L'UE en a assez des discussions avec la Suisse
«Dites-nous ce que vous voulez»

Le Conseil fédéral veut reprendre les négociations avec l'UE. Mais l'ancien négociateur en chef de l'UE, Christian Leffler, est clair: la Suisse doit maintenant tenir ses promesses.
Publié: 12.09.2021 à 07:23 heures
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Dernière mise à jour: 12.09.2021 à 09:20 heures
Camilla Alabor, Jocelyn Daloz (adaptation)

Il y a presque quatre mois, le Conseil fédéral a rompu avec fracas les négociations sur un accord-cadre avec l'UE. On ne sait toujours pas comment elles vont se poursuivre: lors d'une réunion avec des experts en politique étrangère il y a quinze jours, le ministre des affaires étrangères Ignazio Cassis s'est contenté de répéter l'idée d'un «dialogue politique» avec Bruxelles. Traduction: La Suisse souhaite discuter un peu, mais pas négocier.

Cette semaine, l'ancien négociateur en chef de Bruxelles Christian Leffler était à Berne pour s'exprimer lors d'une réunion parlementaire. Dans une interview accordée à Blick, il indique clairement que sans nouvelle proposition de la part de la Suisse, il n'y a pas d'issue à l'impasse actuelle.

Le président Guy Parmelin a parlé de «différences considérables» après la rencontre avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen en avril.

En mai, le Conseil fédéral a contrarié Bruxelles en mettant fin aux négociations. Comment évaluez-vous l'état d'esprit qui règne actuellement au sein des institutions dirigeantes l'UE?
Christian Leffler:
Je ne pense pas que la décision elle-même ait été une grande surprise pour l'UE. Les négociations ont traîné pendant des années: chaque fois que tout semblait avoir une réponse, de nouvelles questions émergeaient de Berne. Ce n'est donc pas tant la rupture des négociations qui a étonné Bruxelles, mais plutôt la façon abrupte avec laquelle elle s'est produite. Cette décision n'a pas été bien accueillie par la Commission européenne.

Le Suédois Christian Leffler a négocié avec la Suisse pendant cinq ans en tant que négociateur en chef de l'UE.
Photo: AFP/Getty Images

Le Conseil fédéral espère relancer les discussions avec Bruxelles par un dialogue politique. Cet espoir est-il justifié?
Un dialogue politique ne suffira pas à résoudre les problèmes entre la Suisse et l'UE. Nous n'avons pas besoin de parler des problèmes, nous les connaissons, nous en parlons depuis des années. Ce que Bruxelles attend, ce sont des propositions concrètes de la part de Berne. Si le Conseil fédéral ne veut pas de l'accord-cadre, que veut-il? Jusqu'à présent, la Suisse n'a pas donné de réponse à cette question.

Le Conseil fédéral lui-même ne semble pas le savoir. Au lieu de cela, il attend le rapport de Bruxelles.
Vous voulez dire le rapport sur l'état des relations avec la Suisse?

Exactement. Il devrait être prêt en automne, dans les semaines à venir. D'après vous, comment Bruxelles va-t-elle se positionner?
Comme je ne travaille plus pour l'UE, je ne peux que spéculer sur le contenu.

Spéculez seulement!
Je suis heureux de partager mes spéculations. Mais laissez-moi d'abord vous expliquer ce que vous pouvez attendre de ce rapport. Et ce qu'il ne faut pas en attendre.

Je vous en prie.
Depuis l'interruption des négociations le 26 mai, la Commission européenne a fait examiner et clarifier tous les domaines dans lesquels existent des relations avec la Suisse: où en sommes-nous? Qu'est-ce qui fonctionne? Qu'est-ce qui ne fonctionne pas? Le rapport résumera ces conclusions, sur la base desquelles la Commission européenne et les États membres décideront de la marche à suivre. Les recommandations politiques concrètes ne suivront probablement que plus tard.

Ainsi, même lorsque le rapport sera publié, nous ne saurons toujours pas clairement comment l'UE souhaite réglementer ses relations avec la Suisse?
Je suppose qu'il faudra attendre la fin de l'année avant de disposer d'un rapport officiel. Personne à Bruxelles n'est pressé à l'heure actuelle en ce qui concerne le dossier suisse.

