Manfred Weber, chef du plus grand parti de l'UE
«La sécurité, la stabilité et la paix en Europe sont menacées»

Le Bavarois Manfred Weber dirige depuis dix ans le plus grand parti d'Europe. Dans une interview accordée à Blick, le chef du Parti populaire européen (PPE) demande l'indépendance militaire et économique de l'Europe.
Publié: 19.03.2024 à 10:05 heures
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Dernière mise à jour: 19.03.2024 à 10:08 heures
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Guido Felder

Du 6 au 9 juin, l’UE élit un nouveau Parlement. Les défis auxquels l’Europe est confrontée n’ont jamais été aussi grands: d'un côté, Vladimir Poutine, qui restera au pouvoir six ans de plus et cherchera à maintenir la guerre en Ukraine, et de l'autre les Etats-Unis, qui ne veulent plus s'investir dans un partenariat stable.

L’Europe doit donc se réorienter. A-t-elle besoin de sa propre armée, voire de sa propre bombe atomique? Manfred Weber est depuis dix ans le président du groupe parlementaire du plus grand parti d'Europe, le Parti populaire européen (PPE). Il prend position sur ces menaces, explique comment il voit la collaboration avec la Suisse et pourquoi l’interdiction des moteurs à combustion devrait bientôt être à nouveau levée dans toute l’Europe.

Monsieur Weber, depuis les dernières élections européennes, le monde a fondamentalement changé. Qu’est-ce qui vous inquiète le plus personnellement?
La sécurité, la stabilité et la paix en Europe qui sont menacées. Je suis également préoccupé par le fait que de nombreuses personnes ne sont pas encore conscientes de la manière dont le monde a fondamentalement changé.

Cette semaine, Manfred Weber a participé à la session du Parlement européen à Strasbourg. Il a donné une interview à Blick.
Photo: Linda Käsbohrer

Comment la situation mondiale va-t-elle évoluer si les Américains élisent Donald Trump?
C’est aux Américains de choisir leur président. Mais il est clair que 330 millions d’Américains ne seront pas prêts à défendre 440 millions de citoyens de l’UE – quel que soit l’occupant de la Maison Blanche.

Qu’est-ce que cela signifie pour la politique de sécurité européenne?
Nous devons être plus stables sur nos propres appuis. Nous devons devenir si forts que personne ne songera à attaquer les Etats européens. Poutine déteste la manière dont nous vivons en liberté et en démocratie.

Comment comptez-vous vous y prendre?
Tout d’abord, nous avons urgemment besoin d’un marché intérieur pour les biens d’armement que nous achèterions ensemble. En matière de munitions notamment, l’Europe est assez démunie dans un monde où elles sont nécessaires. Nous avons actuellement 17 types de chars, les Américains un seul. Nous avons 380 systèmes d’armes différents, les Américains 30. Nous devons également veiller à pouvoir exécuter nous-mêmes nos contrats d’armement et ne pas tout laisser aux États-Unis.

Demandez-vous la création d’une armée européenne?
Nous avons besoin d’armées nationales fortes. Mais nous avons également besoin de plus de coopération, d’un bouclier antimissile commun ainsi que de la mise en place d’unités communes, comme une cyberdéfense.

Que pensez-vous d’une armée commune?
Une armée européenne n’est pas une idée nouvelle. A long terme, je pars du principe que l’UE devra avoir des forces d’intervention communes. Regardez la région du Sahel, où les Français et les Allemands se retirent, laissant le champ libre au groupe Wagner et aux islamistes. Il faut que nous fassions cause commune si nous voulons défendre nos intérêts communs.

L’Europe a-t-elle besoin de sa propre bombe atomique?
Les Etats européens ont en tout cas besoin d’un bouclier nucléaire. Aujourd’hui, ce sont les Etats-Unis qui le couvrent. La France a proposé une coopération à d’autres États dans ce domaine. Le fait que le gouvernement allemand n’ait pas rebondi sur cette offre de discussion est un échec historique. Et il est clair que nous ne parlons pas ici d’une bombe atomique appartenant à l’UE.

Quels autres défis l’Europe doit-elle relever?
Il y a trois domaines principaux. Nous devons exploiter davantage notre potentiel économique. Nous devons devenir indépendants dans le domaine des matières premières – il n’est pas possible qu’après avoir été dépendants du gaz russe, nous tombions dans une dépendance au lithium avec la Chine. Et le plus important est la sécurité alimentaire. L’Europe doit être en mesure de s’approvisionner elle-même en denrées alimentaires saines.

Quand l’Ukraine sera-t-elle admise dans l’UE?
L’ouverture des négociations d’adhésion est un signal extrêmement important. Les Ukrainiens savent que la porte est ouverte si les critères sont respectés.

