«Ma fille a fini à l'hôpital»
La missive d’une mère en colère a-t-elle fait plier Manor?

Le chef du secteur décoration de Manor Lausanne Morges aurait été limogé en début d'année pour «mobbing» et «harcèlement» après avoir été couvert par sa hiérarchie, avancent des ex-employés. Un e-mail en particulier aurait pu jouer un rôle dans ce licenciement.
Publié: 26.04.2023 à 12:01 heures
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Dernière mise à jour: 28.04.2023 à 17:05 heures
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Lauriane PipozJournaliste Blick

Clash dans un restaurant, souffrance au travail, licenciement immédiat… C’est une histoire sombre qui est arrivée aux oreilles de Blick, il y a deux mois. Après des semaines d'enquête, nous sommes désormais en mesure de vous la raconter. La voici: la mère d’une ex-apprentie de Manor aurait obtenu en février 2023 le licenciement immédiat de l’ancien supérieur de sa fille. Comment? En envoyant un jour auparavant une missive au nouveau directeur de la succursale lausannoise de cette grande chaîne de magasins, qui compte plus de 8000 collaborateurs en Suisse.

Blick a pu consulter ce texte. Dans celui-ci, Mme Savioz* accuse M. Richard*, l’ex-chef du secteur décoration de Manor Lausanne Morges, d’avoir poussé sa fille, ainsi que certains de ses collègues, au burn-out.

Son courriel met aussi en cause une partie de la hiérarchie de cet établissement, qui aurait «couvert» ce collaborateur. La jeune femme aurait vécu «quatre ans de calvaire, quatre ans qui ont ruiné autant sa santé que sa confiance en elle», assène la maman. Sa fille était alors employée au sein de l’équipe de décoration, nommée la «Team Visual», où elle s’est formée de 2018 à 2022.

La mère d'une ancienne apprentie du secteur décoration de Manor a envoyé une missive incendiaire à l'entreprise, après les graves problèmes de santé rencontrés par sa fille. (Image d'illustration.)
Photo: Getty Images
«
«Je savais qu’il s’agissait de quelqu’un de beaucoup plus humain dans sa façon de procéder.»
Mme Savioz à propos du nouveau directeur
»

Une missive portée à la connaissance des ressources humaines

Or, les faits étaient connus de la direction précédente, assure Mme Savioz. Au bout du fil, elle révèle que sa fille avait déposé une plainte interne sur une plateforme indépendante. Dans ce courrier – que Blick a pu consulter – la jeune femme affirme qu’elle a été victime de «harcèlement».

Cette missive avait été portée à la connaissance des ressources humaines des mois plus tôt, à la fin de l’été 2022. Seul le nouveau directeur, à qui était adressé le courriel et qui avait pris ses fonctions au début du mois de février, aurait pu ignorer les faits qui sont reprochés à l’ex-chef de la jeune femme. «C’est pourquoi j’ai pris l’initiative de le contacter, glisse la maman. Je savais qu’il s’agissait de quelqu’un de beaucoup plus humain dans sa façon de procéder.»

«Les personnes comme vous sont de futurs chômeurs»

Qu’est-il arrivé à cette jeune femme, dans ce secteur de Manor Lausanne Morges? Récapitulons. L’adolescente a entamé son apprentissage de décoratrice au sein de la grande enseigne en août 2018. Or, la situation aurait rapidement tourné au vinaigre. Dès l’année suivante, elle aurait dû faire face à des problèmes de santé et entreprendre des examens médicaux lourds.

Dans sa plainte interne, elle explique que son supérieur et formateur se serait dès lors permis de lui faire commentaires dégradants. Florilège: «Les personnes comme vous sont de futurs chômeurs», «vous êtes une personne faible et fragile», «si j’avais su, je ne vous aurais pas engagée», etc. La liste contenue dans cette dénonciation est longue. L’ex-apprentie met des mots sur ce qu’elle aurait enduré: «harcèlement quotidien», «comportement abusif» et «mobbing».

Ce témoignage a servi de base à une enquête réalisée au sein de la grande enseigne, selon des documents internes. Toutefois, l'issue de cette investigation n'aurait jamais été communiquée à l'équipe. Un ancien membre de cette dernière, qui accuse Manor d’avoir «toléré un comportement homophobe» de la part de l’un de ses collaborateurs, a également accepté de raconter son expérience dans nos colonnes.