Quelles conclusions attendez-vous?
Je pense que l'UE ne changera pas sa position de base. Cela signifie que si les questions institutionnelles ne sont pas réglées (développement juridique, interprétation juridique, suivi des accords, règlement des différends), il n'y aura pas d'autre accord d'accès au marché. La Commission est susceptible de confirmer: ces questions doivent être résolues, sinon nous ne pourrons pas aller plus loin.

Cela nous ramène au même point qu'avant le début des négociations sur l'accord-cadre.
La Commission devrait envoyer un message clair au Conseil fédéral: «Dites-nous ce que vous voulez».

La stratégie du Conseil fédéral consistant à ne pas s'occuper du problème ne fonctionnera donc pas?
Les problèmes ne disparaissent pas simplement si vous les ignorez. Dans la vie comme en politique.

«Le point de vue de l'UE est souvent complètement ignoré à Berne», déclare M. Leffler, «la seule question qui se pose est celle des sensibilités nationales de la Suisse.»

Quelles sont les options dont dispose la Suisse pour régler ses relations avec l'UE - hormis l'adhésion?
C'était peut-être une erreur d'essayer d'inclure uniquement les questions institutionnelles dans un accord. Cela a mis l'accent sur des questions qui ne sont pas très populaires, comme le règlement des différends.

Qu'avez-vous en tête à la place?
Une possibilité serait de mettre en place un nouveau paquet bilatéral. Ces Bilatérales III comprendraient de nouveaux accords d'accès au marché, d'une part, et réglementeraient les questions institutionnelles, d'autre part. Un paquet permettrait de trouver plus facilement un équilibre entre les intérêts de l'UE et ceux de la Suisse. C'était également le cas pour les Bilatérales I et II.

Une telle approche ne serait-elle pas également possible pour les traités existants?
Théoriquement, oui. Mais l'une des raisons pour lesquelles les deux parties ont entamé des négociations sur un accord-cadre était précisément qu'elles ne voulaient pas détricoter les traités existants. En effet, les accords individuels devraient alors être soumis à nouveau au Parlement et – en Suisse – éventuellement aux électeurs. Cela signifierait un nouveau vote sur la libre circulation des personnes et l'accord de Schengen.

Avec le risque que les deux accords soient rejetés et que les accords bilatéraux dans leur ensemble soient remis en question.
Exactement. Les forces politiques qui souhaitent approfondir les relations avec l'UE ne semblent pas vouloir prendre ce risque.

Cette approche pourrait maintenant être appliquée aux nouveaux accords individuels - et ainsi résoudre le blocage entre la Suisse et l'UE?
Si la Suisse veut choisir les accords individuels qui sont dans son seul intérêt, cela ne fonctionnera pas. L'accès au marché intérieur n'est pas un menu à la carte; il s'agit plutôt de trouver des intérêts communs. C'est une chose que l'on oublie souvent dans le débat politique suisse: c'est la Suisse qui veut avoir accès au marché unique de l'UE. Si vous voulez jouer dans une association – même partiellement – vous devez accepter ses règles. Pour cette raison, l'UE rejette également l'accord sur l'électricité.

Qu'est-ce que vous entendez par là?
Certaines personnes en Suisse disent qu'un accord sur l'électricité est dans l'intérêt des deux parties. C'est vrai, mais l'intérêt bien plus grand de l'UE est l'intégrité du marché intérieur. C'est pourquoi la décision de ne pas conclure de nouveaux accords n'est pas contestée dans l'UE, même dans les pays voisins de la Suisse. Je pense que cet aspect a été sous-estimé dans ce pays.

En tant que négociateur en chef de l'UE, vous avez été responsable des relations avec la Suisse pendant des années. Comment expliquez-vous les malentendus constants entre Berne et Bruxelles?
Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment une question de malentendus. Ne serait-ce pas plutôt le résultat d'un débat politique qui est très replié sur lui-même en Suisse? Le point de vue de l'UE est souvent complètement ignoré à Berne; le seul sujet abordé est celui des sensibilités nationales suisses. Bien sûr, Bruxelles sait qu'un accord en Suisse doit passer devant le peuple. Mais cela ne signifie pas que l'UE place les intérêts de la Suisse au-dessus des siens. Elle ne peut pas le faire. Et elle ne le veut pas.

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