'est un problème majeur. En moins de huit mois, les locataires concernés doivent supporter 6% d'augmentation de loyer, en plus des 40% d'inflation, le tout dans un contexte de
hausse des prix à la consommation et des primes d’assurance maladie. Ça fait beaucoup!

Le très simple calculateur en ligne de l'ASLOCA.
Photo: DR

Qui est touché par cela? D'après le calculateur, certains auraient droit à des baisses de loyer?
Pour savoir si l'on est touché ou non, il faut prendre le taux qui était en vigueur au moment de la signature du bail, ou quand le loyer a changé pour la dernière fois et faire la comparaison avec le taux actuel. Pour les annonces récentes, deux groupes sont concernés. Ce sont les locataires dont le loyer a été fixé pour la dernière fois depuis mars 2020 pour la hausse du taux annoncée en juin. Et les locataires dont le loyer a été fixé pour la dernière fois en juin 2017 pour celle annoncée en décembre 2023. Il faut regarder quel était le taux de référence pour votre bail pour voir si vous êtes impactés par la hausse du taux actuelle. C'est ça le système.

Et pour ces baisses?
Si vous avez conclu un contrat dans les années 1990, où les taux d'intérêt étaient par exemple à 7% en 1992, évidemment qu'aujourd'hui, vous auriez droit à une baisse. C'est ce que montre le calculateur en ligne de l'ASLOCA. Il compare le taux applicable à votre bail et le taux actuel. Si vous avez des baux plus anciens que 2017, vous auriez droit à une baisse de loyer!

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«Les bailleurs fixent toujours les loyers sur les règles du marché, au niveau le plus élevé qu'ils peuvent obtenir.»
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Mais dans le climat actuel, qui va oser demander? Les gens ont peur de leurs régies...
C'est un gros problème. Et dans les grandes agglomérations, aucun bailleur ne se limite au 3,75% de rendement qu'ils obtiennent avec la hausse des taux. Ils fixent toujours les loyers sur les règles du marché, au niveau le plus élevé qu'ils peuvent obtenir, se basant sur les locataires qui ont le meilleur salaire. Le marché est un marché de pénurie.

Est-il possible d'agir sur le tard?
C'est là où le bât blesse. Au début du contrat, il est possible de contester le loyer dans les trente jours après la remise des clefs et de demander ce calcul de rendement. Un juge va fixer le loyer au niveau de ce rendement de 3,75%. Mais après 30 jours, votre loyer est considéré comme «pas abusif», même s'il l'est, si vous n'avez rien fait. Les augmentations qui arrivent par la suite ajoutent de l'abus à l'abus et ponctionnent lourdement les ménages. En Suisse, 400'000 baux sont conclus en moyenne par année. À peine 1200 personnes contestent le loyer en moyenne par an. C'est rien. Ça vaut la peine de faire des check-ups, car si le bailleur a fait une erreur dans les documents qu'il a remis au début du bail, il est possible d'agir sur le tard.

Mais ça ne sert donc à rien d'essayer d'obtenir une baisse, même si on y a droit? C'est peine perdue?
Non. Si vous découvrez sur le calculateur en ligne que vous avez le droit à une baisse, envoyez la lettre (qui s'auto-génère, ndlr) à la régie. Si le bailleur s’y oppose, il faut saisir la
commission de conciliation. Le bailleur a souvent de la peine à justifier son refus. Quand l'immeuble est récent, c'est-à-dire moins de trente ans, c'est facile de faire un calcul de rendement. Mais ce n’est pas peine perdue dans les autres cas également.

Par exemple, quand l'immeuble est plus vieux?
Le Tribunal fédéral utilise un critère alternatif, le «loyer en usage dans le quartier». Si votre bailleur vous répond que votre loyer ne correspond pas aux loyers en usage dans le quartier, il doit le démontrer, ce qui n’est pas simple pour lui. Autre cas, le bailleur vous notifie une hausse. Vous pouvez vous y opposer en disant «oui, il y a une augmentation du taux d'intérêt hypothécaire, mais néanmoins mon loyer de base est déjà abusif». C’est même alors possible de
retourner le critère du loyer en usage contre le bailleur si le contrat a été conclu récemment. Le bailleur invoque presque toujours ce critère. Or, l’usage ne change pas en quelques mois.