Une investigation pas assez approfondie

Pourquoi l'ancien manager est-il resté en poste aussi longtemps? Il aurait disposé d’un certain soutien de la part de la hiérarchie, accuse Mme Savioz dans la lettre qui a précédé le licenciement du chef de sa fille. Ce qui aurait notamment conduit M. Rieder*, ancien directeur de Manor Morges Lausanne, M. Dessimoz*, un collaborateur des ressources humaines de ce grand magasin, ainsi que Mme Baux*, chargée de la gestion du personnel et responsable de l’enquête interne, à fermer les yeux sur le «harcèlement» qu’aurait subi l’ancienne apprentie.

Dans sa lettre, Mme Savioz dénonce: «M. Richard doit aujourd’hui se sentir très fort, car malgré le nombre de vies détruites, de santés ruinées, il est toujours tranquillement à sa place, couvert par l’ancien directeur M. Rieder, M. Dessimoz […] et Mme Baux.»

Avant de se lancer, Mme Savioz aurait confronté M. Richard au restaurant de la chaîne, en l’avertissant qu’elle irait plus loin. Comment a réagi le manager? «Il a été pris de court, révèle-t-elle. Mais j’ai bien vu qu’il avait peur.» La maman a ensuite entamé ses démarches.

Tout balancer par écrit et aller personnellement à la confrontation, n’est-ce pas des mesures extrêmes? Absolument pas, selon notre interlocutrice: «Voici jusqu’où peut aller la vengeance d’une mère.» Elle nous assure, en outre, n’avoir aucun regret: «Je voulais qu’il quitte son poste comme ma fille a dû abandonner le sien: par la petite porte, en quatrième vitesse. Comme elle était en burn-out, elle n’a pu dire au revoir à personne. Je trouvais ça extrêmement injuste.»

«Elle est passée par la case 'hôpital'»

Comment se porte sa fille aujourd’hui? La jeune femme va mieux, assure sa maman. Ses problèmes de santé se sont grandement améliorés. «Pour remonter la pente, elle a toutefois dû passer par la case 'hôpital', déplore Mme Savioz. Elle a tenu jusqu’à la fin de son CFC, mais s’est ensuite effondrée psychologiquement.» Elle vit à l’étranger depuis la fin de son apprentissage, en août 2022, et n’a plus pu «ni entendre parler de cette enseigne, ni mettre les pieds à Lausanne» depuis son départ de l’entreprise.

Le lien de cause à effet entre le courriel et le limogeage de M. Richard* n’a pas pu être établi formellement. Confronté par e-mail, Manor a refusé de commenter cette affaire. L’enseigne se borne à marteler qu’elle «ne tolère aucune forme de harcèlement, quelle qu’elle soit». Pourquoi M. Richard a-t-il été licencié? Cela a-t-il un lien avec les plaintes d’anciens employés de son équipe et/ou cette missive? «Dans le respect de la loi sur la protection des données, nous n’apporterons pas de commentaire», assène en guise de réponse une porte-parole de Manor.

Le timing serait toutefois surprenant, selon deux sources concordantes. D’après ces dernières, le licenciement du manager pointé du doigt serait survenu un jour après la réception de cet e-mail. Cette missive pourrait donc avoir porté ses fruits.

*Noms connus de la rédaction

«Humiliations» et «menaces quotidiennes»

Que s’est-il passé dans l'équipe de décoration de Manor Lausanne Morges entre 2020 et 2023? Pour reconstituer les faits, Blick a consulté plusieurs courriers et documents internes et s’est entretenu avec deux anciens employés de l’équipe de décoration concernée: David* et Karine*.

La fille de Mme Savioz, quant à elle, était en formation et encore mineure au moment des faits. La jeune femme ne souhaite plus évoquer cette affaire. C’est donc sa mère qui a, avec son accord, accepté de nous confier les dommages causés par ces années de travail sur la santé mentale et physique de l'ex-apprenante. Les témoins cités ont préféré garder l’anonymat pour éviter toute répercussion sur leur carrière.

Que s’est-il passé dans l'équipe de décoration de Manor Lausanne Morges entre 2020 et 2023? Pour reconstituer les faits, Blick a consulté plusieurs courriers et documents internes et s’est entretenu avec deux anciens employés de l’équipe de décoration concernée: David* et Karine*.

La fille de Mme Savioz, quant à elle, était en formation et encore mineure au moment des faits. La jeune femme ne souhaite plus évoquer cette affaire. C’est donc sa mère qui a, avec son accord, accepté de nous confier les dommages causés par ces années de travail sur la santé mentale et physique de l'ex-apprenante. Les témoins cités ont préféré garder l’anonymat pour éviter toute répercussion sur leur carrière.

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