«Ils profitent de la crise!»
Même une élue PLR est favorable à taxer les ogres de l'énergie

Alors que la population paie un lourd tribut à la guerre en Ukraine, les multinationales du pétrole inscrivent des bénéfices record. L'indignation est mondiale et pourrait bien marquer la prochaine session à Berne: des élus jusqu'au PLR demandent une taxe spéciale.
Publié: 05.08.2022 à 07:44 heures
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Dernière mise à jour: 05.08.2022 à 10:12 heures
Sermîn Faki et Thomas Müller

Pendant que les uns meurent, les autres s'en mettent plein les poches. Voilà qui peut paraître cynique, mais c'est pourtant la vérité crue de cette année 2022: grâce à la guerre en Ukraine, les grosses entreprises du secteur des matières premières enchaînent les gains record.

Prenez Exxon: l'ogre américain a réalisé des bénéfices de 17,9 milliards de dollars rien qu'au deuxième trimestre de cette année, soit... 13 milliards de plus qu'il y a un an à la même époque. Pour le britannique BP, les bénéfices ont triplé à 9,3 milliards de dollars au deuxième trimestre.

Même topo pour Glencore: le géant des matières premières basé à Zoug vient d'annoncer un bénéfice record de 12,1 milliards de dollars au premier semestre, un résultat dix fois meilleur que l'an passé. Pas difficile d'en identifier la raison: le charbon atteint des prix record et le commerce de produits énergétique est en plein boom.

La conseillère nationale Anna Giacometti (PLR) veut faire passer à la caisse les géants du pétrole.
Photo: Keystone

Pendant que les actionnaires de Glencore se frottent les mains dans la perspective d'un joli dividende exceptionnel, les locataires et propriétaires du monde entier anticipent, eux, une forte augmentation des frais de chauffage...

Les bénéfices des multinationales du pétrole ont explosé en 2022.
Photo: Blick Graphiques

«Plus d'argent que Dieu»

Ce «trésor de guerre» fait beaucoup de vagues. Le président américain, Joe Biden, estime qu'Exxon et les autres multinationales gagnent «plus d'argent que Dieu», tandis que le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres désigne ces gains comme «immoraux».

Le Portugais de 73 ans demande aux gouvernements d'imposer ces gains de guerre et d'investir cet argent dans le soutien des personnes en danger. Il faut envoyer un message clair à l'industrie pétrolière et à ses bailleurs de fonds pour leur dire que leur cupidité pénalise les personnes les plus pauvres et détruit la planète, a-t-il insisté.

La polémique atteint la Suisse, avec un mot-clé: Windfall Tax. «Lors de notre prochaine assemblée des délégués fin août, nous allons demander que la Suisse introduise cet impôt sur les bénéfices lors des crises», déclare Florian Irminger, secrétaire général des Verts suisses.

Le phénomène n'est en effet pas nouveau, insiste l'écologiste: lors de la crise du Covid, ce sont les groupes pharmaceutiques qui avaient beaucoup profité de la situation. Aujourd'hui, c'est au tour des groupes pétroliers de s'en mettre plein les poches. «Et c'est la collectivité, via des aides économiques durant le Covid et avec l'accueil des réfugiés ukrainiens aujourd'hui, qui paient le prix fort», rappelle Florian Irminger.

La Grande-Bretagne et l'Italie taxent déjà

Le Zurichois de 39 ans annonce que les Verts devraient beaucoup thématiser cet enjeu durant la session d'automne à venir aux Chambres fédérales. Pas pour positionner le parti, mais pour chercher le dialogue avec les autres formations politiques. «Le président du Centre, Gerhard Pfister, a déjà manifesté un intérêt pour le sujet», rappelle-t-il.

C'est tout à fait correct: le Zougois avait adressé au début de l'été une demande au Conseil fédéral pour connaître sa position vis-à-vis de l'introduction d'une éventuelle «Windfall Tax». Le gouvernement lui avait répondu qu'elle n'était pas envisagée, et les discussions en étaient restées là à l'époque. Gerhard Pfister ne voulait alors que connaître la position du Conseil fédéral au cas où cette taxe exceptionnelle devenait un sujet sur la scène internationale.

Ce n'est pas impossible, puisqu'une telle idée est à l'étude du côté de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Florian Irminger estime que les Verts s'inscrivent dans une certaine tendance dans ce dossier. «Le vice-chancelier allemand, Robert Habeck, souhaite un tel impôt, et il a déjà été introduit par d'autres États.»

En Grande-Bretagne, par exemple, tous les bénéfices exceptionnels des groupes pétroliers et gaziers sont désormais imposés à 25%. Au cours de l'année prochaine, les Britanniques espèrent obtenir l'équivalent de 5,8 milliards de francs de recettes supplémentaires. L'Italie aussi taxe déjà ces gains exceptionnels à 25%.

Soutien jusqu'au PLR

Les Verts pourraient trouver une compagne de lutte plutôt inattendue en la personne d'Anna Giacometti. La conseillère nationale PLR grisonne avait, elle aussi, demandé au printemps si le Conseil fédéral voyait une possibilité de taxer les bénéfices extraordinaires des multinationales afin de soulager les consommateurs en Suisse.

Elle aussi a été déçue par le gouvernement, mais elle ne veut pas abandonner. «La réponse du Conseil fédéral est contradictoire, tonne la Grisonne de 60 ans. Il prétend d'abord qu'il n'est pas possible de distinguer des gains normaux et exceptionnels, et deux lignes plus loin, il assure que les bénéfices excédentaires sont déjà imposés!»

Anna Giacometti veut, elle aussi, profiter de la session d'automne pour revenir à la charge. «Ce qui me dérange, c'est que les entreprises s'enrichissent grâce aux crises, alors que c'est à la population d'en supporter les coûts, comme c'est le cas actuellement pour l'essence. Ce n'est tout simplement pas correct.»

La sexagénaire abordera la question de la taxe exceptionnelle avec le groupe parlementaire du PLR lors de la session d'automne. «S'il existe une solution intelligente et équitable, il faut l'examiner.»

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