L'UDC passe à l'offensive
100'000 réfugiés... et personne ne s'en soucie

Neuf mois après le début de la guerre, la solidarité avec les Ukrainiennes reste forte. L'escalade de violence de Vladimir Poutine n'y est pas étrangère. Mais, du côté de l'UDC, l'offensive se prépare alors que de nouveaux réfugiés devraient affluer.
Publié: 30.10.2022 à 13:55 heures
Camilla Alabor

«Une vague de réfugiés comme pendant la Seconde Guerre mondiale»: d'ici la fin de l'année, la Confédération s'attend à ce que près de 80'000 personnes fuient l'Ukraine en direction de notre pays. A cela s'ajoutent environ 24'000 demandeurs d'asile qui arrivent en Suisse depuis la route des Balkans ou ailleurs. Soit un total de plus de 100'000 réfugiés.

À titre de comparaison, lors de la crise des réfugiés de 2015, moins de la moitié de ce total avaient cherché une protection en Suisse. Le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) comptabilisait alors environ 40'000 demandeurs d'asile. Pourtant, à l'époque, le contexte était très émotionnel. «Un tsunami de réfugiés», dénonçait l'UDC, qui avait progressé de trois points lors des élections de la même année.

Dans le monde politique, jusqu'au Département de justice et police dirigé par Karin Keller-Sutter, on craignait au début de l'année que la solidarité avec les Ukrainiens — souvent des Ukrainiennes — réfugié(e)s en Suisse soit de courte durée. Les premiers signes sont apparus en été, avec le déplacement de l'intérêt médiatique de la guerre en Ukraine vers les pénuries éventuelles d'électricité pour l'hiver. L'UDC en a profité pour exiger que le statut de protection S ne soit plus appliqué aux personnes qui proviennent des régions «sûres» de l'Ukraine.

La sympathie de la population suisse et des autorités pour les réfugiés d'Ukraine (ici le conseiller d'Etat valaisan Christophe Darbellay en visite dans une classe d'intégration) est encore forte. Pour combien de temps?
Photo: Keystone

L'escalade russe favorise la solidarité

Mais le parti avait mal calculé son coup: le jour même où le Conseil national votait en septembre sur une éventuelle levée de ce statut S, Vladimir Poutine annonçait sa mobilisation partielle. L'UDC n'est ainsi pas parvenue à mobiliser sous la Coupole. Même dans ses propres rangs, les abstentions ont été nombreuses. Conclusion (provisoire): impossible de capitaliser politiquement contre les réfugiés ukrainiens.

La nouvelle escalade de la guerre a, en effet, relancé le sentiment de solidarité de la population suisse envers les réfugiés venus du pays envahi par Vladimir Poutine. Caritas, par exemple, continue de recevoir des demandes de familles d'accueil partantes pour héberger des réfugiés ukrainiens.

Mais cette bienveillance à l'égard des Ukrainiens est aussi liée à la composition sociale des groupes de réfugiés. Les femmes et les enfants bénéficient de plus de sympathie que les jeunes hommes. D'autant plus lorsqu'ils viennent d'Europe — et qu'ils sont de confession chrétienne.

Comme les Hongrois et Tchécoslovaques

L'historien et politologue Claude Longchamp établit un parallèle avec les Hongrois et les Tchécoslovaques qui se sont soulevés contre le régime soviétique dans les années 1950 et 60 - et qui avaient alors été accueillis à bras ouverts en tant que réfugiés en Suisse. «A l'époque aussi, l'opinion publique était clairement du côté des pays attaqués», explique Longchamp.

Des Ukrainiens interrogés rapportent également que la solidarité de la population suisse reste forte. Zoya Miari, 23 ans, qui a fui en Suisse en mars avec sa mère et ses petits frères et sœurs, est restée en contact étroit avec son ancienne famille d'accueil. «Ils continuent à nous aider régulièrement», raconte l'Ukrainienne. C'est grâce à ce soutien que les deux plus jeunes enfants de la famille ont pu participer à un camp de football.

Mais la solidarité actuelle avec les Ukrainiens repose probablement aussi sur le fait que la population sait que ces réfugiés rentreront chez eux tôt ou tard. La ministre de la Justice, Keller-Sutter, souligne elle-même à chaque occasion que le statut S est «orienté vers le retour». S'il s'avère que la guerre venait à durer encore des années, cette position sera alors plus difficile à maintenir.

L'UDC veut la procédure régulière

L'UDC, malgré son échec automnal, en remet d'ailleurs une couche. Le conseiller national Gregor Rutz (UDC/ZH) se demande ce qui se passerait si «ne serait-ce qu'un tiers des Ukrainiens venait à demander une demande d'asile». Sa collègue Martina Bircher (UDC/AG) va dans le même sens dans «Klartext», le journal du parti: «On est en mesure de se demander si le statut S est vraiment orienté vers le retour, comme on le prétend». L'élue relance l'idée d'une suppression du statut S pour les Ukrainiens nouvellement arrivés au profit de l'application de la procédure d'asile normale.

Les revendications de l'UDC rencontrent peu d'écho pour l'instant. Mais elles laissent présager que la solidarité, toujours largement répandue, avec les Ukrainiennes sera bientôt mise sous pression. Du moins par la politique. Ce que la population en dira est une autre histoire.

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