Tant que la guerre et la corruption règnent, l’adhésion semble compliquée à effectuer.
La corruption est un gros problème. L’Ukraine a encore beaucoup à faire. Mais le processus de rattachement à l’UE renforce les volontés de réformes.

Vous parlez d’un rapprochement en Europe. A-t-on besoin d'«Etats-Unis d'Europe»?
Je vois plutôt cela comme une question d’identité. A savoir, que nous nous décrivions comme des Européens et que nous considérions l’Europe comme une patrie commune. Aujourd’hui déjà, l’UE fixe des normes pour les habitants de ce continent à un point où l’étatisme est questionné dans une certaine mesure – par exemple en matière de politique migratoire, économique et environnementale. Mais je n’aime pas les discussions théoriques. L’UE doit résoudre des problèmes pratiques.

Et des normes élaborées à Bruxelles devraient-elles également s’appliquer à la Suisse? Qu’attendez-vous des négociations sur la coopération bilatérale, qui vont maintenant reprendre?
Il y a beaucoup de sympathie pour la Suisse. C’est pourquoi tout le monde veut que nous trouvions un bon moyen d’aborder ensemble les problématiques actuelles. La voie définie par la Suisse est absolument respectée et acceptée à Bruxelles. Il n’en reste pas moins que la mise en place de règles du jeu est nécessaire pour clarifier cette collaboration. Mais nous sommes en train de les négocier à nouveau.

L’UDC parle de soumission totale…
S’il y a un désir d’adhérer à certaines parties de l’intégration européenne, alors on se réunit en tant que partenaires et on essaie de trouver une solution. Et c’est ce que propose l’UE.

Pouvez-vous comprendre que l’on s’inquiète en Suisse de devoir reprendre automatiquement le droit européen?
Tout ne peut pas être gravé dans le marbre pour des décennies. Il faut un système flexible pour pouvoir s’adapter aux évolutions. Je pense que les citoyens suisses veulent aussi de la sécurité, par exemple à propos des normes des produits pour les importations.

Comment voyez-vous votre rôle dans les nouvelles négociations bilatérales avec la Suisse?
Je plaide pour que nous fassions preuve d’un esprit constructif lorsque nous nous attaquons à ces tâches. Et que nous ne raisonnions pas en termes de schémas, mais en termes de partenariat.

La migration est un sujet brûlant. Comment comptez-vous la maîtriser?
Pour moi, il est clair que le nombre d’arrivées est trop élevé, avec trop de personnes qui ne sont ni des réfugiés de guerre ni des personnes bénéficiant du droit d’asile. Il est important que nous appliquions à présent le pacte sur la migration que nous avons conclu en décembre, et que nous puissions rapatrier les personnes directement aux frontières extérieures. Nous voulons décider nous de qui peut entrer sur le territoire, et non pas les réseaux de passeurs.

Un autre sujet sur lequel vous vous impliquez est le moteur à combustion. Ils ont annoncé vouloir combattre l’interdiction décidée par le Parlement européen s’ils trouvent une majorité après les élections. Faut-il désormais ne plus acheter de voiture électrique?
L’interdiction du moteur à combustion à partir de 2035 a été une grave erreur politique de la part de la majorité de gauche du Parlement. Je soutiens totalement l’objectif de ne plus autoriser de véhicule produisant du dioxyde de carbone à partir de 2035. Mais on peut y parvenir en développant de nouveaux combustibles – par exemple des carburants neutres en CO2 à base de graisse végétale. Les ingénieurs travaillent d’arrache-pied pour trouver des alternatives. Nous avons l’intention de corriger cette erreur.

Au sein de l’UE, l’Allemagne a perdu sa position dominante par rapport à la France. Les grèves et un gouvernement divisé paralysent le moteur économique européen. Qu’est-ce qui ne va pas dans votre pays?
Nous avons un gouvernement et un chancelier qui échouent en matière de politique européenne. Le chancelier ne dirige pas, explique trop peu, gère insuffisamment les processus. C’est un lourd fardeau pour l’Allemagne et donc pour l’Europe. Il serait bon de mettre fin rapidement à cette situation.

Demandez-vous de nouvelles élections?
Nous le souhaitons, mais cela ne risque pas d’arriver. En automne 2025, les Allemands auront l’occasion de poser de nouveaux jalons lors des élections législatives ordinaires. Nous avons besoin de toute urgence d’un nouveau gouvernement dirigé par le centre-droit.

La reconversion dans la politique allemande est-elle une option pour vous? Souhaitez-vous devenir chancelier?
Je suis chef de groupe du plus grand parti d’Europe, le parti auquel les citoyens font le plus confiance. C’est une très belle mission et je souhaite continuer dans cette voie.

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