Une procédure, ça n'est pas un peu lourd?
Si, il y a une dimension psychosociale qui fait qu'on a rarement envie de faire tout cela. Et puis dans beaucoup de cantons, le tribunal n'est pas gratuit. La plupart des contestations sont faites à Zurich, Genève, Vaud et Bâle. Mais on insiste très vivement les locataires à le faire. Au moins à envoyer la lettre. En faisant cela, le locataire ouvre une période de conciliation. On arrive déjà à négocier beaucoup de choses avec le bailleur, ou à atténuer la hausse, et si vraiment, c'est impossible de l'atténuer, à l'échelonner. Dans presque tous les cas, le locataire sort gagnant à la fin.

Christian Dandrès, avocat à l'ASLOCA depuis plus de quinze ans.
Photo: KEYSTONE

Et les locataires qui ont peur de représailles de leur régie?
La protection de la loi est excellente, pour le moment. Après une procédure en justice, le bailleur ne peut pas résilier le contrat de bail. La protection est absolue dans une période de trois ans après la procédure. Après trois ans, elle est excellente, mais pas absolue. Lorsque le bailleur est un petit propriétaire, une personne physique, il peut vous opposer le besoin personnel et urgent d'un proche, mais ce critère est admis très restrictivement par le tribunal. Le parlement fédéral veut élargir cette possibilité à un simple besoin personnel, qui n'aurait plus besoin d'être impérieux et urgent pour résilier le contrat de bail: ça serait un vrai problème. L’ASLOCA a lancé un référendum.

Mais la plupart des propriétaires sont de grandes entreprises, qui d'ailleurs ne sont pas impactés par les taux hypothécaires…
En effet, UBS, Swiss Life ou Allianz par exemple font beaucoup d'investissements immobiliers. Le modèle financier qui sert à la base de toute cette norme est en décalage total avec la réalité des immeubles puisqu'ils investissent quasi toujours 100% de fonds propres quand ils achètent. Pourtant, ils ont le droit à ce rendement, au détriment des locataires. Par contre, ces grosses structures n'ont pas de besoins personnels et urgents. Le risque de représailles est absolument nul.

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«À Genève, c'est quasi impossible d'obtenir un appartement sans piston.»
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Les locataires sont-ils un peu paranos?
Je n'ai jamais vu de représailles de la part de ces propriétaires-là. Une personne physique peut être un peu belliqueuse. Mais les assurances ou les banques sont dans une logique de masse. Le CEO de Swiss Life a annoncé en juin qu'ils augmenteraient les loyers de 21'000 logements. Ils ne peuvent pas faire la chasse à la sorcière des locataires qui contestent les hausses. Ils savent qu'une minorité s'y opposera, ils négocieront et entre-temps, ramasseront les loyers de tous ceux qui n'ont rien dit.

Et ceux qui obtiennent leur logement avec un coup de pouce, sous réserve de ne pas contester?
Il y a des villes où la situation est impossible. À Genève, c'est très difficile d'obtenir un appartement sans piston. Ou même parfois sans piston rémunéré, comme les chasseurs de logements. Les gens se sentent mal de mettre le piston dans l'embarras, ou le piston met la pression pour que la procédure soit retirée. Mais la loi protège les locataires. Faire pression pour empêcher de contester son loyer est une infraction pénale

Que faire pour que cela change?
Il faudrait au moins, tout simplement, que le fait de vérifier que le contrat soit conforme à la loi soit à la charge du bailleur. Pas du locataire. C'est toujours aux locataires d'agir en justice pour obtenir le respect de la constitution. Il y a 2,4 millions de locataires en Suisse. Je ne connais aucun autre domaine où des abus pareils, qui concernent autant de personnes, sont commis impunément.

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